Comment maintenir les "forces vives" en outre-mer
Dans un rapport d'information sur la situation démographique des outre-mer, la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale s'inquiète du départ des jeunes dans bon nombre de ces onze territoires. Formulant une cinquantaine de propositions, les députés entendent notamment "faire émerger une élite administrative locale".
Une nouvelle pierre dans l'énorme chantier de l'avenir de l'outre-mer secoué par de nombreuses crises : un rapport de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale se penche sur le "maintien des forces vives" dans ces onze territoires qui font face à des défis démographiques très contrastés. D'un côté, un groupe subit un "dépeuplement" accéléré provenant de la fuite des forces vives et d'une baisse de la natalité (Antilles, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Martin ces dernières années), analyse ce rapport adopté le 22 janvier. De l'autre, un deuxième groupe (Guyane, Mayotte) fait face à une "explosion démographique", avec l'allongement de l'espérance de vie, la surreprésentation des jeunes et un solde migratoire élevé. Pour ce qui est de Mayotte, le nouveau ministre des Outre-Mer, Manuel Valls, a évoqué ce lundi un archipel "nécrosé" par l'immigration (voir notre encadré ci-dessous). Entre ces deux catégories, un troisième groupe connaît une hausse démographique plus modérée : Saint-Barthélemy, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et La Réunion, le plus peuplé des outre-mer.
Un impact sur les services publics locaux
Les trois rapporteurs - Elie Califer (PS, Guadeloupe), Mikaele Seo (Ensemble pour la République, Wallis-et-Futuna) et Jiovanny William (PS, Martinique) - s'interrogent sur la "fiabilité" des données de recensement, remises en cause par certains élus". Tout particulièrement en Guyane et à Mayotte qui, outre une expansion démographique très forte, connaissent "une proportion significative d’habitat informel, plus difficile à recenser". Or le recensement est "une procédure essentielle à la détermination des ressources des collectivités", font-ils valoir, il détermine le nombre de conseillers municipaux, par exemple, ou le calcul des dotations affectées aux municipalités pour le financement des services publics communaux. Le rapport recommande ainsi de créer une direction régionale de l'Insee propre à Guyane et Mayotte, et de procéder dans tous les territoires en "forte expansion démographique" à un recensement tous les deux ou trois ans.
Car la démographie a un impact direct sur les services publics locaux, notamment l'école, souligne le rapport. À Mayotte, où "la population s’accroît ainsi d’une classe d’école par jour", le bâti scolaire devient "un enjeu majeur" et constitue une charge pour les collectivités. À cela s'ajoute des "difficultés de recrutement de personnels enseignants, a fortiori sensibilisés aux spécificités de ces territoires, réputés peu attractifs (plurilinguisme, enclavement, etc.)". À l'opposé, les Antilles sont confrontées à des fermetures de classes et de postes d'enseignants régulières. Le rapport propose un "moratoire" sur ces fermetures, tant que les soldes naturels ou migratoires y sont négatifs…
Départ des jeunes
Les députés s'inquiètent du "phénomène de départ" des ultramarins, sachant qu'un tiers des natifs des Antilles, de Guyane ou de Mayotte vivent dans une autre région française. Comme ils le rappellent, le phénomène n'est pas nouveau. En 1979, Aimé Césaire parlait déjà de "l’hémorragie des forces vives du pays" et de "l’expatriation forcée d’une jeunesse sans perspective". Si le Bumidon (un organisme d'État créé en 1963 pour organiser ces déplacements) "a amené en métropole les ultramarins les plus précaires, ce sont désormais les jeunes qui s’en vont". Des jeunes qui ont souvent une "mauvaise image de leur territoire, véhiculée, notamment, par les médias". "Il ne s'agit pas seulement d'une envie d'ailleurs, explique le rapport, mais d'un découragement qui les empêche de se projeter dans les lieux où ils ont grandi". Pour les députés, il n'est pas question d'empêcher ces départs qui peuvent être une source d'enrichissement personnel, mais de faire en sorte qu'ils ne soient pas contraints. Ce qui suppose de renforcer l'offre d'éducation et de formation professionnelle via l'apprentissage. Ils proposent la mise en place de plateformes locales en ligne pour recueillir les offres et demandes pour ce mode de formation, et de favoriser la mise en place d'accords d'apprentissage transfrontaliers avec les États voisins des territoires ultramarins. Autres idées : mener à son terme le projet d'ouverture d'une antenne de l'université des Antilles à Saint-Martin, favoriser l'installation de campus connectés, créer une politique d'orientation professionnelle spécifique aux outre-mer et créer de nouveaux logements étudiants. Pour ceux qui décident de partir, notamment vers l'Hexagone, et pour éviter un décrochage définitif avec leur région d'origine, le rapport recommande d'étendre la prise en charge d'un billet d'avion aller/retour en cours d'année universitaire à l'ensemble des étudiants.
Faire émerger une "élite administrative locale"
Les rapporteurs s'attardent sur la question de la fonction publique qui offre des perspectives "très attractive" aux ultramarins partis en métropole - ils y sont surreprésentés- et un gage de "stabilité", de progression d'avancement... Il n'empêche que les territoires ultramarins ont aussi besoin de "fonctionnaires qualifiés" qui ne sont pas "de passage". Ce qui implique de "faire émerger une élite administrative locale", en préparant les locaux aux concours administratifs et "à ceux qui sont déjà fonctionnaires de revenir, lorsqu’ils le souhaitent, dans leur territoire d’origine". Ils formulent plusieurs préconisations en ce sens, notamment en améliorant la notion jurisprudentielle de "centre des intérêts matériels et moraux" (CIMM) visant à faciliter le "retour au pays" des fonctionnaires travaillant en métropole. Il s'agirait par exemple d'inclure dans les critères retenus "le fait d’être tuteur ou curateur d’une personne domiciliée en outre‑mer" ou la situation de couples de fonctionnaires. Autres recommandations : généraliser les épreuves de langues régionales dans les concours de la fonction publique, notamment celui des IRA, élargir la procédure de recrutement par concours nationaux à affectation locale (Cnal) à d'autres corps, autoriser l’organisation de Cnal à l’échelle des bassins régionaux, ou encore créer un IRA en outre-mer...
Les députés déplorent par ailleurs que le décret nécessaire pour la mise en oeuvre du "passeport pour le retour", créé par la loi de finances pour 2024, n'ait toujours pas été publié. Ils se sont aussi intéressés aux missions locales qui présentent de grandes disparités en outre-mer : ils invitent à une "rationnalisation" et à un renforcement des partenariats entre elles. Enfin, parmi leur cinquantaine de propositions, les rapporteurs avancent des solutions spécifiques à certains territoires : créer une aide sociale contre la grande pauvreté à Wallis-et-Futuna, construire une maternité à Futuna, créer un Crous de plein exercice à Mayotte...
L'outre-mer, en proie des difficultés chroniques exacerbées par la question du coût de la vie, est l'objet de toutes les attentions des parlementaires en ce moment. La délégation sénatoriale aux outre-mer vient de publier un rapport appelant à un "choc régalien" (voir notre article du 23 janvier), alors que les députés ont adopté une proposition de loi visant à lutter contre les oligopoles accusés d'être en grande partie responsables de la "vie chère" (voir notre article du 24 janvier). La délégation de l'Assemblée a également publié, le 15 janvier, un rapport sur l'avenir institutionnel des outre-mer. "Sans changement total du lien entre les outre-mer et l’Hexagone, la relation entre ces territoires et la République sera irrémédiablement rompue", préviennent les auteurs.
› Mayotte, "nécrosée par l'immigration", d'après Manuel Valls"L'immigration nécrose Mayotte", c'est ce qu'a déclaré Manuel Valls le 25 janvier 2025 dans un entretien à Ouest France. "C'est un terme qui est dur mais qui reflète la réalité que personne ne peut ignorer, a ajouté le nouveau ministre des Outre-Mer. Mayotte plie déjà depuis des années sous le poids de deux fléaux : l'immigration irrégulière et l'habitat illégal. Ils s'autonourrissent. 50% de la population de Mayotte est étrangère dont une majorité en situation irrégulière." Après le passage du cyclone Chido qui a dévasté l'archipel mi-décembre 2024, l'ancien Premier ministre sera sur place les 30 et 31 janvier. Il compte rétablir des moyens de détections des entrées illégales, une partie ayant été détruite par le cyclone, et passer de 25.000 à 35.000 reconduites à la frontière. De nouvelles restrictions au droit du sol à Mayotte doivent aussi être débattues à l'Assemblée nationale le 6 février, notamment la question de l'élargissement de la condition de présence aux deux parents et de l'extension à un an de la durée nécessaire de leur présence régulière sur le territoire. Avec AFP |