Christophe Béchu à l’offensive au Sénat
Auditionné tous azimuts par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat ce 9 février, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires n’a pas hésité à froisser ses anciens collègues, en les plaçant parfois devant leurs contradictions, notamment à l’égard du zéro artificialisation nette (ZAN), toujours au coeur des préoccupations. Fervent partisan de la décentralisation, il se déclare "prêt à aller très loin" dans le domaine du logement, qu’il abordera le 14 février avec les associations d’élus.
Auditionné par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat ce 9 février, Christophe Béchu s’est gardé de tout propos liminaire (ou presque) pour laisser la plus grande place aux échanges avec les parlementaires. Bien lui en a pris, car les sujets étaient nombreux. Même si le zéro artificialisation nette (ZAN) – qui ne devait pourtant qu’être accessoirement évoqué, puisque prochainement abordé en commission par le Sénat – a une fois de plus concentré l’attention.
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Zéro artificialisation nette
Retour de boomerang
C’est bien connu, la meilleure défense, c’est l’attaque. Dans le dossier du ZAN, si Christophe Béchu a indiqué aux sénateurs qu’il défendait devant eux un texte "qu’il n’avait pas voté parce qu’il n’était pas parlementaire" lors de son adoption et qu’il en connaissait les défauts pour y avoir été "confronté" comme élu local, il leur a également rappelé qu’eux l’avaient "adopté à une très large majorité". Ainsi, alors que la répartition territoriale de l’effort fait toujours débat, les élus locaux se plaignant de ne pas être écoutés, Christophe Béchu interroge ainsi : "Qu’est-ce que vous avez voté ? Vous avez décidé, vous, Parlement, de faire confiance aux régions pour ne pas descendre à un niveau trop bas qui ne tiendrait pas compte des dynamiques de population." Le ministre convient toutefois que la situation est parfois "paradoxale", puisque si "certaines régions sont prêtes à assumer ce rôle, d’autres veulent appliquer le 50% pour tous" (voir notre article du 15 septembre dernier). Et d’indiquer clairement que, dans une telle situation, "cela ne me choquerait pas que l’État reprenne la main".
Contre l’institutionnalisation de la conférence des Scot
Christophe Béchu a également vertement convié ses anciens collègues, qui se font les chantres de la simplification normative (voir notre article du 9 janvier), "à commencer à s’appliquer à eux-mêmes les conseils qu’ils donnent", estimant par ailleurs qu’une "loi de 305 articles n’est sans doute pas le meilleur moyen que chacun d’entre eux soit étudié de manière approfondie". Plus encore, se référant à la proposition de loi sénatoriale récemment déposée (voir notre article du 14 décembre), il les invite "à ne pas complexifier le texte". "N’ajoutez pas de nouvelles instances", implore-t-il notamment, visant ici l’institutionnalisation de la conférence des Scot. "Si les conférences des Scot étaient le moyen que tous les élus soient entendus, ça se saurait", grince-t-il. Et de demander de ne pas "faire croire à l’illusion qu’on pourra entendre tout le monde", rappelant les règles de la démocratie participative à une chambre qui représente elle-même les collectivités. "C’est dans les Sraddet qu’il faut une instance de dialogue, plutôt que d’ajouter un nouvel échelon", plaide-t-il.
Garantie rurale : 1% plutôt qu’1 hectare
Le ministre a par ailleurs clairement affirmé son opposition au "droit à l’hectare" promu par les sénateurs, qui garantirait à chaque commune de pouvoir artificialiser 1 hectare : "Donner la même chose à tout le monde, c’est l’égalitarisme, pas l’équité", dénonce-t-il. Bernard Delcros, sénateur du Cantal (Union centriste), a eu beau observer qu’il ne s’agissait pas "de donner la même chose à tout le monde", mais de prévoir un filet de sécurité pour tous, "comme le Smic ou le minimum vieillesse", Christophe Béchu est resté inflexible. Lui plaide pour que cette "garantie rurale" prenne la forme d’1% du territoire artificialisé– "c’est moins marketing mais plus juste" – et soit réservée "aux seules communes rurales". En retenant plutôt "le critère de la densité que celui de la population" pour les déterminer. Le ministre insiste pour autant à "ne pas créer un monstre qui laisserait croire que ces communes n’auraient droit à rien de plus". Tout en invitant les élus en général à ne pas surestimer leurs besoins. "Tout le monde se voit plus beau qu’il ne l’est", dans une "peur de manquer" qui n’aurait pas lieu d’être, lance-t-il. "Prenez les Scot. On n’a même pas un tiers du territoire national où les projections sont atteintes".
Taxation
Christophe Béchu s’est également prononcé pour une "taxation significative de l’artificialisation. Il faut un signal prix". Une taxation d’autant plus légitime selon lui que "la loi crée un effet de rareté qui génère des surprofits". "Cette rente doit profiter aux collectivités" (voir notre article du 17 janvier). Il souligne que "des outils sont déjà la main des collectivités", mais juge qu’une "réforme fiscale globale en lien avec la transition écologique" est nécessaire (voir notre article du 18 octobre dernier). Et de citer "l’éléphant dans la pièce" avec les 40 milliards d’euros issus de la fiscalité du carburant appelés à se réduire comme peau de chagrin (voir notre article du 18 janvier), ou encore "la fiscalité élevée des terrains agricoles" défavorable à la biodiversité (voir notre article du 18 octobre).
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Décentralisation de la politique du logement
Christophe Béchu a en outre pointé la contradiction entre cette forte demande de foncier des élus et "le recul des mises en chantier". "Des promoteurs immobiliers, parmi d’autres, me rendent compte tous les jours des difficultés qu’ils rencontrent à trouver des maires prêts à accueillir des projets sur leur territoire", pointe-t-il.
Accusé par ailleurs par Éric Kerrouche, sénateur des Landes (groupe Socialiste, écologiste et républicain), "de ne pas prendre la mesure de l’urgence des territoires sous tensions, notamment littoraux, du fait de l’éviction de la population" – induite par l’essor des plateformes de location – "qui génère une frustration folle, une situation intenable […] qui va mener à des problèmes sociaux d’une ampleur folle", le ministre a là encore renvoyé le boomerang. "Je crois à la décentralisation", réplique-t-il, rappelant que "la loi française est aujourd’hui celle qui donne le plus d’instruments aux élus" pour lutter contre ce phénomène, et vantant au passage la pratique de la mairie de La Baule. Le ministre ajoute que la question de la décentralisation du logement sera au cœur des discussions qu’il conduira le 14 février prochain avec les associations d’élus. "Je suis prêt à aller très loin. À l’exception de la question des APL et de l’hébergement d’urgence, tout le reste se discute. Y compris le soutien aux maires bâtisseurs", prévient-il.
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Budgets, filet de sécurité et fonds vert
Comme il l’a fait à l’Assemblée (voir notre article du 6 février), le ministre a souligné que les derniers chiffres disponibles – ils seront définitifs le 15 février – faisaient ressortir "une progression certaine de l’épargne des régions et des départements" et des "tendances plutôt bonnes pour les communes", notant "un recul de la dette". Un optimisme que Françoise Gatel, sénatrice d'Ille-et-Vilaine (Union centriste) et présidente de la délégation aux collectivités territoriales, s’est empressée de relativiser, vantant le comportement précautionneux des élus locaux, davantage enclins à "se faire cigale que fourmi" à l’approche des intempéries. En outre, le ministre concède lui-même qu’il y aurait peut-être "un sujet avec les communes centres". "Le bouclier tarifaire a certainement préservé les petites communes. Mais il est vraisemblable que la photo ne soit pas la même pour les communes où les charges de centralité sont plus grandes", redoute-t-il.
Relevant une nouvelle fois que seules 4.100 communes ont demandé jusqu’ici à bénéficier du filet de sécurité (pour 2022), pour "environ 100 millions d’euros d’acompte", il se dit "pas certain qu’on atteigne les 430 millions d’euros votés". D’où selon lui la nécessité d’étudier "assez vite la pertinence des critères retenus pour le filet 2023, doté "d’1,5 milliard d’euro cette fois", pour conjurer le risque "qu’ils retournent dans le pot commun". "Ce n’est pas une manière de dire que les crédits ne seront pas au rendez-vous, mais une alerte pour s’assurer qu’ils le resteront. Je prends les devants pour éviter une éviction de crédits", insiste-t-il.
Le ministre a également confirmé le succès naissant du fonds vert. "À date, plus de 2.500 dossiers ont déjà été déposés." Il souligne que "la manière dont sera exécuté le fonds donnera des arguments pour le prolonger et mieux le flécher" l’an prochain.
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"Agencification"
Christophe Béchu a par ailleurs appelé les sénateurs à se méfier de la fausse bonne idée de la fusion des différentes agences – Ademe, ANCT, Anru, Cerema – suggérée par la présidente de la délégation, Françoise Gatel. À l’heure où "les défis de la transition écologique nécessitent davantage d’ingénierie, conclure qu’il faudrait moins de structures est antinomique. Le sujet, c’est leur articulation, pas de créer un gros machin" qui ferait "perdre en agilité et en souplesse", explique-t-il. Et d’inviter les sénateurs à se garder de l’équation "moins d’agences égale moins de dépenses", en dressant le parallèle avec un potentiel "moins de collectivités égale moins de dépenses".
Le ministre a de même insisté sur le fait qu’il "croit profondément aux agences locales. Laissons la liberté locale se mettre en place", insiste-t-il, saluant ici le rôle de "grand frère de l’ANCT, dans le respect du principe de subsidiarité".
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Eau et rénovation thermique
Le ministre a par ailleurs confirmé "qu’il n’aura pas la main qui tremble" pour confirmer l’échéance du transfert de la compétence eau aux intercommunalités (voir notre article du 27 janvier). "700 communes ont connu des difficultés en matière d’approvisionnement en eau potable l’an dernier", recense-t-il, en pointant la forte "corrélation entre gestion solitaire et défaut d’approvisionnement". Il a également déclaré avoir finalisé avec Bérangère Couillard le plan Eau, qui comprendra une cinquantaine de mesures, actuellement "à l’arbitrage".
Évoquant également le chantier de la rénovation thermique des bâtiments scolaires, le ministre a déclaré envisager de confier une mission à la Banque des Territoires afin de proposer un référentiel national pour en faciliter la mise en œuvre.