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Port obligatoire du masque à Sceaux : le Conseil d'État enserre fortement le pouvoir de police du maire

Le Conseil d'État a confirmé le 17 avril la suspension de l'arrêté municipal de Sceaux subordonnant les déplacements dans l'espace public au port d'un masque. L'affaire donne au juge l'occasion de préciser les contours du pouvoir de police générale du maire en période d'urgence sanitaire, doublement conditionné en matière de lutte contre l'épidémie.

Le Conseil d'État a rejeté le 17 avril la requête de la commune de Sceaux visant l'annulation de l'ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ayant suspendu l'exécution de l'arrêté municipal subordonnant les déplacements dans l'espace public au port d'un masque buccal et nasal (voir notre article). La Haute Juridiction administrative en a profité pour délimiter les contours du pouvoir de police générale du maire en période d'état d'urgence sanitaire.

Un pouvoir de police générale du maire doublement conditionné

Dans sa décision du 22 mars dernier (voir notre article), le Conseil d'État avait jugé qu'en vertu de leur pouvoir de police générale, les maires avaient "l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères [que celles prises par le Premier ministre et le ministre de la Santé] lorsque les circonstances locales le justifient". Mais depuis, la loi d'urgence du 23 mars 2020 est passée par là. 

Si, avec cette nouvelle décision, le Conseil d'État indique que le maire, y compris en période d'urgence sanitaire, "peut" (et non plus doit) prendre des mesures de police générale, "notamment en interdisant l'accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements", il juge toutefois que la police spéciale instituée depuis par le législateur au profit du Premier ministre et du ministre chargé de la santé "fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État".

Dit autrement, l’usage par le maire de son pouvoir de police générale pour édicter des mesures de lutte contre l'épidémie est subordonné à une double condition, cumulative : que ces mesures "soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu’elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’État dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale".

Bref, si la police spéciale n'interdit pas au maire tout recours à son pouvoir de police générale – comme c'est le cas avec les arrêtés limitant l'épandage de pesticides, interdisant les OGM, l'installation de compteurs Linky ou encore d'antennes-relais –, elle en conditionne fortement l'usage.

Des conditions non remplies à Sceaux

Dans l'affaire de la commune de Sceaux, le juge des référés a considéré qu'aucune des conditions nécessaires n'était remplie : 
- "d'une part, ni la démographie de la commune de Sceaux [population plus âgée que la moyenne, avec 25% de personnes de plus de 60 ans] ni la concentration de ses commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne sauraient être regardées comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci et qui exigeraient […] une interdiction de se déplacer sans port d’un masque de protection ;
- d'autre part, l’édiction, par un maire, d’une telle interdiction, à une date où l’État est, en raison d’un contexte qui demeure très contraint, amené à fixer des règles nationales précises sur les conditions d’utilisation des masques chirurgicaux et FFP2 et à ne pas imposer, de manière générale, le port d’autres types de masques de protection, est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes".

Cohérence et confusion

En l'espèce, le juge ajoute qu'"en laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités" – faisant ainsi écho à la communication de l'exécutif selon laquelle le port du masque pourrait nuire au respect du confinement ou à l'application des gestes barrières.

Un dernier argument qui n'a pas manqué de susciter une vive réaction du maire de Sceaux, Philippe Laurent, qui dénonce dans un communiqué le fait que "en affirmant que le maire, en demandant le port de protection, pouvait "laisser entendre que cette protection était efficace" et dispenserait ainsi du respect des règles de confinement, la Haute Juridiction donne libre cours à une interprétation très contestable de l’intention du maire, qui a au contraire défendu l’exact inverse dans l’ensemble de sa communication auprès de la population". 

Le maire s'étonne également "qu’en dépit de l’intérêt manifeste et quasi unanimement admis par la communauté scientifique et médicale de porter un masque pour éviter de contaminer les personnes qui viendraient à se trouver à leur proximité, le Conseil d’État ait également affirmé que cette protection pouvait 'nuire à l’efficacité des mesures du gouvernement' dont la cohérence ne convainc personne".

Référence : CE, 17 avr. 2020, ord. réf. n° 440057, Commune de Sceaux