Archives

Réforme des collectivités - Ces territoires qui se rêvent en commune nouvelle

En conditionnant la création des communes nouvelles à des critères très stricts, on pensait que le Parlement serait le fossoyeur de cette idée soutenue par le gouvernement. Pourtant, six mois après la promulgation de la loi de réforme des collectivités, des maires ne semblent pas découragés et mettent en débat le concept. Parmi leurs objectifs : maintenir ou développer les services publics dans un contexte financier difficile.

Bihorel et Bois-Guillaume, deux communes respectives de 8.700 et 13.400 habitants situées au nord de Rouen, uniront peut-être leurs destinées le 1er janvier 2012. Leurs habitants sont appelés, le 26 juin prochain, à se prononcer sur le projet de commune nouvelle initié par les élus majoritaires des deux villes. Sans être déterminant, le résultat de la consultation pèsera évidemment sur la décision que les conseils municipaux prendront dans les jours suivants.
Les deux maires soutiennent que la fusion de leurs communes aura pour effet d'améliorer la qualité des services rendus. La mutualisation des moyens permettrait aussi la construction de deux nouvelles salles municipales et l'offre pour l'accueil de la petite enfance pourrait être développée. Aux économies de fonctionnement doivent, en outre, s'ajouter des économies sur les pénalités versées en matière de logement social, qui sont significatives à Bois-Guillaume (6,5% de logements sociaux). Bihorel ayant aujourd'hui 30% de logements sociaux, la commune nouvelle comptera 17% de logements de ce type et se situera, donc, assez près de l'obligation légale de 20%. Enfin, la collectivité pourra économiser, en un mandat, 500.000 euros sur les indemnités des élus, puisque ceux-ci seront moins nombreux. Cela correspond à la moitié du coût de construction d'une crèche, souligne Gilbert Renard, maire de Bois-Guillaume, invité à faire part de son témoignage lors d'une journée d'échanges sur les communes nouvelles organisée par Mairie-Conseils.

Peur d'une perte d'identité

Le projet ne laisse pas la population indifférente : environ 2.000 personnes se sont rendues à l'une des six réunions publiques, qui se sont tenues entre février et avril 2011. Au cours de ce débat public, la crainte de perdre son identité, en particulier chez les Bihorellais, a souvent été exprimée. Une augmentation des impôts locaux a également été redoutée par certains. Or, selon une étude du cabinet KPMG commandée par les deux communes, cette crainte n'est, a priori, pas fondée. Les impôts augmenteront bien à Bois-Guillaume, mais dans des proportions raisonnables, tandis qu'ils baisseront à Bihorel. Une autre étude de KPMG révèle aussi qu'une fusion générera des gains plus grands qu'un simple renforcement de la collaboration des deux communes sous la forme de syndicats… Une piste que privilégient les élus de l'opposition, qui se sont prononcés contre le projet, et appellent les électeurs à voter, le 26 juin, contre un projet tendant à réunir des populations sociologiquement différentes et qui assoira la "suprématie" de Bois-Guillaume et de son maire.
Comme les élus des deux communes de la banlieue rouennaise, un certain nombre d'édiles réfléchissent, ici et là, à la fusion de leurs communes dans le cadre des dispositions de la loi du 16 décembre 2010. C'est, par exemple, le cas des élus de la communauté de communes Cœur de Caux, en Seine-Maritime, ou encore de ceux de la communauté de communes de la Côte des Isles, dans la Manche. Sur ces territoires, plus de deux communes, voire l'ensemble des communes de l'intercommunalité, seraient concernés. En Seine-et-Marne, une commune nouvelle pourrait se substituer aux cinq villes du syndicat d'agglomération nouvelle (SAN) Val d'Europe. En début d'année, le président du SAN, Jean-Paul Balcou, a, en effet, fait le vœu de passer à "l'acte II" de son territoire. En même temps que leurs élus, les habitants des cinq communes débattent à présent de cette option, en particulier sur un site internet dédié.

Parcours du combattant

Les conseillers municipaux de Vitot, village de 400 habitants, dans l'Eure, ont, eux, déjà tranché. Début juin, ils ont très majoritairement rejeté le projet de fusion proposé par le maire et son homologue du Neubourg, commune voisine, forte de 4.000 habitants. Le résultat du vote n'a pas surpris. En découvrant le projet, beaucoup d'habitants ont vite été contre, les uns regrettant de perdre "le village dans lequel ils sont nés", les autres réclamant un référendum qui n'était pas prévu.
L'échec des deux maires montre combien il sera difficile aux candidats de décrocher le statut de commune nouvelle. En particulier, parce qu'en élaborant la loi de réforme des collectivités territoriales, le législateur a créé un véritable parcours du combattant. Pour rappel, les conseils municipaux concernés doivent, à l'unanimité, se prononcer pour la création de la commune nouvelle. A défaut, la population est consultée. Le projet est alors entériné si plusieurs conditions sont remplies. Il doit recueillir en sa faveur la majorité absolue des suffrages exprimés dans chacune des communes, correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits. Tout cela sous réserve que la participation au scrutin soit suffisante et que les deux tiers des conseils municipaux représentant les deux tiers de la population aient donné leur accord…
Si la commune nouvelle voit finalement le jour, les anciennes communes deviennent des communes déléguées représentées par un maire délégué et éventuellement un conseil d'élus. Ceux-ci ont juridiquement les mêmes pouvoirs que les maires des arrondissements de Paris, Marseille ou Lyon.