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Cour des comptes : "L'attractivité des quartiers prioritaires a peu progressé en dix ans"

Les quartiers prioritaires de la politique de la ville peinent à attirer de nouveaux habitants qui ne soient pas aussi pauvres, voire plus pauvres, que les résidents actuels. Malgré des améliorations du cadre de vie liées à la rénovation urbaine, la paupérisation et la persistance des problèmes de sécurité accentuent "les sentiments d’exclusion et de relégation" des habitants de ces quartiers. Dans un rapport d’évaluation publié le 2 décembre, la Cour des comptes s’est intéressée à l’un des objectifs de la politique de la ville : l'amélioration de l’attractivité des quartiers prioritaires. Parmi les recommandations formulées : un appel à une gouvernance plus décentralisée de la politique de la ville et à la définition d'objectifs plus précis et mesurés par quartier.   

"L'attractivité des quartiers prioritaires a peu progressé en dix ans", entre 2008 et 2018, et cela malgré les moyens déployés – environ 10 milliards d’euros chaque année, auxquels s’ajoutent les financements de la rénovation urbaine, soit 12 milliards d’euros de fonds publics mobilisés entre 2003 et 2012, et les dépenses "difficilement mesurables" des collectivités. C'est la conclusion en forme d'euphémisme de la Cour des comptes, au terme de l'évaluation de l'un des "objectifs clefs" de la politique de la ville que constitue l'attractivité des quartiers.

Selon le rapport, l’objectif d’amélioration de l’attractivité des quartiers se serait imposé depuis 40 ans à travers différentes stratégies successives de la politique de la ville : la "stratégie de reconnaissance et de valorisation des quartiers populaires", celle de "remise à la norme des quartiers" et celle visant des "effets de levier des politiques publiques pour agir sur les causes de la relégation". Trois dimensions ont été prises en compte pour apprécier cette attractivité : le logement, l'éducation et l'activité économique, avec également la sécurité "qui, de l’avis même des habitants des quartiers étudiés, affecte fréquemment toutes les autres". L’évaluation a été menée à partir de données nationales et de l’étude approfondie de la situation de huit quartiers prioritaires – la Bourgogne à Tourcoing, les Provinces Françaises à Maubeuge, Rosiers-Chantepie à Sarcelles, Montceleux – Pont Blanc à Sevran, les Minguettes à Vénissieux/Saint-Fons, Grand-Pont à Rive-de-Gier, Saint-Chamand à Avignon et l’Ariane à Nice.

 

Face à l'insécurité et à la paupérisation, l'amélioration du cadre de vie ne suffit pas

Si la Cour des comptes constate une amélioration certaine du bâti et plus globalement du cadre de vie des habitants dans les quartiers ayant bénéficié du plan national de rénovation urbaine (PNRU), elle estime que ces efforts n'ont pas contribué à transformer l'image extérieure des quartiers, "tant celle-ci demeure ternie par les problèmes de sécurité". Selon les habitants des Minguettes qui se sont exprimés dans le cadre d’un atelier en juillet 2019, en dépit de progrès – amélioration de la desserte des transports, équipements collectifs (hospitalier, scolaires, mairie annexe, etc.), travail des associations –, la vie quotidienne ne se serait pas améliorée depuis dix ans. "Malgré la présence des forces de l’ordre et de la vidéosurveillance, le trafic de drogue et l’insécurité routière (rodéos) sont cités unanimement" comme des points de blocage à l’attractivité du quartier, avec également la "concentration de problèmes sociaux (paupérisation, replis sur soi, problèmes linguistiques, fracture numérique)".

En matière de mixité sociale, l'un des objectifs de la loi Lamy de 2014, "l’absence de stratégie et de moyens réels (…) ont laissé persister des concentrations de pauvreté dans ces quartiers", poursuivent les Sages de la rue Cambon. Ces derniers ont analysé le profil des entrants dans le parc de logements sociaux des huit quartiers et observent que "ces nouveaux habitants présentent des caractéristiques sociales identiques, voire plus précaires, que celles des résidents en place". Cette paupérisation alimente pour la Cour des comptes "les sentiments d’exclusion et de relégation", qui constituent "un terreau favorable au développement du repli et du communautarisme".

 

La réussite d'offres éducatives "d’inspiration religieuse ou communautaire" 

Concernant l'éducation, la Cour des comptes observe "une amélioration depuis dix ans", avec des résultats scolaires qui demeurent inférieurs, pour les élèves de ces quartiers, à la moyenne de leur 
académie. Elle estime toutefois "problématique" le développement, dans certains quartiers, d'une "offre périscolaire associative, voire des écoles hors contrats, d’inspiration religieuse ou communautaire, que les collectivités ou les services de l’État identifient comme peu en phase avec les principes du service public" (un sujet auquel entend d'ailleurs s'attaquer le projet de loi "séparatisme"...). Face à la réussite de ces "offres en 'pied d'immeuble' avec des horaires adaptés à la vie des familles", les dispositifs portés par les pouvoirs publics – programme de réussite éducative, "devoirs faits", etc. – n'auraient que peu de poids.

 

Une déprise économique et commerciale continue 

Enfin, "un phénomène de déprise économique et commerciale ininterrompue a caractérisé la dernière décennie dans les quartiers". "Peu aidés par les dispositifs de développement économique qui s’y révèlent inefficaces, ces quartiers ne parviennent pas à attirer de nouvelles activités alors que les activités illicites, par nature mal mesurées mais bien réelles pour les habitants, s’y développent", peut-on lire dans la synthèse du rapport. La délocalisation en périphérie de services de proximité est expliquée par "le faible pouvoir d’achat des habitants et par l’image dégradée de ces quartiers en matière d’insécurité".

 

Accroître la décentralisation du pilotage, autour de "projets de quartiers" plus précis

La première des recommandations de la Cour des comptes apparaît comme un désaveu de la gouvernance intercommunale introduite par la loi Lamy, et plus globalement du partenariat local entre Etat et collectivités qui est la marque de la politique de la ville. La Cour invite ainsi à "rendre plus effective la décentralisation de la politique de la ville" avec davantage de "différenciation locale autour de 'projets de quartiers' inclus dans chaque contrat de ville et affichant leurs propres priorités, objectifs et indicateurs de suivi". La "collectivité signataire localement la plus pertinente" mettrait en œuvre et évaluerait ces contrats, tandis que l'Etat se concentrerait sur "la définition d’un cadre commun adaptable, en contrôlant sa mise en œuvre" – "ce qu’il ne fait guère" actuellement, ajoute la Cour. Une des mesures dans ce cadre renouvelé serait de permettre aux contrats de ville d'"ajuster les zonages utilisés en matière éducative, économique et de sécurité pour les faire coïncider au maximum avec la géographie prioritaire".

 

Introduire des objectifs de mixité opposables aux bailleurs

En matière de politique de peuplement, les magistrats recommandent de bâtir des stratégies locales de mixité bien plus précises qu’actuellement, en "[affichant] clairement des cibles quantitatives et qualitatives, et [intégrant] dans la convention intercommunale d’attribution de logements des cibles spécifiques à chaque quartier prioritaire opposables aux bailleurs". Un pilotage renouvelé permettrait de résoudre les difficultés auxquelles se heurtent actuellement les stratégies intercommunales ou métropolitaines d’attributions de logements, énumérées dans le rapport : "faible taux de rotation des résidents, poids des situations d’urgence, difficultés politiques à afficher certains critères comme la nationalité, incompatibilité des priorités entre collectivités membres de l’intercommunalité, etc."

 

Un "parcours global d’accompagnement des jeunes de l'enfance à la fin de l'adolescence"

Enfin, deux autres orientations ne sonnent pas comme particulièrement neuves. Il y a d’abord un appel à une meilleure articulation entre le renouvellement urbain et l’accompagnement social, éducatif, économique des habitants. Avec notamment l’idée de mettre en place un "parcours global d’accompagnement des jeunes de l'enfance à la fin de l'adolescence" dans les futurs projets de quartiers et contrats de ville 2023-2028. Il y a, d'autre part, la nécessité de mieux articuler politique de la ville et politiques de droit commun, notamment à travers davantage de cohérence entre les différents schémas et plans relatifs à la sécurité et à la lutte contre la délinquance. Concernant la méthode d’attribution de moyens, la Cour recommande de "s’assurer de l’adaptation des dispositifs de droit commun aux besoins locaux avant d’attribuer des moyens spécifiques".

 

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