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Climat de tension dans de nombreuses banlieues franciliennes

Depuis un événement survenu à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) dans la nuit du 18 avril dernier, des violences urbaines éclatent toutes les nuits dans plusieurs agglomérations, franciliennes principalement. Le gouvernement réfute pour l'heure "toute inquiétude", même si le confinement ne va pas sans attiser les tensions.

"Globalement, la situation dans les quartiers est plutôt calme par rapport à nos statistiques habituelles." Lors de son audition au Sénat le 16 avril dernier (voir notre article), le ministre de l'Intérieur s'était montré rassurant face à des élus qui, à l'image de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, l'interrogeaient sur des "événements assez dramatiques" – "même si on en parle peu aujourd'hui" – qui venaient de se dérouler "à Grigny ou à La Courneuve" et sur "les rodéos qui reprenaient […] et qui font subir dans les quartiers populaires aux gens qui respectent le confinement un style de vie un peu difficile". 

Un tremblement à Villeneure-la-Garenne, des répliques dans plusieurs agglomérations 

Un calme toutefois relatif, puisque Christophe Castaner lui-même avait déploré au Sénat plusieurs "incidents lourds" le week-end précédent son audition. Et un calme passablement troublé depuis dans plusieurs agglomérations, franciliennes principalement. C'est un incident survenu à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) dans la nuit du samedi 18 avril qui a mis le feu aux poudres : l'accident d'un "motocycliste non casqué, circulant à vive allure, sur une moto cross non homologuée" alors que des policiers voulaient procéder à son contrôle pour les uns, une "bavure policière" pour les autres. Dans un processus désormais rodé, l'événement, immédiatement suivi de heurts, fournit prétexte à de multiples violences dans la ville et désormais au-delà, prenant notamment la forme "classique" de tirs de mortiers d'artifice et ayant entre autres conséquences l'incendie d'une école de Gennevilliers. Le tout au point de faire ce matin du mot-dièse "#Émeutes" un des sujets "tendances" du réseau social twitter, baromètre des temps modernes qu'il faut toutefois consulter avec précaution*. "Depuis quelques nuits, dans plusieurs communes de l’agglomération parisienne, les forces de l’ordre sont la cible de jets de projectiles, de tirs de mortiers et de jets de substances ou mélanges dangereux. Ces violences, commises en réunion par des groupes d’individus, sont susceptibles, outre les violences volontaires exercées à l’encontre des policiers, d’engendrer des blessures graves contre les personnes et des dommages aux biens", confirme néanmoins un communiqué de presse du 21 avril de la préfecture de police de Paris.

Pas d'inquiétude au gouvernement

Pour autant, le gouvernement réfute pour l'heure "toute inquiétude". "Nous considérons qu'à ce stade ces agissements demeurent néanmoins de faible intensité. Ils sont localisés, limités et donc aujourd'hui il n'y a pas lieu d'avoir des inquiétudes", a ainsi déclaré ce mercredi la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Un optimisme que relativise toutefois Serge Haure, référent national de la CFDT pour la police municipale : "Ces quartiers – ce sont toujours les mêmes – ne sont naturellement pas calmes", explique-t-il à Localtis. "Et le confinement ne fait qu'attiser les tensions, notamment du fait de l'assèchement des trafics." Lors de son audition sénatoriale, le ministre de l'Intérieur avait d'ailleurs lui-même fait part de ses craintes sur le risque de troubles à l'issue du confinement, qui agit comme une véritable cocotte-minute.

Des forces de l'ordre amoindries

S'il devait prendre, l'incendie serait sans doute encore plus difficile à maîtriser qu'habituellement. Pour en limiter les effets, le préfet de police de Paris a d'ores et déjà pris le 21 avril un arrêté interdisant, à Paris et dans les départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, la cession, le port et le transport par des particuliers d'articles d'artifices de divertissement, pyrotechniques ou autres conteneurs d'essence, de pétrole, de gaz et autres matières inflammables, et ce jusqu’au 27 avril 2020 à 08h00. On sait toutefois que l'efficacité de ces mesures d'interdiction – étudiée par ailleurs par la place Beauvau – est toute relative (voir notre article).

En outre, l'épidémie rendrait d'autant plus difficile l'intervention des forces de l'ordre, particulièrement exposées. "C'est pour elles une période de stress immense", souligne Serge Haure. "Elles doivent faire face, en plus du reste – l'ostracisation, les menaces classiques à leur intégrité… – à un ennemi invisible, avec la peur de le rapporter dans leur foyer, et ce alors qu'elles reçoivent le matériel de protection au compte-gouttes". Le syndicaliste fait ainsi état "d'une colère forte des troupes à l'encontre des institutions qui ne sont pas capables de les protéger", colère exacerbée selon lui par le manque de transparence sur l'utilité des masques. "On aurait tout à fait compris si le gouvernement nous avait dit qu'il avait à gérer une pénurie de masques, dont il n'est d'ailleurs pas comptable", explique ainsi le syndicaliste.

Des forces de l'ordre par ailleurs aux effectifs amoindris, par la contamination ou le confinement, comme l'a d'ailleurs relevé le ministre de l'Intérieur lui-même. "Presque tout le service (de police municipale) de Pierrefitte-sur-Seine a été contaminé", prend ainsi exemple Serge Haure, ville où il a été "au départ très compliqué de faire respecter le confinement". Pourtant, "il faut que l'État reprenne les choses en main", enjoint-il. "On ne peut laisser une minorité confisquer ainsi l'État de droit à la majorité qui vit dans ces quartiers. Mais pour l'heure, ce sont les villes qui prennent des arrêtés couvre-feu, pas les préfets", souligne Serge Haure, déplorant que le secrétaire d'État Laurent Nunez ait déclaré que le respect du confinement dans les banlieues "n'était pas une priorité".

Arrêtés couvre-feu, la panacée ?

Des arrêtés couvre-feu ont pourtant bien été pris par certains préfets, à la demande d'ailleurs du ministre de l'Intérieur. Ainsi, par exemple, dans les Alpes-Maritimes, où le représentant de l'Etat a notamment interdit, par arrêtés des 22, 25 et 31 mars, puis du 15 avril, les déplacements de 22 heures à 5 heures dans les communes de plus de 10.000 habitants et du littoral. Mais avec des résultats semble-t-il disparates. Ainsi, face à "certains débordements", le maire de Nice a-t-il décidé de prendre lui-même depuis un nouvel arrêté – le 7 avril, renouvelé le 15 – visant à renforcer la limitation des déplacements et à interdire les regroupements dans neuf secteurs de la ville "identifiés comme respectant moins les règles de confinement". Un arrêté que la Ligue des droits de l'homme, le jugeant stigmatisant et discriminatoire – rejoignant ici d'ailleurs la ligne de Christophe Castaner –, a attaqué devant le tribunal administratif de Nice. Sans succès, puisque ce dernier vient ce jour de rejeter la requête de l'association. Un sort que n'ont pas connu d'autres arrêtés municipaux couvre-feu, comme celui par exemple du maire de Lisieux (voir notre article). Même les arrêtés préfectoraux n'échappent pas à la censure du juge, comme celui du 8 avril 2020 du préfet des Vosges ayant interdit les "rassemblements statiques" sur la voie publique, dont l'exécution vient d'être suspendue par une ordonnance du 21 avril du juge des référés du tribunal administratif de Nancy.

* Par exemple, le compte Twitter de la police nationale du Bas-Rhin informe ce jour que la vidéo "montrant des individus lançant des objets incendiaires sur un bureau de police" de la Meinau à Strasbourg qui circule actuellement "n'est pas le reflet de la réalité". France Bleu Alsace rapporte néanmoins que "des cocktails molotov auraient été lancés" sur ce bâtiment – en n'y faisant toutefois que "des dégâts très limités" – et qu'une "voiture de police a été visée par un tir de mortier".

Référence : Ordonnance du TA de Nice du 22 avril 2020