Cour des comptes - Cadre de vie et infrastructures : une adaptation de plus en plus urgente
La deuxième partie du rapport annuel de la Cour des comptes publié ce 12 mars analyse la mise en œuvre de l'adaptation au changement climatique en matière d'urbanisme et de logement, notamment, ainsi qu'au niveau des infrastructures, des centrales nucléaires et des barrages, avec la problématique de l'eau, au réseau ferroviaire. Dans tous ces domaines, un changement de braquet s'impose, selon la Cour.
- Des logements jugés "très majoritairement inadaptés" au changement climatique
La Cour des comptes juge le parc de logements en France "très majoritairement inadapté" aux risques liés au changement climatique que sont les pics de chaleur, le retrait-gonflement des sols argileux (RGA) qui fragilise les fondations de l'habitat, et les inondations, souligne-t-elle dans son rapport annuel.
Depuis 2010, la France s'est "engagée fortement dans la mutation de son parc résidentiel au travers de la politique de rénovation énergétique et thermique des logements". Mais cette politique relève avant tout de "l'atténuation", dans la mesure où l'objectif recherché "concerne expressément la réduction de la consommation énergétique finale des logements et des émissions de gaz à effet de serre", constatent les magistrats de la rue Cambon.
Elle s'est ainsi concentrée sur le changement du mode de chauffage et sur l'amélioration du confort d'hiver. A contrario, "les rénovations globales, qui permettent de traiter l'ensemble de l'habitat, y compris la ventilation et l'isolation des logements, voire les systèmes de protection, pour répondre aux pics de chaleur (...) n'ont représenté que 3% des surfaces rénovées" en 2022 dans le cadre du dispositif d'aides "MaPrimeRénov', souligne le rapport.
Alors que les risques devraient augmenter en durée et en fréquence, et que le retrait-gonflement des argiles touche désormais "tout le territoire métropolitain", les mesures d'adaptation des logements restent donc "rares" et les aides publiques inadaptées.
Dans le parc neuf, les règles d'urbanisme et de construction "se sont certes multipliées et précisées", mais ces logements ne représentent qu'"un apport limité à 1% par an du parc". Certains risques ne sont pas pris en compte "faute de connaissances des zones concernées et des réponses à apporter", comme les inondations par remontée de nappes phréatiques. De plus, "aucune étude prospective n'a été menée sur le coût global de l'adaptation des logements" ni "sur la répartition des charges afférentes" entre Etat, collectivités, entreprises et ménages.
Pour agir sur le parc existant, les magistrats recommandent de faire émerger des "solutions techniques soutenables", notamment financièrement, et "efficaces", ainsi que de sensibiliser régulièrement la population aux risques. "L'enjeu de l'adaptation des logements doit donc être inscrit au rang des priorités publiques et faire émerger une politique d'ensemble", soulignent-ils. Les travaux de protection solaire devraient notamment être intégrés aux dispositifs d'aides à la rénovation. Ils demandent aussi d'accélérer les projets de recherche et les expérimentations relatifs à la prévention des risques d'inondation et de retrait-gonflement des sols argileux. Enfin, la future stratégie nationale d'adaptation, dont la publication est attendue cet été doit "chiffrer des scénarios d'adaptation du parc résidentiel et définir leurs modalités de mise en oeuvre".
Le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique "inclura de nombreuses mesures applicables au niveau national ou territorial" pour l’amélioration du confort d’été et la limitation des risques liés au RGA, a assuré Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique dans sa réponse au rapport annuel de la Cour. Le ministre rappelle en parallèle l’appel à projets de l’Ademe "doté de 20 millions d'euros […] dans le cadre de France 2030 afin d’identifier et d’accompagner l’innovation dans les pratiques associées à la lutte contre le retrait-gonflement des sols argileux". Christophe Béchu évoque enfin le dispositif "Mieux reconstruire après inondation", qui finance "les diagnostics, études et travaux pour reconstruire des bâtiments touchés par des inondations".
- Les villes encore mal préparées à l'augmentation des températures
Face à la hausse des températures et à la multiplication des canicules, les villes françaises ont aussi des problèmes d'adaptation, relève la Cour des comptes dans son rapport annuel.
Le changement climatique a des conséquences majeures sur les populations urbaines en raison de l'augmentation des températures maximales en été, mais aussi de difficultés nouvelles d'approvisionnement en eau potable et d'un risque accru d'inondations, souligne la Cour, qui se concentre toutefois principalement dans son rapport sur la problématique de l'adaptation des villes à l'élévation des températures. Paris, qui a connu un record de chaleur de 42,6°C le 25 juillet 2019, est ainsi la capitale européenne "la plus exposée en cas de canicule", rappellent les magistrats de la rue Cambon.
Confrontées à la multiplication d'épisodes météorologiques extrêmes, les collectivités urbaines ont adopté "tardivement" des stratégies d'adaptation au changement climatique, constatent-ils, mais ces dernières ne répondent "que partiellement" aux enjeux identifiés. Ces stratégies sont inscrites dans des documents de planification locaux, notamment les "plans climat-air-énergie territoriaux" (PCAET) que les intercommunalités de plus de 20.000 habitants doivent élaborer depuis 2016, mais le foisonnement de différents types de plans nécessite une "rationalisation". Ces plans d'action s'appuient par ailleurs souvent sur des diagnostics incomplets, "qui prennent en compte insuffisamment les effets du changement climatique", ou qui manquent de données scientifiques. De plus, les coûts associés aux mesures prises ne font pas l'objet d'un suivi suffisant et demeurent "mal connus".
Les auteurs du rapport appellent donc à la mise en oeuvre de trajectoires définissant "les étapes à franchir et les objectifs à atteindre" pour faciliter l'émergence de "transformations structurelles".
Pour s'adapter, les villes ont eu "largement recours à des mesures fondées sur la végétalisation", particulièrement efficace pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, note la Cour. Alors que la Commission européenne a proposé en 2023 que la surface du couvert arboré urbain atteigne "au moins 10%" d'ici à 2050, cet objectif représenterait en France "un investissement total de 3,6 milliards d'euros pour planter 2,4 millions d'arbres, soit un coût annuel de 360 millions d'euros", selon la Cour, qui juge cet effort "soutenable" au regard des dépenses actuelles du bloc communal dans ce domaine et de la dotation du Fonds vert, "sous réserve d'une mobilisation conjointe du foncier privé". Elle propose dès lors d'introduire dans le socle commun des stratégies locales d'adaptation un plan prévoyant des mesures de protection du patrimoine naturel et des objectifs d'augmentation de la surface des espaces verts et du couvert arboré.
Pour prévenir la "mal-adaptation" qui consisterait par exemple à voir se multiplier les climatiseurs individuels, qui augmentent les effets d'îlots de chaleur urbains par le rejet d'air chaud à l'extérieur, l'option du déploiement de réseaux de froid urbains, comme celui existant à Paris mais dont la taille reste modeste pourrait être examinée, indiquent en outre les auteurs du rapport.
Ils préconisent également d'associer davantage les communes à la planification locale, en prévoyant l'élaboration de stratégies conjointes avec le niveau intercommunal, ou d'établir une "programmation financière" des dépenses d'adaptation.
Dans sa réponse, le ministre rappelle que le prochain plan national d'adaptation au changement climatique doit permettre de "rendre opérationnelle la mise en œuvre d’actions concrètes d’adaptation, par la diffusion d’une liste d’actions sans-regret, pouvant être mises en place par toutes les villes pour faire face, sans mal-adaptation, aux effets du changement climatique". Il souligne également le rôle des COP territoriales, qui doivent permettre à tous les acteurs du territoire de se réunir pour définir ensemble leur propre stratégie d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation au changement climatique.
Enfin, il écrit que "l’action publique de l’État positionne l’adaptation des villes au changement climatique au sein d’une vision holistique de l’aménagement urbain, en soutenant les réponses intégrées aux défis de la ville durable mises en œuvre dans les territoires. Dans cette optique, concernant les solutions fondées sur la nature, l’État continue à porter la renaturation, plutôt que la seule végétalisation". Le ministre invite en outre à exploiter les "leviers d’adaptation dits 'gris' (conception urbaine bioclimatique)".
- Energie : des améliorations attendues pour adapter centrales nucléaires, barrages et réseau de distribution électrique
La Cour des comptes demande des investissements supplémentaires pour adapter les 18 centrales nucléaires, les barrages et le réseau de distribution d'électricité français au réchauffement climatique. Le changement climatique "est largement intégré dans les référentiels et normes de sûreté, mais l'adaptation fait peser des exigences nouvelles pour les exploitants", en particulier la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), gestionnaire de barrages, et EDF, souligne la Cour dans son rapport annuel.
Alors que les centrales représentent 12% de la consommation totale d'eau en France, les auteurs du rapport recommandent d'envisager "si nécessaire" un accroissement de leurs "capacités d'entreposage", comme cela a déjà été envisagé à Civaux sur la Vienne après la canicule de l'été 2022 afin de stocker les effluents lorsque l'étiage des cours d'eau (leur plus bas niveau) est trop faible pour les rejeter sans dommage pour l'environnement. Le rapport souligne aussi le besoin d'installation de tours aéroréfrigérantes dans les centrales dont la période de vie sera rallongée, afin de "réduire les températures de réchauffement des rivières". La Cour chiffre à 500 millions d'euros le coût unitaire de chaque aéroréfrigérant qu'EDF prévoit d'installer "systématiquement" pour les nouveaux EPR2 en bord de fleuve.
En bord de mer, les futurs réacteurs EPR2 prévus à Penly en Seine-Maritime seront installés à "11 mètres au-dessus du niveau de la mer". Mais "ce n'est pas le cas" de ceux prévus à Gravelines (Nord) à côté de Dunkerque, s'inquiète la Cour. Or le scénario d'une accélération de la fonte des calottes glaciaires "dont le Haut Conseil pour le Climat estime qu'il est prudent de tenir compte" induit "dès 2075 une élévation du niveau de la mer de 0,9 à 1,25 mètre, soit deux fois ce qui a été projeté à la même date", relève le rapport.
Pour les barrages, le changement climatique les expose à des "crues exceptionnelles" ou des "glissements de terrain", avec des "risques de rupture" ou "d'inondations".
La Cour réclame aussi des "mesures d'adaptation à renforcer" sur les réseaux de distribution d'électricité, à la suite de celles déjà prises après les tempêtes de décembre 1999. Le rapport demande aux gestionnaires de réseau RTE et Enedis de réexaminer leurs stratégies d'investissement pour en tenir compte.
Dans sa réponse, le PDG d'EDF rassure la Cour en disant que des "plans d'adaptation au changement climatique ont bien été établis aussi bien pour les infrastructures nucléaires que pour les aménagements hydroélectriques".
- Réseau ferroviaire : la SNCF appelée à se doter de meilleurs outils
Constitué de plus de 27.000 km de lignes, le réseau ferroviaire est "structurellement vulnérable aux événements météorologiques extrêmes qui touchent le territoire métropolitain : les équipements électroniques et métalliques (voies, caténaires) sont sensibles à la température, les voies et leurs assises sont exposées aux inondations et ruissellements, etc.", note la Cour des comptes dans son rapport annuel.
Une vulnérabilité intrinsèque "pour partie liée à l’ancienneté du réseau" à laquelle s'ajoute la vétusté de certaines composantes de l'infrastructure qui "accentue leur sensibilité aux aléas météorologiques". En 2022, ces aléas ont ainsi généré "19 % des minutes de retard imputables à SNCF Réseau". Des perturbations qui "pourraient être multipliées a minima par 2,2 voire 2,4 à l’horizon 2050 et par 8 voire 11 à l’horizon 2100", soulignent les magistrats de la rue Cambon, inquiets de constater que le gestionnaire d'infrastructures "ne dispose pas des outils nécessaires à l'identification et à la mesure des coûts générés par le changement climatique".
Les outils actuels - "Toutatis", pour anticiper les aléas liés aux fortes pluies, "Metigate" pour prévoir la température du rail et les risques de dilatation - ne permettent pas de "modéliser les effets du changement climatique". Certaines décisions comme le tracé de nouvelles lignes n'intègrent donc pas les risques liés au changement climatique, comme la hausse du niveau de la mer.
La Cour exhorte donc la SNCF à y remédier. Elle préconise en particulier de "définir un plan d’adaptation au changement climatique inclus dans le contrat d’objectifs et performance" signé entre l’État, SNCF Réseau et SNCF Gares et connexions. Ce plan devrait être "fondé sur une étude d’impact, une budgétisation et un suivi organisé". Le rapport préconise aussi d’identifier et mesurer les coûts d’adaptation au changement climatique du réseau ferroviaire et des gares, en fonctionnement et en investissement, d’intégrer les dernières prévisions de changement climatique dans les normes et référentiels nationaux de conception des composantes du réseau ferroviaire et des gares et d’ajuster régulièrement les marges de conception en conséquence. Dernière recommandation pour les projets de développement d’infrastructures de transport : compléter le référentiel des analyses socio-économiques par une analyse de la résilience au changement climatique.