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Sénat - La réforme des collectivités vidée de ses dispositions vedettes

Le Sénat, qui achevait mercredi sa deuxième lecture du projet de réforme des collectivités, a rejeté le mode de scrutin choisi par le gouvernement pour le futur conseiller territorial et a demandé, à la quasi-unanimité, que les dispositions relatives aux compétences des collectivités fassent bien l'objet d'un projet de loi ultérieur. Les métropoles ont par ailleurs fait l'objet de plusieurs retouches au fil de ces débats acrobatiques.

Il est des lectures parlementaires qui se suivent et ne se ressemblent pas… En tout cas, la deuxième lecture par le Sénat du projet de réforme des collectivités aura apporté son lot de surprises et de rebondissements, depuis les premières heures de débat le 28 juin jusqu'à ce mercredi 7 juillet. Ne reste plus que l'examen des tout derniers articles puis le vote, qui devait intervenir tard dans la soirée. Mais l'on sait d'ores et déjà que – du moins en principe, on n'est à l'abri de rien… - que le texte sortira du Sénat dépouillé à la fois des dispositions relatives au mode d'élection du conseiller territorial et de son article 35 sur les compétences des collectivités.
"Cet après-midi les compétences ont disparu, ce soir, il n'y a plus de mode de scrutin, que reste-t-il, un conseiller territorial dans le vide puisque nul ne sait comment il sera élu, ce n'est plus qu'un texte véritablement en lambeau", a résumé Jean-Pierre Sueur, très présent sur les rangs du PS tout au long des débats. Mais on pourrait aussi résumer les choses autrement : le Sénat a opéré un retour au projet initial tant sur le conseiller territorial que sur les compétences. On n'oubliera pas en effet que ces deux volets devaient faire l'objet de projets de loi ultérieurs ("La réforme des collectivités déclinée en quatre projets de loi distincts", titrait ainsi Localtis en octobre 2009 suite à la présentation de la réforme en Conseil des ministres…). Ce n'est qu'au mois de mai, en commission des lois de l'Assemblée, quelques heures avant la séance publique, que le gouvernement a fait voter un amendement précisant le mode de scrutin finalement choisi pour le futur conseiller, à savoir un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Et ce, alors qu'en première lecture au Sénat, un amendement avait intégré le principe d'un scrutin avec une dose de proportionnelle. S'agissant des compétences, c'est là encore en cours de route que les choses se sont précisées. Jusqu'à son arrivée à l'Assemblée, l'article 35 se contentait d'énoncer quelques grands principes, puisque la question de la répartition des compétences devait elle aussi être détaillée dans un autre texte. Mais l'on a peu à peu compris que cet autre texte était devenu plus qu'hypothétique. Le gouvernement et Dominique Perben, rapporteur à l'Assemblée, ont préféré muscler d'emblée cet article 35 - lui donner "un caractère normatif", selon les termes d'Alain Marleix.

"C'est la confusion totale"

Le 29 juin, la commission des Lois du Sénat demandait, avec le soutien du gouvernement, "la réserve" des articles et amendements sur le mode d'élection, qui figuraient en tête du projet de loi et dont l'examen devait donc commencer juste après la discussion générale. Le gouvernement comptait visiblement sur ce report pour lui permettre de trouver une majorité sur cette question. La veille, il avait réussi à faire adopter en commission des lois un amendement rétablissant le scrutin uninominal majoritaire à deux tours qu'avait supprimé cette même commission le 16 juin. Mais pour une adoption en séance, il fallait encore convaincre les centristes, qui tiennent fermement à une dose de proportionnelle. Le pari n'a pas été gagné. Dans la nuit du 6 au 7 juillet, au terme d'un débat de près de quatre heures et de plusieurs suspensions de séance demandées pour tenter de rallier les centristes, le vote est tombé : 178 voix contre, 159 voix pour l'amendement 576 rectifié du gouvernement, qui entendait insérer un article additionnel avant l'article 1er AA disant que "les conseillers territoriaux sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours"…
Le sort des dispositions relatives aux compétences n'a guère été plus tranquille ni limpide. Le 30 juin, une courte majorité des sénateurs présents votait en faveur d'un amendement présenté par Nicole Borvo Cohen-Seat au nom du Groupe CRC (communiste) affirmant que "la compétence générale est un principe fondateur de la libre administration des collectivités locales, dans le respect des responsabilités accordées par la loi à chacune des collectivités et l'application de la règle de subsidiarité". Il se serait agit d'un article additionnel avant le Chapitre Ier. "Rétablir la clause de compétence générale à tous les niveaux serait de bon sens", s'enthousiasmait d'emblée Philippe Adnot. "Nous étions convenus d'avoir ce débat [sur les compétences] à l'article 35", s'interrogeait le ministre Michel Mercier, se prononçant évidemment contre l'amendement. Sauf que le lendemain, le président du groupe centriste, Nicolas About, demandait une "deuxième délibération" en fin de lecture, expliquant que "lui-même et plusieurs de ses collègues" auraient "voulu voter contre l'amendement" communiste mais n'avaient pu le faire. Une confusion certaine s'en est suivie.
Mais en bout de course le 16 juillet, les sénateurs adoptaient par pas moins de 335 voix contre 5, toujours contre l'avis du gouvernement, un amendement du groupe centriste revenant au schéma selon lequel la répartition des compétences sera définie dans un autre texte de loi dans un délai d'un an. Un amendement qui a pour conséquence d'annuler le contenu de l'article 35…
"C'est la confusion totale, c'est un débat surréaliste, insolite", s'est amusée la gauche qui en profite pour demander une nouvelle fois au gouvernement "de renoncer à son texte". Nicolas Sarkozy a pour sa part souligné ce 7 juillet devant les députés du Nouveau Centre reçus à l'Elysée que c'est bien "l'Assemblée nationale qui aura le dernier mot"…

Métropoles : question de seuil...

Au-delà de ces deux volets emblématiques du texte, cette deuxième lecture sénatoriale a continué de repasser au peigne fin toutes les autres dispositions – les plus nombreuses en réalité -, à savoir celles sur l'intercommunalité et les métropoles.
Une nouvelle fois, la discussion sur les métropoles a longuement porté sur le seuil de création. Fixé à 450.000 habitants par le Sénat en première lecture et resté inchangé après l'examen en première lecture à l'Assemblée, le seuil a finalement été porté à 500.000 habitants. Avec 473.000 habitants, Strasbourg pourra exceptionnellement accéder au statut de métropole, parce que la ville est le siège des institutions européennes. Bien qu'ayant moins de 500.000 habitants, d'autres agglomérations pourront devenir des métropoles. Souscrivant en effet aux arguments développés par des sénateurs socialistes partisans de critères plus qualitatifs que quantitatifs pour le choix des métropoles, la Haute Assemblée a décidé que des agglomérations de plus de 400.000 habitants pourront se qualifier pour le statut de métropole, à condition que leurs universités accueillent plus de 30.000 étudiants. Une condition que remplissent les agglomérations de Montpellier et Rouen et que Grenoble et Rennes peuvent espérer remplir prochainement.
Concernant encore les métropoles, le Sénat a continué à protéger les prérogatives des communes membres de ces nouveaux territoires. En particulier pour la mise en œuvre du plan local d'urbanisme, il a prévu que le conseil municipal sera "seul compétent pour décider et voter sur les dispositions spécifiques concernant la commune qu'il représente".
Il a fait preuve de la même attitude concernant les communes nouvelles en rétablissant l'obligation de consulter les électeurs dans toutes les communes concernées par un projet de commune nouvelle.
Sur le volet intercommunal, les sénateurs ont apporté peu de modifications. Principal changement : ils ont avancé au 1er mars 2013 la date butoir de l'achèvement et de la rationalisation de la carte intercommunale (que les députés avaient déjà avancé, au 1er juillet 2013). Conforme aux souhaits exprimés par les associations d'élus locaux, ce nouveau calendrier permettra d'éviter tout télescopage entre les débats sur l'évolution des périmètres intercommunaux et les prochaines élections de mars 2014.

Claire Mallet et Thomas Beurey


D'autres nouveautés du projet de loi

Les sénateurs ont également adopté les dispositions suivantes :

- Sur proposition d'Alain Lambert, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, la Haute assemblée s'est attachée à sécuriser les conventions de mutualisation entre les collectivités. Le sénateur considère que jusqu'à présent le projet de loi n'apportait "rien de nouveau" à ce sujet, voire qu'il aggravait la situation actuelle. Aujourd'hui, le projet de loi indique selon lui clairement aux acteurs locaux "quand et dans quelles conditions ils peuvent effectuer des mutualisations sans recourir obligatoirement à un marché public".

- Si au moins 10% de ses membres en font la demande, un conseil général pourra inscrire à son ordre du jour la question du regroupement avec un autre département. Les conseillers régionaux auront la même possibilité concernant le regroupement avec une autre région.

- La possibilité de créer à l'échelon intercommunal une commission administrative paritaire unique a été supprimée. L'instance devait être compétente pour les fonctionnaires de toutes les communes membres de l'intercommunalité.

- Le seuil à partir duquel une commune peut créer des conseils de quartiers est abaissé de 20.000 à 10.000 habitants.

- Dans les communes fusionnées avant la publication de la loi de réforme des collectivités territoriales, le préfet pourra prononcer le retour à l'autonomie de la commune associée, si les électeurs de la commune associée se prononcent en faveur de cette autonomie dans le cadre de l'appartenance à une communauté. La nouvelle commune redeviendra propriétaire de tous les terrains et édifices communaux, ainsi que des obligations et des droits relatifs à son territoire.

- Le président d'une communauté pourra refuser le transfert automatique des pouvoirs de police spéciale à son profit, si un ou plusieurs maires des communes concernées se sont opposés à ce transfert.

T.B.