Comité interministériel des villes : l’heure du bilan
Un an après les annonces faites à Grigny en faveur des quartiers populaires, Jean Castex a présidé un comité interministériel des villes (CIV) de bilan le 29 janvier 2021 à Grenoble et Échirolles. Pour le gouvernement, les objectifs sont atteints concernant l’engagement de chantiers de rénovation urbaine, de moyens dédiés à la sécurité et à la prévention de la délinquance ou encore de cités éducatives labellisées. D’autres aspects, tels que la mixité sociale dans le parc social, ne sont en revanche pas évoqués. Alors que plusieurs dispositifs devraient être prolongés jusqu’à fin 2023, élus et professionnels s’interrogent sur l’après et demandent au prochain gouvernement à la fois de la continuité – notamment sur les cités éducatives et la prévention – et un renouveau autour de contrats de ville "agiles" et de méthodes plus ascendantes.
À Grenoble et Échirolles (Isère), un comité interministériel des villes (CIV) de bilan – et de quelques perspectives – a eu lieu samedi 29 janvier 2021, un an après la réunion d’un CIV à Grigny (Essonne) et l’annonce de moyens supplémentaires pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville (voir notre article du 29 janvier 2021). Accompagné de quatre ministres (Olivier Véran, Emmanuelle Wargon, Nadia Hai et Nathalie Élimas), le chef du gouvernement s’est notamment rendu dans les quartiers des Essarts et de La Villeneuve à Échirolles. Face à des habitants se plaignant de conditions de logement dégradées et de la disparition des services et petits commerces, Jean Castex a assuré être là "pour constater, pour écouter, mais aussi pour dire qu'on va de l'avant", rapporte l’AFP.
Rénovation urbaine : des chantiers démarrés dans 328 quartiers
Il y a un an, Jean Castex promettait en particulier une rallonge de 2 milliards d’euros pour la rénovation urbaine, soit une enveloppe du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) qui passait de 10 à 12 milliards d’euros. Des travaux étaient déjà en cours dans 230 quartiers et l’objectif était d’atteindre 300 mises en chantier d’ici la fin 2021. Objectif dépassé, s’est félicité le chef du gouvernement, puisque les chantiers ont démarré dans 328 quartiers où habitent 212.000 personnes. Parmi les ambitions affichées à Grigny il y a un an, l’enjeu de la mixité dans le parc social n’a pas fait lui l’objet d’un bilan à Grenoble en 2022 – l’objectif était d’"orienter la production de logements sociaux au profit d’une offre diversifiée dans les communes qui en comptent déjà̀ plus de 40%".
En janvier 2021, l’ambition du gouvernement était aussi d’accélérer la réhabilitation des logements sociaux et la rénovation énergétique des bâtiments publics et de mener un plan de rattrapage sur les équipements sportifs des QPV. Dans le cadre de l’Agence nationale du sport, "25 millions d’euros [ont été] validés pour financer la rénovation de 168 équipements sportifs de proximité", selon le communiqué de Matignon, soit un rattrapage "presque atteint" d’après l’entourage du Premier ministre. Le plan France relance a par ailleurs permis de dégager près de 668 millions d’euros pour "la rénovation énergétique et l’investissement local", notamment à travers "MaPrim’Rénov".
"Bataillons de la prévention" : un financement prolongé jusqu’à fin 2023
On se rappelle que les maires de banlieue avaient demandé et obtenu l’engagement qu’au moins 1% du plan de relance – c’est-à-dire 1 milliard d’euros – soit fléché, de façon précise, vers les quartiers populaires et leurs habitants. Le gouvernement affiche là encore un satisfecit, estimant que 2,4 milliards d’euros ont été consacrés à la relance des quartiers. Outre les crédits rénovation énergétique, près de 430 millions d’euros ont été versés aux associations de lutte contre la pauvreté. Le périmètre retenu pour afficher ce montant de 2,4 milliards semble large. Ainsi, le volume de "1,2 milliard d’euros pour la compétitivité et l’attractivité des quartiers" inclut notamment, selon l’entourage du Premier ministre, des crédits en faveur des "bassins industriels", avec l’idée que les habitants des QPV proches de ces bassins d’emploi en sont logiquement les bénéficiaires...
Jean Castex a également fait valoir des résultats en matière de sécurité et de prévention de la délinquance, rappelant qu’il s’agit de la "première préoccupation des habitants des quartiers". Dans les 62 quartiers de reconquête républicaine (QRR), 1.200 policiers et gendarmes ont été déployés. Des "bataillons de la prévention", c’est-à-dire 456 éducateurs et médiateurs, ont été recrutés dans 45 quartiers. Alors que l’association des maires Ville et banlieue s’inquiétait, dans un communiqué du 27 janvier 2022, de la pérennisation de cette mesure, Jean Castex a annoncé la prolongation de la prise en charge financière des bataillons de la prévention jusqu’à fin 2023, soit un alignement sur le calendrier des contrats de ville que la loi de finances est venue proroger jusqu’à cette date. Alors que des difficultés de recrutement des éducateurs et médiateurs ont été observées à certains endroits, Matignon fait savoir que le recours à l’apprentissage peut parfois représenter une solution.
74 nouvelles cités éducatives annoncées
Les cités éducatives seront également prolongées "d’au moins un an", selon Matignon. Annonçant la labellisation de 74 nouvelles Cités éducatives (CE) – à Béthune, Brest, Alençon, Bourges, Nevers, La Rochelle, Limoge, Bayonne, Lunel, Chambéry, Colmar ou encore Châlons-en-Champagne… -, le Premier ministre estime que l’objectif des 200 CE labellisées est atteint. Huit CE verront également leur périmètre étendu en 2022, tandis que celle de Grenoble et Echirolles "donnera lieu à deux cités éducatives aux territoires élargis" (voir notre article d’octobre 2021 sur les cités éducatives).
Mis en place pour la première fois en 2020, les dispositifs de "quartiers d’été" et "vacances apprenantes" seront reconduits en 2022 comme en 2021 ; l’équivalent d’une pérennisation, selon Matignon. Le CIV a également donné lieu à l’annonce de la labellisation de 20 nouveaux centres et maisons de santé participatifs, l’objectif initial de 60 centres d’ici 2022 ayant été repoussé à 2023-2024 dans le cadre de l’appel à projets lancé en septembre dernier (voir notre article). Le ministère de la Santé en a fourni la liste ce 31 janvier. Sont également labellisés 10 nouveaux bus France services – portant à 352 le nombre d’espaces France services dans les quartiers prioritaires, alors que l’objectif fixé était de 400 (voir notre article d’avril 2021 sur le réseau France services).
"1 jeune, 1 solution", contrat d’engagement jeune : quid de la concertation avec les élus ?
Si le futur contrat d’engagement jeunes n’est pas évoqué, des éléments de bilan sont fournis sur le dispositif "1 jeune, 1 solution", qui aurait mobilisé 838 millions d’euros au bénéfice des jeunes des QPV. "34.671 résidents sont entrés en garanties jeunes et 15.371 PEC [parcours emploi compétences] ont par ailleurs été signés", selon le communiqué du gouvernement. Dans un communiqué du 26 janvier 2022, l’association France urbaine estime toutefois que les outils gouvernementaux "1 jeune, 1 solution" et le contrat d’engagement jeune "ont bien du mal à être mis en musique sur le terrain, faute d’une concertation suffisante en amont avec les acteurs locaux".
Enfin, sur la base des travaux de Karl Olive, maire de Poissy (Yvelines), sur l’insertion par le sport (voir notre article du 21 janvier 2022), trois mesures pourraient être mises en œuvre : "la création de tiers-lieux sportifs en pied d’immeuble avec l’appui des bailleurs, le développement des 'TIG Sport' dans les clubs sportifs avec gratification des tuteurs et l’expérimentation d’une contractualisation entre les collectivités, l’Éducation nationale et les clubs sportifs". Sur ce dernier point, il s’agirait d’établir un "contrat local de sport" en lien avec les cités éducatives et les Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024. Le rapport et les propositions de Karl Olive seront tout prochainement finalisés.
"Nous demandons aux candidates et candidats à la présidence de la République française d'exprimer clairement leurs propositions qui permettront d'améliorer l'avenir des habitants des quartiers populaires." Dans une tribune datée du 27 janvier 2022, l’Association des maires d’Île-de-France (Amif), l’Association Ville & banlieue, 104 maires, ainsi que deux associations et un centre de ressources politique de la ville demandent de la "constance" dans les politiques et expérimentations mises en œuvre dans les QPV, appelant notamment à "conserver" les cités éducatives considérées comme "une réussite". Les élus plaident également pour une simplification des démarches administratives et davantage de souplesse dans les modalités de soutien de l’État, considérant que "les appels à projets renforcent les disparités entre villes en capacité à répondre aux projets et villes avec peu de moyens" (voir notre article d’avril 2021). Abondant dans le même sens, France urbaine demande "un arrêt des appels à projet et appels à manifestation d'intérêt (AMI) à répétition avec une approche descendante", insistant sur "la nécessité de partir du projet de territoire et de construire des politiques publiques différenciées, un travail sur la chaîne de l’action publique et son continuum". En la personne de Michel Bisson, président de Grand Paris Sud, l’association d’élus était auditionnée le 20 janvier dernier par la commission installée par Nadia Hai, ministre de la Ville, pour préparer les prochains contrats de ville. Michel Bisson a notamment appelé à changer de méthode en mobilisant davantage les habitants "sur des projets ponctuels et bien circonscrits (ZAD, lutte contre la maladie, cancer...)" permettant de développer "des solidarités nouvelles", selon le communiqué de l’association. En s’appuyant sur les "talents" des habitants, il s’agit aussi de "mettre l’accent sur des sujets stratégiques comme la lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme". L’élu a par ailleurs plaidé pour davantage d’équité territoriale en dépassant les "zonages-carcans", indiquant à titre d’exemple que "50% des habitants vivant sous le seuil de pauvreté à Grand Paris Sud habitent hors des frontières administratives et géographiques de la politique de la ville" - une nouvelle géographie de la pauvreté qui se dessinerait depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Il a aussi insisté sur "le besoin de donner une dimension plus sociale aux actuels contrats de relance et de transition écologique (CRTE)". Représentant les professionnels du développement social urbain, l’IR-DSU a également publié récemment sa contribution, appelant à un "contrat [de ville] réel, agile qui améliore concrètement la qualité de vie des habitants". L’inter-réseaux décrit "sept leviers essentiels à un renouveau nécessaire" des contrats de ville ; le premier consiste à "réaffirmer le besoin d’une convergence des politiques publiques nationales et locales pour améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers prioritaires dans le cadre d’un projet de territoire", en précisant notamment ce qui relève de l’EPCI et de la commune. C. Megglé pour Localtis |