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Logement - Chiffres de la construction : une nouvelle méthode pour corriger une sous-estimation chronique

A compter des chiffres de janvier 2015, diffusés ce 27 février, le ministère du Logement applique une nouvelle méthodologie officielle "plus fiable" de recensement de la construction, concernant principalement les mises en chantier.

Une nouvelle méthodologie venant soudainement faire apparaître des dizaines de milliers de logements bel et bien sortis de terre et pourtant jusqu'ici oubliés par les statistiques ? Les mauvais esprits seraient tentés de parler de tour de passe-passe. Le sujet est pourtant des plus sérieux et répond à une problématique déjà ancienne. Et vient de prendre une tournure très concrète : comme annoncé en janvier dernier par le ministère et comme demandé de longue date par de nombreux acteurs, à compter des chiffres de janvier 2015, diffusés ce vendredi 27 février, le ministère du Logement applique une nouvelle méthodologie officielle "plus fiable" de recensement de la construction, concernant principalement les mises en chantier.
Depuis des années, les chiffres de la construction s'éloignaient de la réalité, explique aujourd'hui le ministère du Logement. Autrement dit, la France construit beaucoup plus que ne le disaient les statistiques. Depuis 2004, le seuil de 400.000 logements mis en chantier aurait même été franchi sept fois, avec un pic à 493.900 en 2006, selon les nouveaux calculs du ministère.
En 2014, qui apparaissait comme le pire cru depuis 17 ans, ce sont en fait 356.200 logements qui auraient vu leur construction débuter, soit près de 58.600 de plus qu'initialement annoncé. Sur les années précédentes, les logements non comptabilisés s'élèveraient à 69.900 en 2013, 52.400 en 2012, 1.500 en 2011 (la mise en œuvre cette année-là des pôles interrégionaux de la statistique avait permis de récupérer les données de la période) et 68.900 en 2010. Au total, depuis 2000, le déficit est de 346.000 logements, dit le ministère. Dont plus de 260.000 sur les six dernières années.
Certains professionnels du secteur faisaient depuis longtemps valoir ce décalage, sans forcément pouvoir avancer de chiffres. "Depuis plusieurs années à la Fédération française du bâtiment, nous disions que les statistiques officielles ne concordaient plus avec nos carnets de commande de gros oeuvre, la consommation des volumes de matériaux, le niveau des crédits immobiliers...", a expliqué à l'AFP Jacques Chanut, le président de la FFB. "Nous savions depuis longtemps que ces chiffres étaient très fragiles, et l'idée que la construction était sous-estimée était assez répandue", renchérit l'urbaniste Jean-Claude Driant.
En 2010, un rapport du Conseil national de l'information statistique (Cnis) soulignait cette "situation délicate" notamment due selon lui à la négligence des demandeurs de permis de construire, qu'il s'agisse de promoteurs, de particuliers ou de bailleurs sociaux. Faute de sanction, ceux-ci "omettent fréquemment" au début des travaux, de s'acquitter de l'obligation de déclarer l'ouverture de leur chantier, relevait le Cnis (voir ci-contre notre article de 2010).

Croiser les données collectées avec d'autres paramètres

Transmises parfois avec retard, recensées par l'administration avec une célérité très inégale d'une région à l'autre, ces données reflétaient de moins en moins les mises en chantier en temps réel.
S'agissant du délai de remontée d'information, il fallait compter deux mois en moyenne pour les autorisations dont la remontée est automatique vers la base Sitadel, et cinq mois pour les mises en chantier, dont la déclaration, non automatisée, relève du porteur de chaque projet. Une instabilité de la collecte a en outre été observée entre 2007 et 2011 suite à la réforme du droit des sols et à la décentralisation des centres instructeurs. Avec des écarts de collecte pouvant "représenter jusqu'à 40.000 logements sur un an".
Enfin, toujours depuis 2007, dit le ministère, de vrais "trous de collecte" ont notamment été recensés en Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Aquitaine. Parfois tout simplement dus à l'absence prolongée du fonctionnaire chargé de compiler les chiffres, relatent certains... Une situation pour le moins problématique pour une statistique évidemment suivie de près tant par les collectivités locales que l'Etat, les professionnels ou les banques.
Désormais, dit le ministère, les chiffres seront calculés à l'aide d'un modèle statistique fiable, censé délivrer "une information en temps réel de la conjoncture" et fournir des "résultats plus fidèles à la réalité du terrain". La nouvelle méthode a été élaborée par le service de l'observation et des statistiques (SOES), en collaboration avec l'Insee.
Jugeant impossible de remédier totalement aux limites de la collecte administrative, les données collectées sont désormais complétées, pour ajuster les résultats, par des enquêtes annuelles et croisées avec d'autres paramètres (stock de logements invendus des promoteurs, taux d'intérêt, moral des ménages...) Une quarantaine de personnes supplémentaires vont assurer le traitement des données.
Les nouvelles statistiques étonnent toutefois certains professionnels. Elles "montrent une stabilité de la production de logements collectifs de 2010 à 2014. Cela ne correspond pas à ce que nous vivons sur le terrain : depuis deux ou trois ans, nous avons lancé moins de chantiers", note François Payelle, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). "Perplexe", il réfute toute négligence des promoteurs vis-à-vis de la déclaration d'ouverture de chantier, une "obligation au regard des assurances et des contrôles d'hygiène et de sécurité". Le document est nécessaire à l'enregistrement d'une vente chez le notaire, rappelle-t-il.
Certes, pour disposer d'une base de données "parfaitement fiable", il faudrait saisir les informations au fur et à mesure, ce qui demanderait des "moyens humains et financiers conséquents". Le ministère ne le juge "pas envisageable". La réforme des indicateurs de la construction devrait toutefois se poursuivre... Parmi les pistes envisagées par le ministère : lier certaines recettes versées aux collectivités locales (aides aux maires bâtisseurs, taxe d'aménagement…) à la qualité des informations sur la construction transmises par celles-ci ; renforcer le système de relance auprès des pétitionnaires pour connaître l'état des travaux ; sensibiliser les communes aux enjeux liés à la qualité de la collecte en leur faisant un retour systématique et personnalisé sur les informations remontées…

Nouveaux chiffres ou pas, la tendance reste pour l'heure à la baisse…
Si les effets de cette nouvelle méthode censée corriger une sous-estimation chronique sont assez spectaculaires sur la période récente, en réalité, "l'allure de la courbe ne change pas du tout au tout" et la construction reste "très en deçà des objectifs", reconnaît-on au ministère, où "la priorité reste la relance du logement et de la construction". "Il y a bien une crise du logement neuf et pour résorber le déficit d'un million de logements (...), il faudrait en construire 500.000 par an pendant dix ans", résume de son côté le président de la FFB. Les choses pourraient toutefois connaître un sursaut au second semestre : les acheteurs seraient, nous dit-on, de retour dans les bureaux de vente des promoteurs…
Pour l'heure en tout cas, les mises en chantier de logements neufs en France ont encore reculé de 11,6% sur un an, en glissement annuel, avec quelque 352.900 logements mis en chantier entre février 2014 et fin janvier 2015, a annoncé vendredi le ministère du Logement. Le ministère avait initialement annoncé qu'elles étaient passées sous la barre des 300.000 à la fin de l'an dernier. 374.500 logements ont par ailleurs été autorisés à la construction, en recul là aussi sur les douze derniers mois, de 8,2%.
"La chute des mises en chantier et des permis de construire, qui reste sensible, n'est que le résultat des mauvaises ventes des trois premiers trimestres", a commenté auprès de l'AFP le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). "Et mécaniquement, les mauvaises mises en chantier de la fin 2014 vont encore peser jusqu'à la fin de l'année 2015", dit-il.
Toutefois cette baisse persistante n'est "pas contradictoire", assure-t-il, avec l'amélioration des ventes constatée ces dernières semaines. Ce regain de la commercialisation devrait "se concrétiser dans les mises en chantier à partir de la fin du premier semestre 2015 et au second semestre", prévoit-il. Et serait dû, selon les promoteurs, aux assouplissements apportés au dispositif fiscal Pinel.