Changement climatique : associations de défense de l’environnement et sinistrés attaquent l'Etat pour renforcer l'adaptation

Des associations de défense de l'environnement et des citoyens sinistrés ont annoncé ce 8 avril leur intention de poursuivre l'Etat pour que la France renforce ses mesures d'adaptation au changement climatique, une "première" européenne selon les requérants.

Après avoir déjà fait condamner l’Etat en 2021 pour inaction climatique, les ONG de l’"Affaire du Siècle" (Greenpeace, Notre Affaire à Tous et Oxfam), rejointes par 11 personnes ayant, d'une manière ou d'une autre, subi les conséquences du changement climatique (champs inondés, fissures dans le logement, coupures d'eau, canicules ...) ont annoncé ce 8 avril vouloir former un recours devant le Conseil d’Etat.

Recours pour excès de pouvoir

"Cette action en justice ne vise pas à obtenir d’indemnisations personnelles pour les sinistrés mais à obliger l’Etat à renforcer ses politiques d’adaptation et à prendre des mesures concrètes et efficaces pour protéger et soutenir toute la population face aux risques climatiques", ont-elles souligné. Elle repose sur un recours pour excès de pouvoir qui permet de contester la légalité d’un acte administratif, en l’occurrence le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) présenté en mars dernier pour préparer les transports, les infrastructures énergétiques ou l'agriculture à un réchauffement en France de +4°C d'ici la fin du siècle, jugé "largement insuffisant" par les associations et les citoyens requérants. "Sans financement dédié, sans cadre contraignant, et sans suivi rigoureux, ce plan manque de mesures concrètes en matière de prévention et de gestion des risques, ne prend pas en compte les inégalités sociales et territoriales face aux conséquences du changement climatique et ne garantit donc pas la protection de toute la population face aux impacts inévitables et croissants du dérèglement climatique", estiment-ils.

"Lacunes" du PNACC-3 et des politiques sectorielles associées

Le recours s’appuie notamment sur l’obligation générale d’adaptation au changement climatique à la charge de l’État, déduite des textes constitutionnels, en particulier la Charte de l’environnement, et confortée par le droit international, le droit du Conseil de l’Europe et le droit européen, ont-ils indiqué. "Il fait la démonstration détaillée des lacunes du PNACC-3 et des politiques sectorielles associées, notamment en matière de gestion des inondations, de lutte contre les effets du phénomène de retrait-gonflement des argiles, de sécurisation de l’accès à l’eau, de protection contre les vagues de chaleur ou encore des pertes agricoles", ont-ils souligné.

Des dommages graves déjà vécus par les requérants

Ces dommages se multiplient alors que la France se réchauffe plus vite que la moyenne du globe, avec déjà une hausse des températures en métropole de 1,7°C depuis 1900. Les personnes requérantes "représentent une cartographie des conséquences existant déjà en France", a expliqué à l'AFP Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France. "Le changement climatique c'est aujourd'hui et pas quelque chose qui va se produire dans 10 ou 20 ans", a souligné l'une d'elles, Marie Le Mélédo. Elle a acheté un appartement en banlieue parisienne en 2018 mais celui-ci "s'est entièrement fissuré en 2020" à la suite d'une sécheresse historique, l'obligeant à se reloger à ses frais. La maison de Mohamed Benyahia, dans la Sarthe, a aussi été victime de ce phénomène de retrait-gonflement d'argiles, occasionné par la succession des sécheresses et des pluies. "En 2018, à cause des premières canicules intensives, les premières fissures sont apparues sur la maison", l'obligeant alors à condamner une fenêtre. "A partir de ce jour-là, ma vie a basculé. Tous les jours j'entends des craquements et les fissures sont de plus en plus profondes", raconte cet informaticien de 64 ans, la voix tremblante d'émotion.

Racha Mousdikoudine, présidente de l'association "Mayotte a soif", dénonce pour sa part une situation dans l'archipel "indigne d'un territoire français", en raison des coupures d'eau. Elle redoute les jours où elle est contrainte de dire à ses enfants "qu'il n'y aura pas de petit-déjeuner" ou "qu'ils n'auront pas d'eau pour se laver".

"Si ce recours permet de faire en sorte que la politique d'adaptation au changement climatique soit plus courageuse, mieux financée... alors nous aurons réussi", estime Cécile Duflot, directrice d'Oxfam France et ancienne ministre.

Un PNACC-3 plus ambitieux que ses prédécesseurs, défend le gouvernement

Du côté du ministère de la Transition écologique, on répond en défendant un PNACC-3 plus ambitieux que les précédents, fruit de "plusieurs mois de concertations". Ce plan a "été enrichi par les recommandations du Conseil national de la transition écologique (CNTE)", instance réunissant ONG, syndicats, entreprises et élus locaux, qui a "émis un avis favorable à la quasi-unanimité sur le texte", souligne-t-on encore dans une réaction transmise à l'AFP. "1,6 milliard d'euros seront mobilisés dès 2025 pour accélérer l'adaptation de notre pays", en majorité pour financer les Agences de l'eau mais aussi pour la prévention du retrait-gonflement d'argiles et les initiatives des collectivités locales, ajoute le gouvernement.

"Combat de longue haleine"

Concrètement, les requérants vont adresser une demande préalable au gouvernement. Le texte de 162 pages réclame la "révision" du PNACC-3 et "l'adoption de toutes mesures utiles permettant d'assurer, ou de renforcer, l'adaptation". Au bout d'un délai de deux mois et en l'absence, jugée probable, de réponse, il sera alors possible de saisir le Conseil d'Etat. Vers la "mi-juin", pronostique Clément Capdebos, l'un des avocats.

"C'est la première fois dans l'UE qu'un Etat est attaqué par des habitants sur le fait qu'il doit protéger les citoyens contre le changement climatique", souligne la juriste Cléo Moreno. "C'est un combat de longue haleine, on va se voir pendant des années", anticipe Cécile Duflot.

 

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