Réforme territoriale - Comment les régions préparent les fusions
A l'Association des régions de France (ARF), cela ne fait aucun doute : malgré les réticences, la mise en place des nouvelles régions est bel et bien lancée depuis la publication de la loi du 16 janvier 2015. Tous les exécutifs préparent activement le vaste chantier qui doit se concrétiser le 1er janvier 2016. En évoquant dès janvier 2014 le rapprochement de leurs collectivités, les présidents des régions Bourgogne et Franche-Comté ont largement devancé les autres. Après eux, Rhône-Alpes et l'Auvergne se sont très vite mises au travail. A présent, les élus des autres régions ont eux aussi relevé leurs manches.
Les collectivités régionales ont ainsi d'ores et déjà adopté leur organisation de travail. On peut d'ailleurs relever à ce sujet un certain nombre de points communs. En règle générale, une instance politique de décision - la conférence des présidents ou le comité des exécutifs - réunit les deux ou les trois présidents de région concernés, voire le bureau au complet (comme c'est le cas pour la Haute et la Basse-Normandie). A côté, des instances permettent d'associer au chantier les partenaires (universités, réseaux consulaires, représentants syndicaux et patronaux…). Ces derniers sont aussi représentés au sein des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser). On notera que certaines de ces assemblées vont apporter leur contribution à la mise en place de la nouvelle région, parfois à la demande des élus (c'est par exemple le cas en Haute et Basse-Normandie). Quant aux responsables des services administratifs des régions appelées à fusionner, ils se réunissent régulièrement soit localement, soit à Paris dans le cadre des groupes de travail mis en place par l'ARF sur les thèmes des finances, de la dette et des ressources humaines.
Un gros travail d'harmonisation
Sur quoi planchent-ils avec les élus ? Au cours de ce premier semestre 2015, les régions vont se consacrer à un état des lieux des politiques publiques afin de disposer, au cours du second semestre, de scénarios qui les éclaireront sur la manière de faire converger ces politiques jusqu'ici menées séparément par les deux ou trois régions actuelles. Les nouvelles régions auront ensuite à "s'accorder et à mettre en oeuvre de nouvelles orientations". Cela constituera le principal enjeu de la fusion, estime l'agence de notation Moody's dans une récente étude.
Les régions devront aussi rapidement faire converger leurs procédures, sous peine de ne pas pouvoir assurer la continuité du service public. Vis-à-vis des usagers, cet enjeu est primordial. Or, le travail est important. "Il y a actuellement de grosses différences sur les dotations de fonctionnement aux lycées, les procédures d'attribution des bourses pour les formations sanitaires et sociales, les systèmes d'information, les méthodes de contrôle interne, les organisations, etc.", indique Guillaume Basset, chargé à l'ARF de la coordination des fusions.
D'autres très gros chantiers attendent les équipes administratives et les élus. Celui du budget de la nouvelle région n'est pas des moins complexes. Ainsi, la construction d'un document budgétaire unique nécessitera une adaptation des systèmes d'information. La difficulté de tenir le premier débat d'orientation budgétaire tiendra aux délais. L'ARF a soumis la question au gouvernement. S'agissant de l'adoption du budget, celui-ci a déjà accordé de la souplesse. Les régions auront droit à un délai, avec une date limite d'adoption fixée au 30 mai 2016.
Débat sur l'emplacement du siège de la région
Les ressources humaines seront un autre grand défi. Avec des dossiers essentiels comme l'harmonisation des régimes indemnitaires, le temps de travail et l'action sociale au bénéfice des agents. Sur tous ces sujets, les décisions seront prises en principe après concertation avec les représentants des personnels. Les services en charge des ressources humaines auront aussi à organiser des élections professionnelles avant fin 2016. Dans cette attente, les instances actuelles de dialogue social siégeront en formation commune, avec des effectifs qui seront du coup élevés.
L'adoption des nouveaux organigrammes n'interviendra pas avant 2016. Logique, puisque, comme le fait remarquer Guillaume Basset, l'organisation des services dépendra directement des décisions que les nouveaux élus prendront sur les politiques publiques.
Par ailleurs, on le sait, la question de la localisation de l'hémicycle et de l'hôtel de la nouvelle région s'est très vite posée, entraînant son lot d'inquiétudes, tant chez les agents que chez les responsables élus de certains chefs-lieux de région. Le sujet suscite des discussions entre les présidents de région, qui ont naturellement tendance à défendre leur capitale régionale respective - c'est ce qu'ont ainsi fait les présidents des région Bourgogne et Franche-Comté. Les nouvelles assemblées régionales devront trancher en adoptant une résolution avant le 1er juillet 2016. Du côté de l'ARF, on cherche d'ores et déjà à rassurer sur ce dossier : il existe des alternatives à la concentration des services au siège, souligne-t-on, la ministre en charge de la décentralisation ayant d'ailleurs tenu des propos proches le 12 février dernier à Poitiers. Grâce au numérique, des administrations demeurées présentes dans les actuels chefs-lieux de région pourront travailler en réseau. L'expérience de régions dont les services utilisent très largement les techniques de visio-conférence prouve que cela fonctionne, estime le spécialiste des fusions à l'ARF. Une solution complémentaire consistera à territorialiser les services. En la matière, les régions du nord-est ont déjà une expérience avancée. Ce serait un atout pour la réussite de la méga-région réunissant l'Alsace, la Lorraine et Champagne-Ardenne.
Un doute sur les économies
Au-delà de toutes ces questions, la conduite des fusions en 2015 sera d'autant moins aisée que le gouvernement a choisi d'en fixer certaines des modalités techniques dans le projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (Notr), dont l'examen ne devrait être achevé qu'en juin prochain. Sans même compter le fait que ce texte redistribue certaines compétences entre le département et la région, avec des débats nourris qui alimentent forcément l'incertitude. Le contexte financier n'est pas non plus favorable. Il va en tout cas conduire les régions à profiter de la refonte de leurs politiques dans le cadre de la fusion pour, en même temps, améliorer l'efficience de celles-ci et, ainsi parvenir, à des économies.
Mais selon Moody's, les gains ne seront pas immédiatement au rendez-vous. "Plus que sur des synergies économiques et budgétaires, la nouvelle carte des régions repose sur des considérations essentiellement politiques et géographiques", observe l'agence. Des cadres de direction des régions partageraient cette opinion, selon le cabinet de conseil Abington Advisory, qui en a interrogé plusieurs (avec aussi, il faut le préciser, des responsables de direction des départements) au cours du dernier trimestre 2014. Une grande majorité d'entre eux juge que la nouvelle carte "ne sera pas source d'économies, voire qu'elle risque d'être coûteuse", fait remarquer le cabinet. Les plus pessimistes estiment que "5 à 8 ans seront nécessaires pour absorber les surcoûts liés aux fusions et que les gains seront très hypothétiques dans la période qui suivra".