Habitat - Comment "frapper les marchands de sommeil au porte-monnaie" ?
Le 30 novembre, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi visant à lutter contre les "marchands de sommeil". Selon le député à l'origine du texte, Sébastien Huyghe (UMP, Nord), il s'agit, "sans prétendre à l'exhaustivité", de "compléter l'arsenal juridique édifié au cours de la période 2005-2009". L'objectif est d'inciter les propriétaires à faire eux-mêmes les travaux de remise en état des logements qu'ils mettent en location afin d'éviter le recours à la procédure des travaux d'office. Et pour cela, de les "frapper au porte-monnaie".
Concrètement, le texte adopté donne à l'autorité administrative - maire ou préfet - la faculté d'instaurer une astreinte journalière au terme de l'arrêté d'insalubrité, de l'arrêté de péril ou de l'arrêté portant sur un hôtel meublé. Cette astreinte pourra être comprise entre 50 et 500 euros. Son montant total est plafonné à 50.000 euros. Son produit sera affecté soit à l'Agence nationale pour l'habitat (Anah), soit directement à la commune.
Au cours de la discussion, les députés ont ajouté une disposition concernant les copropriétés : en cas de défaillance d'un copropriétaire justifiant la non-réalisation des travaux, l'astreinte pourra être fixée par lot. Il sera également possible de décharger du paiement de l'astreinte les copropriétaires ayant voté en faveur des travaux. Cet article 7 du texte pourrait poser des difficultés juridiques puisqu'il s'agit en substance de sanctionner financièrement un copropriétaire en raison de son vote.
Dans tous les cas de figure (arrêté d'insalubrité, de péril ou concernant un hôtel meublé), l'autorité administrative peut consentir une remise ou un reversement partiel du produit de l'astreinte quand les travaux prescrits par l'arrêté ont été exécutés et que le redevable établit qu'il n'a pu observer le délai imposé pour l'exécution totale de ses obligations qu'en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Cette souplesse vise à garantir "que l'on ne touchera que les véritables marchands de sommeil et non des propriétaires-bailleurs très modestes qui n'ont pu réaliser les travaux du fait de leur situation financière", a expliqué Sébastien Huyghe.
Jugeant cette proposition de loi inadaptée à l'ampleur du problème, les députés de l'opposition ont proposé le renforcement des sanctions pénales à l'encontre des marchands de sommeil et la mise en place d'un "permis de louer". Le secrétaire d'Etat au Logement, Benoist Apparu, a indiqué que cette proposition de loi devrait être examinée au Sénat avant la fin de l'année.
Irrémédiable, insalubre, indigne...
Dans son rapport annuel 2010, la fondation Abbé-Pierre indique que les situations d'habitat indigne concernent environ 600.000 logements dans lesquels vivent un peu plus de 1.000.000 de personnes (p.117). Le nombre de logements subventionnés par l'Anah dans le cadre de la lutte contre l'habitat indigne a doublé entre 2004 et 2008, passant de 5.000 à 10.000 logements traités (pour un objectif de 13.500 logements traités par an). La fondation constate ces dernières années "une montée en charge des actions concrètes sur le terrain", tout en soulignant que les "acteurs publics souffrent toujours aujourd'hui d'un manque de moyens budgétaires et humains au regard de l'ampleur des besoins".
Parmi ces 600.000 logements indignes, certains sont "insalubres", c'est-à-dire que leur état de dégradation est tel qu'ils portent atteinte à la santé de leurs occupants. On distingue ensuite insalubrité "remédiable" et insalubrité "irrémédiable". L'insalubrité remédiable est traitée par des subventions de l'Anah aux propriétaires et par la mise en place de programmes de type Opah, PIG ou Mous "insalubrité". Le montant des subventions de l'Anah consacré à ces logements est en hausse sensible ces dernières années. En cas d'insalubrité "irrémédiable", une procédure de "résorption de l'habitat insalubre irrémédiable" (RHI) peut être lancée. Elle consiste en une réhabilitation lourde d'immeubles interdits à l'habitation.
La proposition de loi de Sébastien Huyghe vise les logements dont l'insalubrité est remédiable. L'astreinte prévue s'inscrit dans le dispositif suivant : sous la responsabilité du préfet, les services communaux d'hygiène, ou à défaut les services préfectoraux (agences régionales de santé), repèrent les logements insalubres et prescrivent par arrêté les mesures que le propriétaire doit prendre, dans un délai déterminé - de 3 à 9 mois - pour remédier à l'insalubrité. Au terme du délai fixé par l'arrêté, l'autorité administrative peut, au bout de trente jours, mettre en demeure le propriétaire de réaliser les travaux et même, éventuellement, les réaliser d'office aux frais de celui-ci.
Enfin, les procédures de péril relèvent de la police spéciale du maire. Elles s'appliquent aux cas où les désordres constatés touchent à la solidité de l'édifice ou d'une partie de ses éléments et sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité physique des occupants ou de leurs voisins.
A noter : le rapport parlementaire n°2943 (en téléchargement ci-contre) explique en langage clair les différentes étapes de ces procédures dispersées dans le Code de la santé, le Code de la construction et le Code pénal.