Vie chère en outre-mer : les députés s’attaquent aux oligopoles

Les députés socialistes ont fait passer, jeudi 23 janvier, dans le cadre de leur niche, une proposition de loi visant à s'attaquer à la vie chère en outre-mer. Le texte désigne les monopoles et oligopoles comme responsables des prix excessifs dans ces territoires.

Après une année particulièrement mouvementée en outre-mer, les députés ont adopté, jeudi 23 janvier, à la faveur de la "niche socialiste", une proposition de loi visant  "à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d'outre-mer". Un texte adopté avec les voix de la gauche et du Rassemblement national, les élus du "socle commun" (droite et centre) s'étant abstenus. 

"Stop à cette complaisance envers des rentes économiques qui asphyxient nos territoires", a introduit la députée de la Martinique Béatrice Bellay, coauteure et rapporteure du texte, rappelant que les écarts de prix avec la métropole restent criants malgré les mesures prises depuis plus de dix ans : "Nous payons en moyenne 40% de plus pour notre alimentation, nos voitures, nos télécommunications, nos services." Pour la députée, la "violence économique" que subissent les habitants a un "visage" : "Les marges arrière des distributeurs – outil opaque qui gonfle artificiellement les prix et nourrit les profits de quelques-uns – et la concentration économique, système avec ses monopoles et oligopoles qui construisent les prix et dans lequel chaque maillon de la chaîne, du transporteur au distributeur, prélève une marge grasse et épaisse sur le dos des plus modestes." Un mécanisme bien documenté par le consultant Christophe Girardier devant la délégation sénatoriale aux outre-mer, il y a quelques semaines (voir notre article du 15 novembre).

Bouclier qualité prix

Pour ramener le prix des produits de première nécessité aux niveaux pratiqués en métropole, la proposition de loi vise en premier lieu à renforcer le bouclier qualité prix (BQP) institué par la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer. Elle prévoit que l’accord issu des négociations entre l'Etat et les distributeurs ne se contente pas d'une modération mais conduise bien à une réduction du prix global de ces produits (article 1). Le texte prévoit également d’associer les collectivités territoriales compétentes et les observatoires des prix, des marges et des revenus aux négociations. "En l’absence d’accord un mois après l’ouverture des négociations, le préfet réglementera les prix sur la base des prix les plus bas pratiqués en hexagone", est-il mentionné. Les députés en ont profité pour élargir le bouclier à de nouveaux produits et services (pièces détachées automobiles, électroménager, téléphonie et internet). Ils ont également adopté un amendement visant à exclure les frais de transport du seuil de revente à perte, ce qui devrait aussi contribuer à la baisse des prix de détail.

Mesures contre les oligopoles

La proposition de loi vise en deuxième lieu à apporter plus de transparence en s'attaquant aux monopoles, aux oligopoles et aux abus de position dominante. Elle entend contraindre les grands distributeurs à publier leurs comptes, ce que nombre d'entre eux se refusent encore à faire, en renforçant les sanctions. Les députés ont rendu obligatoire la publicité des "marges arrière" vis-à-vis des consommateurs.

La proposition de loi abaisse les seuils de contrôle des concentrations à 5 millions d’euros en outre-mer. Au-delà de ce seuil, tous les projets de rachats et de fusions devront être contrôlés par l'autorité de la concurrence. Par ailleurs, l’autorisation d’exploitation commerciale est rendue obligatoire pour tout projet de création ou d’extension d’un magasin de commerce de détail d’une surface de vente supérieure à 300 mètres carrés. En séance, les députés ont créé un moratoire, à titre expérimental pour une durée de dix ans, sur l’ouverture de nouvelles surfaces commerciales supérieures à 1.000 m².

Atteinte à la liberté d'entreprendre

Par ailleurs, un nouvel article 4 introduit en commission considère comme abus de position dominante le fait pour un groupe de distribution de détenir plus de 25% de part de marché. Une disposition à laquelle s'est opposé le ministre chargé des Outre-mer Manuel Valls, au nom de la "liberté d'entreprendre" car elle pose selon lui "un vrai enjeu constitutionnel". L'ancien Premier ministre s'est aussi opposé à la rédaction de l'article 1 : en voulant aligner les prix sur ceux de la métropole, il fait l'impasse sur les frais d'approche qui "représentent en moyenne 16% du coût total d’un produit".

Malgré ces deux réserves, il a apporté son soutien au texte qui, selon lui, représente une "avancée". "J’ai la conviction qu’il nous faudra aller plus loin – beaucoup plus loin", a-t-il dit, renvoyant à la proposition de loi "visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer" du sénateur de la Guadeloupe Victorin Lurel, dont l'examen est prévu au début du mois de mars. 

Pour les mêmes raisons, les élus du "socle commun" ont préféré s'abstenir. Aligner les prix sur ceux pratiqués dans l'Hexagone est "irréalisable" et ne relève "que de l’affichage", a fait valoir Maud Petit (Modem, Val-de-Marne). "Nous ne faisons que réguler, condamner et vérifier ; ce faisant, nous empêchons de nouveaux investisseurs de s’installer dans les territoires ultramarins et d’y faire jouer la concurrence", a de son côté fait valoir le député de la Nouvelle-Calédonie Nicolas Metzdorf (Ensemble pour la République).

8% de baisse sur les prix en Martinique

Manuel Valls a par ailleurs fait le point sur le protocole d'objectifs et de moyens signé le 16 octobre 2024 en Martinique qui vise à faire baisser les prix de 6.000 produits de consommation courante (voir notre article du 28 octobre). Une première étape a été franchie "avec la suppression, dès le 18 décembre dernier, de l’octroi de mer par la collectivité territoriale de Martinique et avec un effort des acteurs économiques sur leurs marges", qui ont permis "une baisse d’environ 8% des prix" sur les 20% attendus. La baisse de TVA, en revanche, reste suspendue à l'adoption du projet de loi de finances pour 2025. Le ministre a annoncé avoir saisi l’Inspection générale des finances pour analyser la baisse des frais d'approche au regard du droit européen.

 

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