Carte scolaire : les élus de montagne en appellent au respect de leur spécificité
Une visioconférence organisée par l'Anem a permis aux maires de montagne de faire le point sur les droits spécifiques de leurs communes en matière de carte scolaire. Droits que de nombreux Dasen ignorent encore.
Alors que les décisions des Dasen (directeurs académiques des services de l'Éducation nationale) sur la carte scolaire de la rentrée 2024 commencent à tomber un peu partout en France, une catégorie d'élus est particulièrement inquiète : les maires de commune de montagne. Régulièrement touchés par des fermetures de classes ou d'écoles en raison des faibles effectifs de leurs établissements, ils sont de surcroît en butte à une difficulté supplémentaire : la méconnaissance voire l'indifférence des Dasen vis-à-vis du statut des communes de montagne.
Pour faire le point sur ces difficultés et proposer des solutions, l'Anem (Association nationale des élus de la montagne) organisait mardi 13 février une visioconférence intitulée "Fermeture de classe : les droits spécifiques des communes de montagne".
Piqûre de rappel
Le débat a débuté par le rappel des dispositions de l'article 15 de la loi du 28 décembre 2016, dite loi Montagne, lequel prévoit que dans les départements comprenant des zones de montagne "la mise en œuvre de la carte scolaire permet l'identification des écoles publiques ou des réseaux d'écoles publiques qui justifient l'application de modalités spécifiques d'organisation scolaire, notamment en termes de seuils d'ouverture et de fermeture de classe, au regard de leurs caractéristiques montagnardes, de la démographie scolaire, de l'isolement, des conditions d'accès et des temps de transports scolaires". D'autre part, "le nombre d'enseignants du premier degré affectés à chaque département par le recteur d'académie est déterminé en prenant en compte les effectifs scolaires liés à la population des saisonniers". Or ces règles sont régulièrement ignorées par les Dasen comme plusieurs élus en ont témoigné, à l'image d'Alain Naudy, maire d'Orlu (Ariège) : "Selon les Dasen, il faut faire une piqûre de rappel et rappeler en permanence que les saisonniers peuvent être inscrits."
La montagne s'efface devant la ruralité
Cette méconnaissance n'est pas tout à fait un hasard. En effet, depuis 2019, suivant en cela les recommandations de la statistique publique, le classement spécifique à la montagne n'existe plus dans la nomenclature de l'Éducation nationale qui s'appuie désormais sur une typologie des communes selon qu'elles sont urbaines ou rurales. Sur ce point, Annie Genevard, députée du Doubs et ancienne présidente de l'Anem, a rappelé la philosophie de la loi Montagne dont elle fut rapporteure : "Nous avons élaboré cet article 15 pour protéger les écoles de montagne de l'application stricte des seuils de fermeture. Chaque année, je suis dans la nécessité de rappeler au Dasen que l'école de montagne n'obéit pas aux mêmes réalités que l'école de plaine." L'ancienne maire de Morteau prévient : "Si l'on n'y prend pas garde, la montagne va s'effacer devant la ruralité. Et cela n'est pas possible. Le combat que nous menons pour l'école est emblématique de tous les combats qu'il faut sans cesse mener pour faire reconnaître la montagne."
Moins de trois ans
Si, d'une manière générale, les Dasen ne prennent pas en compte la spécificité des communes de montagne, ce grief est particulièrement mis en avant sur un point : la comptabilisation des enfants de moins de trois ans dans les prévisions d'élèves pour la rentrée, qui concerne plusieurs types de territoires, dont les zones de montagne. L'Anem est ainsi interpellée sur le fait que la comptabilisation de ces enfants au moment de l'élaboration de la carte scolaire n'est pas toujours appliquée. Claude Kirchhoffer, maire de Geishouse (Haut-Rhin), a témoigné dans ce sens : "Je suis surpris qu'on me dise que les enfants de deux-trois ans peuvent être comptabilisés car lors de la visite du Dasen dans notre commune, ce dernier nous a indiqué que c'était un critère qui ne pouvait pas être pris en compte, que c'était de la récupération." Alain Naudy a renchéri sur ce point précis : "Les enfants de moins de trois ans, on a parfois quelques difficultés à les faire compter dans les effectifs prévisionnels."
Temps de trajet
La réunion de l'Anem a donc été l'occasion de rappeler aux maires leurs droits et de leur donner quelques arguments pour nourrir leurs échanges avec les Dasen. L'accent a notamment été mis sur l'isolement des communes de montagne et sur la nécessité de tenir compte des conditions d'accès à l'école. Ainsi, en complément de la loi Montagne, les élus peuvent mettre en avant l'indice d'éloignement mais en soulignant que les temps de transports doivent être substitués à la distance parcourue car ce "sont des paramètres importants dans la vie des élèves et que tout excès amoindrit substantiellement la qualité de la vie scolaire des enfants."
Les débats ont fait surgir une autre difficulté : le fait qu'une communauté de communes abritant un regroupement pédagogique intercommunal (RPI) puisse être composée de communes de montagne et d'autres qui ne le sont pas. Dans ces cas-là, ce sont souvent les communes de montagne qui sont l'objet de fermeture de classes. Or, là encore, la règle est claire : les écoles des communes de montagne conservent leur statut issu de la loi Montagne et peuvent avancer leurs arguments pour maintenir leurs classes.
Le dialogue avant la crispation
À l'heure de conclure, Pascale Boyer, présidente de l'Anem et députée des Hautes-Alpes, a souligné la nécessité d'avoir des échanges bilatéraux avec les Dasen suffisamment en amont : "Dans les Hautes-Alpes, plusieurs commissions des maires se sont mises en place afin de travailler la carte scolaire et cela se passe très bien depuis deux rentrées scolaires. Nous n'avons pas eu de forte problématique sur les fermetures de classes grâce à ce dialogue permanent entre le Dasen et les élus." Dans l'Ain, une solution similaire a également été imaginée. "Pour la rentrée de 2023, on nous avait annoncé six fermetures de classes, raconte Claude Comet, maire de Parves-Nattages. Nous avons créé un collectif des maires des communes concernées et nous nous sommes assez fortement fait entendre auprès de la Dasen. Nous nous sommes aussi appuyés sur nos parlementaires. Les collectifs sont importants."
Au-delà de ces solutions locales indispensables, la présidente de l'Anem a indiqué qu'elle allait interpeller Nicole Belloubet, la nouvelle ministre de l'Éducation nationale, sur la question. "Il faut créer des espaces de dialogue avant qu'on ne se crispe. Y compris en sensibilisant les recteurs, qui sont les premiers à distribuer les postes dans leur académie", a-t-elle martelé. Et pour enfoncer le clou, l'association prépare un courrier type que les maires pourront adresser à leurs Dasen et recteur afin de faire valoir tous les arguments en faveur du respect de la spécificité des écoles de montagne.