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Fiscalité locale - Claudy Lebreton : pour une CSG départementale

Dans la foulée du rapport Valletoux, le président de l'Assemblée des départements de France prône la mise en place, pour chaque niveau de collectivité, d'un "impôt primaire" en lien avec les compétences exercées - dont un impôt de nature "sociale" en faveur des départements. Interview.

Le Conseil économique et social adoptait le 13 décembre l'avis de Philippe Valletoux intitulé "Fiscalité et finances locales : à la recherche d'une nouvelle donne". Elaboré à la demande des trois grandes associations d'élus locaux (AMF, ADF et ARF), ce rapport propose une redistribution des cartes fiscales et prévoit notamment des impôts locaux spécialisés par niveaux de collectivités complétés par des fractions d'impôts nationaux partagés. Avec le scénario proposé par le vice-président de Dexia Crédit local, de nouveaux impôts verraient le jour, dont un impôt départemental sur les ménages qui prendrait la forme d'une taxe dédiée sur les mêmes bases que la contribution sociale généralisée (CSG). Cette idée de "CSG départementale" est depuis longtemps défendue par Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France (ADF). Interrogé par Localtis, celui-ci revient sur cette proposition et, plus globalement, sur les principales pistes de réflexion que les associations d'élus comptent aujourd'hui approfondir en vue d'une réforme de fond de la fiscalité locale.

 

 

Localtis.info : Dans quel esprit avez-vous, aux côté des autres associations d'élus, choisi de remettre aujourd'hui la question de la fiscalité locale au coeur du débat public ?

Claudy Lebreton - Nous devons avoir le souci de réhabiliter la notion de l'impôt auprès de nos concitoyens - de rappeler, tout simplement, que le développement des services publics, des politiques publiques locales, que ce soit par exemple en matière de logement ou de transports, cela coûte cher. Ceci, à un moment où certains en sont presque à dire que l'on pourrait vivre sans impôts... La fiscalité locale représente 35 à 40% des ressources des collectivités. Qu'il s'agisse d'impôt sur le patrimoine, d'impôt économique ou d'impôt sur le capital, étant donné le rôle de plus en plus important des collectivités, il faut réinventer un partage de la richesse nationale - concevoir ce que j'appellerais volontiers un "impôt juste".

 

Quel serait le principal axe de ce nouveau partage et comment votre idée d'attribution d'une part de CSG aux départements s'y inscrit-elle ?

Nous, associations d'élus locaux, estimons que la fiscalité moderne que nous appelons de nos voeux passe par la mise en place, pour chaque niveau de collectivité, d'un impôt primaire en lien avec la ou les compétences exercées. La commune, en tant que lieu de vie du quotidien, serait logiquement attributaire de la taxe d'habitation et du foncier bâti. L'intercommunalité, centrée sur l'économique, conserverait la taxe professionnelle. La région avec, entre autres, la formation et l'emploi, pourrait par exemple percevoir une part de TVA ou, pourquoi pas, une part de l'impôt sur le revenu. Quant au département, alors que sa compétence première est bien la solidarité... il ne peut aujourd'hui s'appuyer sur aucun impôt lié au social. D'où l'idée de dédier aux départements une part additionnelle de CSG. En notant que la CSG a l'avantage d'être assise sur les revenus non seulement du travail mais aussi du capital - ce qui en fait, précisément, un impôt assez juste.

 

Cette fraction supplémentaire serait-elle incorporée à l'actuelle CSG ou serait-elle disjointe ?

Il y aurait à mon sens, d'une part, une CSG nationale et, d'autre part, une CSG départementale clairement identifiée. Faut-il, ensuite, prévoir que chaque département fixe son propre taux ? On pourrait plutôt imaginer que les départements décident ensemble d'un même taux pour tout le territoire national, en y adjoignant alors un système de péréquation. La même disposition pourrait d'ailleurs être mise en place pour la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA). Rappelons en effet que l'idée de permettre aux départements de moduler leur taux de TSCA a été abandonnée par crainte d'écarts trop importants d'un département à l'autre. En tout cas, l'idée est bien celle d'un impôt primaire par niveau de collectivité. Mais un impôt primaire ne signifie pas un seul impôt, toujours fragile. Il faut conserver un panier fiscal.

 

S'agissant, toujours, de cette idée de CSG départementale, les partenaires sociaux ne risquent-ils pas de se montrer réticents ?

Nous redoutions un peu, c'est vrai, que les organisations syndicales soient réservées sur cette proposition de CSG départementale. En tout cas, le rapport Valletoux, qui reprend cette proposition, a été approuvé par tous les syndicats lors du vote au Conseil économique et social. Seul le groupe des entreprises privées a voté contre. Je vais maintenant rencontrer ces organisations syndicales pour les consulter sur le sujet. Les premiers rendez-vous sont pris. Il me semble important de savoir ce qu'elles en pensent.

 

Suite à la publication du rapport Valletoux, que prévoient maintenant de faire l'ADF, l'AMF et l'ARF sur ce sujet de la fiscalité ?

Parallèlement, Jacques Pélissard, Alain Rousset et moi-même avons décidé de mettre en place un groupe de travail commun pour poursuivre notre démarche et étudier en détail les conclusions du rapport Valletoux, ainsi d'ailleurs que celles du rapport Richard, les deux rapports étant complémentaires. Nous allons faire travailler nos experts, faire tourner les ordinateurs... Car il est essentiel de commencer par vérifier la validité juridique et financière de chacune de nos propositions. L'objectif étant à terme, si possible, d'écrire un texte de loi. Certes, le plus difficile commence maintenant. Mais n'oublions pas que c'est la première fois que les collectivités et les élus se prennent en charge de cette façon autour d'un sujet aussi important. C'est aussi sans doute la première fois que nos trois associations font ainsi cause commune. Nous avons commencé à bouger les lignes, à montrer que nous pouvions travailler ensemble. Définitivement, nous avons partie liée. A mon avis, une réforme fiscale d'ampleur ne peut ni ne doit se faire en six mois. Il faut prévoir le temps d'une législature et une montée en charge progressive. Car la réforme devra évidemment aussi inclure des dossiers tels que les bases cadastrales, qui doivent être entièrement révisées. Sur un dossier comme celui-là d'ailleurs, il faudra que nous, élus, fassions preuve de courage.

 

Vos travaux sur la fiscalité ne vont-ils pas nécessairement vous amener à aborder la question du partage des compétences entre collectivités ?

En effet. J'ai précisément demandé à mes services de mener un travail de balayage des compétences des collectivités locales. Il s'agit de repérer avec précision quelles compétences sont exercées par quel niveau de collectivité, de "faire le tri". Personnellement, en tant que président de département, je n'ai par exemple pas d'avidité en matière de formation professionnelle. Je serais même prêt à laisser le département en retrait sur le développement économique. Le coeur de compétence du département se situe bien dans le champ de la solidarité, y compris celui de la solidarité avec les territoires infra-départementaux. Certes, sur certaines thématiques, telles que la culture ou le sport par exemple, on peut continuer à être sur une compétence partagée. Mais même là, des terrains d'intervention distincts peuvent parfaitement être identifiés, depuis l'école de musique municipale jusqu'à l'orchestre philarmonique qui, par son rayonnement, relèvera de la région. Nous devons, de même, essayer de sortir de tous ces financements croisés...

 

Sur l'économie, tous les élus départementaux ne seront sans doute pas de votre avis...

Effectivement, je ne suis pas sûr qu'un département très urbanisé, doté d'un fort tissu économique, soit prêt à abandonner le développement économique.. Mais il faudra bien que nous tranchions. Sinon, de toute façon, on nous l'imposera.

 

L'idée selon laquelle le département devrait s'effacer au profit de l'agglomération dans les zones urbaines semble à nouveau faire des adeptes. Cela vous inquiète-t-il ?

Honnêtement, je pense que la majorité qui sera prête à bouleverser toute cela n'est pas née... Et puis faut-il réellement perdre son énergie là-dessus ? Il me paraîtrait plus raisonnable, à partir des niveaux de collectivités existants, d'introduire davantage de souplesse. Si l'on prend l'exemple du social, le schéma intéressant serait le suivant : un département, clairement identifié comme maître d'ouvrage en matière de social, confie la maîtrise d'oeuvre, par convention, à un autre niveau de collectivité - à une ville, une agglomération. Ce même principe peut être appliqué à d'autres compétences. A condition qu'il soit de part et d'autre librement consenti.
Dans le débat sur les compétences, j'estime pour ma part que les régions, aujourd'hui, risquent de commettre une erreur si elles jouent dans le champ des collectivités de proximité. Là n'est pas leur fonction. La gestion des personnels TOS par exemple, qui est bien lancée dans les départements, leur posent à elles de vrais problèmes. Elles doivent plutôt, afin de se mettre au diapason des grandes régions européennes, prendre leur essor en se centrant sur de grandes politiques liées à l'innovation, à la recherche, à l'industrie, à la formation... Je pense, enfin, que les régions devraient se voir reconnaître un pouvoir réglementaire.

 

Propos recueillis par Claire Mallet