Intercommunalités - Charles-Eric Lemaignen : la baisse des dotations a été "trop rapide, trop forte"
Il y a le chantier de la réforme territoriale. Et il y a les autres chantiers, les vrais, qui subissent un coup de frein avec la chute de l'investissement public. Entre les deux, quantités d'intercommunalités sont aujourd'hui plongées dans le doute. "Il faut sortir de ce flou qui dure depuis trop longtemps", a asséné Charles-Eric Lemaignen, le président de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), le 29 mai, lors de la 11e journée des présidents d'agglomération et de métropoles organisée au Palais d'Iéna. Car pour les intercommunalités, la question du développement économique devient cruciale pour espérer relancer l'investissement et la croissance. "Nous avons besoin d'un cadre clair, que la réforme territoriale ne soit pas sans cesse remise en cause", a développé le président de la communauté d'agglomération Orléans Val de Loire, à l'issue de l'examen du projet de loi relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République (Notr) par les sénateurs, qui sont peu ou prou revenus à leur version initiale (le vote aura lieu ce mardi 2 juin). "On attend de la seconde lecture de l'Assemblée de la clarté sur les compétences et les périmètres." "On ne peut pas accorder aux métropoles une Formule 1 (avec la loi Maptam, ndlr) et aux autres intercommunalités la Clio de service", a-t-il encore illustré. Car "l'égalité des territoires est vraiment un mythe".
"Co-élaboration" des schémas régionaux
Pour les agglos, les régions doivent assurer un rôle de chef de file, pas de donneurs d'ordre. Il est "logique que les régions aient pour rôle de développer une stratégie régionale, qu'elles aient le monopole sur les aides aux entreprises", ou sur l'international, a admis Charles-Eric Lemaignen. Mais leurs schémas de développement économique, d'innovation et d'internationalisation ne doivent pouvoir être prescriptifs que s'ils font l'objet d'une véritable "co-élaboration". Que le schéma régional puisse s'imposer dans des domaines où les agglos auront une compétence exclusive avec la loi Notr, comme l'immobilier d'entreprises, pose un "problème constitutionnel", a-t-il fait remarquer. Or les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) créées par la loi Maptam s'apparentent plutôt à des "grand-messes". Le président de l'AdCF plaide, lui, pour des "conventions territoriales d'application", territoire par territoire, à chaque fois que les intercommunalités auront une compétence exclusive. Pour rappel, dans le projet de loi, il est question de conventions territoriales d'exercice des compétences (CTEC) qui viennent répartir les rôles de chacun. "Ce n'est pas la région qui fera l'opérationnel de proximité", comme les fonctions support des entreprises, "cela c'est le bloc local qui s'en occupe", a encore insisté Charles-Eric Lemaignen. Il n'est "pas possible" non plus, selon lui, que les régions soient les seules à s'occuper des pôles de compétitivité ou de l'innovation, surtout dans la perspective des futures grandes régions. Avec les fusions, "les régions vont être éloignées des territoires", a abondé dans ce sens Dominique Huot de Saint-Albin, directeur de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, un territoire où Airbus veut installer des "Fablabs". "Si la région ne soutient pas ce projet, le risque est qu'Airbus aille à Toulouse", a-t-il pris pour exemple.
En somme, les intercommunalités revendiquent cette compétence exclusive en matière d'immobilier d'entreprise, de tourisme ou de commerce, mais pour Charles-Eric Lemaignen, la politique locale du commerce, c'est-à-dire le commerce de proximité, doit rester de la compétence de la commune.
Sur la co-élaboration des schémas, "il y a une vraie résistance, un combat législatif à mener", a prévenu Estelle Grelier, députée socialiste de Seine-Maritime. L'élue a également regretté la prétention d'autres niveaux à s'associer aux schémas. "Si les départements n'y sont pas, nous n'en serons pas totalement chagrinés." Quant à l'Etat, "il a peut être autre chose à faire", a-t-elle ironisé…
S'agissant du seuil de population des intercommunalités ramené de 20.000 habitants à 5.000 par les sénateurs, en bonne normande, Estelle Grelier semble favorable au compromis de 15.000 habitants soutenu notamment par le socialiste Jean-Pierre Sueur ou le centriste Michel Mercier. Selon elle, le seuil de 20.000 habitants avait été imaginé dans le contexte d'une disparition du département et n'est donc plus tout-à-fait pertinent.
"Des super-mairies ou des territoires de projets ?"
L'autre grand sujet d'inquiétude des intercommunalités, qui va de pair avec le premier, c'est la baisse de l'investissement et le risque de récession qui en découle. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'annonce de Manuel Valls, jeudi 29 mai, de créer un fonds pour l'investissement local d'un milliard d'euros est accueillie avec prudence. "Qu'est-ce que ça va être ? Un fonds uniquement destiné aux communes rurales ou éclaté pour compenser la baisse encore plus forte des crédits des agences de l'Etat ?", s'est interrogé Charles-Eric Lemaignen. Selon lui, la baisse de l'investissement du bloc communal (-12,4% en 2014, première année du programme de réduction des dotations) représente "une chute considérable" que le calendrier électoral explique pour partie, mais qui tient surtout à la baisse des dotations. "Il est donc possible que cela va continuer", anticipe le président de l'AdCF qui demande au moins "un allègement des normes et zéro transfert sur le long terme". "Entre 1995 et 2002 en Allemagne, l'investissement a chuté de 47 à 29 milliards d'euros (…) Cette baisse était due essentiellement à un effondrement des investissements des communes allemandes" qui a diminué de moitié, a-t-il alerté. Or "la qualité des infrastructures est un des points clés de l'attractivité du territoire français", a-t-il souligné. La baisse des dotations est "trop rapide, trop forte". "On aurait dû sanctuariser l'investissement et baisser les dotations au prorata des dépenses de fonctionnement", a-t-il suggéré.
"Que veut-on faire des agglos ? Des super-mairies ou des territoires de projets ?", a demandé Stéphane Martin, le président du Grand Chalon qui a décidé de transformer la moitié des 4 millions de sa dotation de solidarité communautaire (DSC) en un fonds de relance de l'investissement local.
Dans ce contexte morore, trois éléments pourraient contribuer à une relance de l'investissement : le plan Juncker, la programmation des fonds européens et celle des contrats de plans Etat-région en cours de finalisation. Mais le lancement de la campagne des élections régionales fait craindre un "gel" de ces dépenses. "C'est un vrai souci", s'inquiète-t-on à l'AdCF.