Élections, arrêtés, masques, marchés, festivals... les précisions de Christophe Castaner au Sénat
Dans le cadre de sa mission de contrôle liée à l'épidémie de Covid-19, la commission des lois du Sénat a longuement auditionné le 16 avril le ministre de l'Intérieur. Les mesures liées à l'état d'urgence sanitaire et au confinement ont été largement abordées : arrêtés municipaux et préfectoraux, verbalisations, sécurité sanitaire des forces de l'ordre... Mais aussi les enjeux plus larges de sécurité pendant le confinement (terrorisme, violences urbaines...) et les points de vigilance quant aux tensions possibles après le confinement. Les sénateurs l'ont aussi naturellement interrogé sur les élections municipales.
Si le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, a bien précisé au ministre de l'Intérieur qu'il était auditionné dans le cadre d'une "mission de suivi" liée à l'épidémie de Covid-19 "s'inscrivant dans un cadre coopératif", et non une commission d'enquête, Christophe Castaner n'en a pas moins été soumis à la question pendant près de trois heures par les sénateurs, le 16 avril dernier, sur de nombreux sujets.
Des élections au plus vite
La question des élections a donné lieu à quelques passes d'armes entre le ministre et les sénateurs. Si Philippe Bas a souligné que "les maires de 2014 rendent un immense service dans cette période transitoire […] qui n'a pas eu que des inconvénients", il n'en a pas moins insisté sur le fait qu'il était "plus que temps" que le conseil scientifique rende son avis sur la possibilité d'organiser les élections des maires d'ici la fin juin et "les conditions qui assureraient la totale sécurité sanitaire de la réunion des conseils municipaux". À défaut, il a de nouveau plaidé pour le vote électronique. Le sénateur Alain Richard a pour sa part déploré un abaissement beaucoup trop important des règles de quorum – solution qui permettrait dans les conseils de sept membres "à une seule personne" de tenir le vote – et plaidé par ailleurs pour une organisation différenciée des élections du second tour en fonction de la taille de la commune, afin de permettre un vote à brève échéance dans les communes de moins de 1.000 habitants (et à tout le moins avant le 30 juin, faute de quoi il faut refaire le premier tour, a averti Philippe Bas).
Deux propositions qui n'ont pas emporté l'adhésion du ministre, même si celui-ci a convenu qu'il fallait les étudier. Christophe Castaner considère en effet que le vote électronique ne permet pas de garantir la confidentialité du vote, assumant le fait qu'il "n'attend pas le même niveau de sécurité" pour l'élection des maires que pour des élections professionnelles (Philippe Bas ayant argué que le ministère de l'Intérieur maîtrisait bien le sujet pour organiser ses propres élections professionnelles grâce à ce moyen électronique). Christophe Castaner a en outre souligné qu'il avait toujours été dans la volonté du gouvernement que ces élections se fassent le plus vite possible, prenant soin de rappeler que l'échéance du 23 mai, date butoir de remise du rapport sanitaire au Parlement sur l'état du pays, "n'était pas celle du gouvernement" mais qu'elle avait été fixée par le Parlement.
Coordination entre préfets et maires
• Interrogé sur les "divergences" qui avaient pu être constatées entre maires et préfets, le ministre de l'Intérieur s'est employé à les minimiser, relevant que dans la très grande majorité des cas les échanges entre élus et préfets étaient fructueux et que les élus étaient plutôt demandeurs de "plus de préfet encore". Christophe Castaner a notamment pris exemple des "arrêtés couvre-feu", pour lesquels il avait demandé aux préfets d'apporter de l'aide aux élus, notamment pour conférer aux textes une plus grande sécurité juridique. Il a ainsi précisé que lorsque des arrêtés étaient prévus sur une partie du territoire d'une commune seulement, il avait demandé à ce qu'ils soient élargis à l'ensemble de la ville afin d'éviter toute stigmatisation. De même, lorsqu'un nombre important de maires d'un même département avaient pris l'initiative de tels arrêtés, consigne avait été donnée aux préfets de prendre un arrêté départemental afin d'assurer une certaine cohérence au dispositif, prenant l'exemple du département des Alpes-Maritimes.
• Le ministre s'est également employé à relativiser les différends relatifs aux arrêtés municipaux prescrivant le port obligatoire des masques, indiquant qu'il avait donné aux préfets la consigne d'échanger avec les maires, sans entamer de procédure à leur encontre : "Nous ne déférons pas", a-t-il martelé. "Il y a pu y avoir quelques engueulades à deux/trois endroits mais tout est rentré dans l'ordre." Reste toutefois à attendre la décision du Conseil d'État qui doit être rendue en la matière, sur requête du maire de Sceaux (voir notre article).
• Le préfet, point d'entrée pour les élus. Interrogé sur la difficulté pour les élus d'avoir plusieurs interlocuteurs (préfets, ARS, académie…), le ministre a invité les élus à solliciter le préfet, charge pour ce dernier de faire ensuite le lien avec les différents services concernés.
Cohérences des pratiques
• En matière de contrôle et de verbalisation des mesures de confinement. Soulignant l'automaticité des amendes forfaitaires qui sanctionnent le non-respect des mesures liées à l'état d'urgence sanitaire, le sénateur Philippe Bas a insisté sur la nécessaire "exigence de discernement" des forces de sécurité lors des contrôles et appelé à "des pratiques qui gagneraient à être unifiées", prenant notamment l'exemple du contrôle par certains policiers ou gendarmes des caddies ou tickets de caisse.
Déplorant ces erreurs d'appréciation, le ministre a toutefois souligné que celles-ci étaient très limitées, mais fortement médiatisées par les réseaux sociaux, sans nécessairement être exactes. Il a indiqué que sur les 12,6 millions de contrôles réalisés au 15 avril (ayant donné lieu à 762.106 verbalisations et 1.733 gardes à vue pour réitération d'infractions au confinement), seules 166 réclamations avaient été déposées sur la plate-forme de l'IGPN. Il a en outre indiqué qu'il avait décidé de porter les délais de recours de 45 à 90 jours et qu'il faisait évoluer la doctrine au fur et à mesure afin de limiter ces anomalies. 100.000 policiers et gendarmes sont mobilisés pour assurer ces contrôles, et jusqu'à 160.000 la veille des derniers week-ends – sans "oublier les polices municipales particulièrement mobilisées".
• Par ailleurs, interrogé sur l'achat de 650 drones pour un montant de 3,8 millions d'euros, le ministre a indiqué que la commande avait été initiée l'an dernier et était sans rapport avec la crise du Covid. Rappelant que ce dispositif était "utilisable depuis le 17 décembre 2015" et qu'il allait "monter en puissance", Christophe Castaner a néanmoins assumé le fait que des drones – 400 sont d'ores et déjà en service – soient utilisés pour contrôler le confinement, "solution plus économique que les hélicoptères et avions utilisés aujourd'hui pour surveiller les plages".
• À l'égard des marchés alimentaires. La même hétérogénéité des décisions a été déplorée par les élus à l'égard des marchés alimentaires. Le ministre a d'abord rappelé que la règle était l'interdiction totale, tout en ayant "fait confiance à l'intelligence territoriale des préfets, sur la base des préconisations des maires, pour nous faire des propositions pour qu'il y ait des arrêtés de dérogation". En rappelant qu'une doctrine, une documentation, une fiche technique était à la disposition de tous les maires à cette fin (voir notre article). Mais "dès lors que je fais confiance à l'intelligence territoriale d'application, je n'ai pas une doctrine forcément unique, commune", a-t-il démontré, dénonçant "le vrai paradoxe, dans lequel nous sommes tous : on aime bien la dimension confiance territoriale, expérimentation, mais le corollaire c'est qu'on peut avoir des appréciations qui sont différentes d'un territoire à l'autre". 2.257 marchés avaient été autorisés au 30 mars, 3.373 au 6 avril et 3.629 au 13 avril (sur environ 10.000).
Impact de la crise sur les forces de sécurité
• Les masques. Sans surprise, la question de la disponibilité des masques pour les forces de sécurité a donné lieu à de nombreux échanges, parfois tendus. Le ministre a essayé tout au long de l'audition de tenir la même ligne de défense : il s'en remet à l'expertise médicale et suit la doctrine fixée par les scientifiques, réfutant que cette doctrine soit une "doctrine de circonstance" qui aurait été dictée par le manque de masques. "Nous avions des masques" – 1,4 million de masques FFP2, a-t-il précisé –, mais le choix a été fait de "les mobiliser pour le personnel hospitalier qui est particulièrement en risque". S'il a concédé que "le monde de la santé hésitait sur la nécessité ou non de porter des masques de façon permanente" et si "le monde entier a connu des difficultés" pour s'en procurer – "même la Chine à qui la France a prêté des masques" –, il ne pense pas que cette pénurie "ait influencé le monde de la santé" pour arrêter ladite doctrine. Laquelle, en outre, "peut évoluer", a-t-il dit, en précisant toutefois que "ce n'est pas le ministre de l'Intérieur qui décidera de son évolution parce que cela se fait sur des éléments d'analyse médicale".
• Les tests. Le sénateur François Bonhomme a interrogé le ministre sur la politique de tests des forces de sécurité – évoquant le cas du commissariat de Cannes qui, "sur 150 effectifs, avait 35 cas positifs au Covid et dont plus de la moitié n'ont pas encore été testés" ou celui d'une compagnie de CRS originaire de l'Aude cantonnée à Ajaccio où "sur 70 hommes 10 cas seraient positifs". Christophe Castaner souligne là encore qu'il applique la doctrine du ministère de la Santé, à savoir que la priorité est pour l'heure de tester le personnel de santé et les intervenants dans les Ehpad, et précise qu'il n'y aura pas de dépistage systématique des forces de sécurité. Il a en outre relativisé l'efficacité de ces tests, qui serait de "60 à 70% seulement", ajoutant que "dans les premiers jours on peut être testé négatif alors qu'on est porteur du virus". "309 agents de la police nationale, sur 150.000, sont malades du Covid", auxquels il faut ajouter 8 369 "isolés sanitaires".
• Accueil des enfants. Le ministre a confirmé (voir notre article) qu'un point précis avait été demandé aux préfets sur les capacités d'accueil disponibles dans chaque département pour élargir le dispositif, d'abord prévu pour le personnel de santé, aux enfants d'autres personnels indispensables à la gestion de la crise. Sur la base de ces capacités, le dispositif d'accueil a notamment été étendu aux forces de sécurité, pompiers inclus, "partout où il y avait de la place" (une circulaire a été adressée en ce sens par le ministère de l'Éducation le 8 avril dernier). "Globalement, ça marche bien", a indiqué le ministre.
L'impact du confinement sur l'ensemble du dispositif de sécurité
Christophe Castaner a indiqué que les forces de sécurité restent "mobilisées sur l'ensemble du spectre", mais surtout sur le "haut du spectre", le "petit judiciaire" n'étant pas une priorité. Dans le détail :
• Menace terroriste : "elle est inchangée et permanente", a rappelé le ministre, qui a toutefois indiqué qu'il n'existait pas "d'alerte particulière" en cette période. Il a en revanche souligné que les tenants du "séparatisme" profitaient de cette période de repli pour tenir auprès des jeunes un discours de victimisation : "On ne te protège pas du Covid et on t'empêche de pratiquer ta religion". L'émergence d'un "commerce informel" est également déplorée.
• Violences intra-familiales : le ministre a souligné que si le nombre de plaintes en la matière diminuait, le nombre d'interventions à domicile ou les "chats" sur la plate-forme de dénonciation des violences sexuelles et sexistes étaient elles en forte augmentation. Le ministre a rappelé les différents moyens mis en œuvre pour y faire face : mobilisation des pharmacies (voir notre article), mobilisation du 114, numéro d'urgence normalement dédié aux personnes malentendantes mais qui permet de donner l'alerte sans se faire repérer, etc.
• Violences urbaines : le ministre a indiqué qu'il n'existait pas "un haut niveau de tension" et que "les quartiers étaient plutôt calmes". Il déplore néanmoins "très régulièrement des agressions", les "violences urbaines n'étant hélas pas exceptionnelles" (et notamment "six accidents lourds" dans la nuit du 11 au 12 avril), et redoute surtout la sortie du confinement (voir infra). Interrogé par l'ancien ministre de la Ville Patrick Kanner sur les risques de provocation et de guet-apens à l'occasion du ramadan (à compter des 23/24 avril), le ministre a fait part de ses craintes, soulignant "les agressions dont les forces de l'ordre peuvent déjà faire l'objet, les crachats au visage étant devenus la menace suprême", d'où l'achat de visière pour protéger les yeux, les masques n'étant pas suffisants. Il a en outre précisé qu'une nouvelle cartographie des lieux où les pompiers ne devaient intervenir que sous la protection des policiers avait été mise au point, déplorant que "dans plus de 50% des cas", l'agresseur est aussi la personne que les pompiers viennent secourir…
• Cybercriminalité. Elle est en forte hausse, la criminalité s'adaptant à la situation. Les tentatives d'escroquerie en ligne se multiplient, visant notamment… les hôpitaux.
• L'attention des forces de l'ordre va également être attirée sur les très grands excès de vitesse, qui se multiplient.
• Centre de rétention administrative. "Nous continuons à éloigner", a d'abord indiqué le ministre, avant de souligner les difficultés de procéder à ces éloignements compte tenu de la situation sanitaire des pays d'origine des étrangers concernés (l'Algérie, touchée par le Covid, étant la première nationalité représentée), même si cela serait envisageable par exemple en Géorgie ou en Albanie. Il a précisé que 132 personnes étaient actuellement retenues dans ces centres (soit moins de 10% de leur capacité), dont 89 sortent de prison – ce qui l'a notamment motivé à ne pas fermer lesdits centres, le ministre arguant en outre de la décision du Conseil d'État du 27 mars dernier ayant rejeté la requête visant à leur fermeture temporaire (voir notre article). Notons que dans une décision du 15 avril, le tribunal administratif de Paris vient toutefois d'enjoindre aux autorités d’exclure le centre de Vincennes comme lieu d’exécution d'une mesure de rétention suite à la découverte d'étrangers retenus "dépistés positifs". Le ministre a souligné une difficulté – le désengagement des avocats et des associations alors que nous "avons un engagement contractuel" – en indiquant toutefois que cela n'empêche pas l'assistance.
Sortie du confinement
• Doctrine. Le ministre a réfuté l'existence de toute doctrine pour l'heure, celle-ci devant être fixée par la mission Castex dans les 15 jours (voir notre article).
• Traçage. Interrogé sur ce sujet (voir notre article), le ministre de l'Intérieur a rappelé que cela ne relevait pas de ses missions. L'adoption du dispositif se fera sur base du volontariat et n'aura donc pas vocation à être contrôlée.
• "Petits festivals". Suite aux déclarations du ministre de la Culture indiquant que certains "petits festivals" pourraient se tenir "à partir du 11 mai", Christophe Castaner a à la fois été interrogé sur cette notion de "petits festivals" et sur la prise en charge des frais de sécurité par les organisateurs (circulaire Collomb du 15 mai 2018 - voir notre article). Le ministre s'est borné à indiquer qu'une cellule spéciale travaillait sur cette question au ministère de la Culture et que la cellule interministérielle de crise (CIC) se mettra à sa disposition.
• Troubles. Le ministre a fait part de ses craintes sur la montée des tensions multiples compte tenu de la durée du confinement, notamment dans les prisons et les centres de rétention administrative. Il a indiqué que "l'ultra-droite" était très mobilisée sur les réseaux mais qu'il ne déplorait pas d'actes délictueux, alors que des atteintes avaient par ailleurs été portées à des McDonald's. Il a indiqué que les gilets jaunes se mobilisaient pour la sortie du confinement.
• Frontières. "Ce que nous n'avons pas réussi à l'entrée – une coordination européenne sur la gestion des frontières infra-européennes – nous espérons que nous arriverons à le gérer d'une meilleure façon à la sortie. Sauf que nous ne sortons pas tous au même rythme ; l'exercice n'est pas simple", a souligné le ministre, faisant ainsi écho aux récentes lignes directrices de la Commission européenne (voir notre article). Le ministre a notamment souligné les mesures prises en faveur des travailleurs saisonniers (prolongation de trois mois de la durée de validité des titres de séjour).
Ode aux sapeurs-pompiers
Christophe Castaner a dressé un véritable panégyrique à la capacité d'adaptation des sapeurs-pompiers, dressant une longue liste de leurs actions : accueil des patients, notamment dans des postes médicaux avancés ; soutien à la couverture opérationnelle des Smur "globalement partout, mais pas partout", le ministre regrettant qu'il y ait "encore des endroits dans ce pays où cela ne se passe pas bien entre les blancs et les rouges" ; prêts d'équipements ; mise à disposition de moyens humains ; aide à la régulation des appels (le 15) ; réalisation de tests virologiques dans les Ehpad ; transferts de patients.