Calcul des dotations : comment évaluer les charges des collectivités ?
Les travaux de réflexion sur la refonte de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ont été l'occasion pour le groupe de travail dédié du comité des finances locales (CFL) de s'interroger, le 27 février, sur la pertinence des critères actuellement utilisés pour mesurer les charges des communes, intercommunalités et départements, et ainsi répartir les dotations. Il est apparu que plusieurs de ces critères (comme la longueur de voirie et le revenu moyen) présentent d'indéniables inconvénients.
Population, revenu par habitant, proportion de logements sociaux, proportion de bénéficiaires des aides au logement, proportion de bénéficiaires du RSA, nombre d'enfants de 3 à 16 ans, longueur de voirie, coefficient d'intégration fiscale... Huit critères différents sont utilisés pour rendre compte du poids des charges des collectivités et groupements de communes, selon la direction générale des collectivités locales (DGCL). Certains pouvant être probablement améliorés.
Revenu médian
Le revenu par habitant entre en compte pour le calcul de l'éligibilité à plusieurs dotations (par exemple la "part cible" de la dotation de solidarité rurale – DSR – et la dotation de solidarité urbaine – DSU). Problème : ce critère est sensible aux changements de résidence d'habitants à forts revenus. D'autant qu'aujourd'hui, seul un revenu moyen – à savoir la moyenne de l'ensemble des salaires d'une population considérée – est calculé. "Il suffit qu'un ou deux joueurs de foot viennent habiter dans la commune pour faire monter de façon significative le revenu moyen", indique Marie Ducamin, maire de Saint-Jacques-de-la-Lande et membre du CFL. Les élus estiment que la prise en compte du revenu médian – c'est-à-dire, selon l'Insee, le "salaire tel que la moitié des salariés de la population considérée gagne moins et l'autre moitié gagne plus" – aurait pour avantage de réduire la volatilité de certaines dotations. Mais l'administration de l'État oppose le principe du secret fiscal dans les 3.500 communes comportant moins de 50 foyers fiscaux. "Unanimes", les élus locaux en prennent acte et demandent que l'on avance sur un calcul du revenu médian pour toutes les communes de taille supérieure, souligne Irène Félix, présidente de la communauté d'agglomération Bourges Plus.
Longueur de voirie
Le critère de la longueur de voirie présente lui aussi des inconvénients, selon la DGCL. "L'appartenance d'une commune à une métropole ou à une communauté urbaine (qui concerne près de 1.500 communes) entraîne l'obligation de transférer la propriété de la voirie communale à l'intercommunalité", explique-t-elle dans un document de travail présenté aux élus locaux. Pour ces communes, la voirie transférée ne peut être prise en compte dans le calcul de la dotation de solidarité rurale (DSR). Elles se retrouvent donc "potentiellement privées d'une partie de leur DSR". En outre, la longueur de la voirie est "liée à l'occupation des sols, ce qui tend à favoriser les communes rurales les plus urbanisées, en contradiction avec l'objet de la DSR".
En septembre 2022, le CFL a exprimé le souhait que la longueur de voirie communale soit remplacée par "un critère représentant mieux les charges de ruralité" (critère de superficie, pondéré par un coefficient de densité et un coefficient de population). Mais la réforme, inscrite dans le projet de loi de finances pour 2023, a été rejetée au Sénat.
Charges de centralité
Pour prendre en compte les charges de centralité, un coefficient - dit logarithmique - variant de 1 (pour les communes de moins de 500 habitants) à 2 (pour celles dont la taille est d'au moins 200.000 habitants) est appliqué à la population des communes. Il a pour effet d'accroître artificiellement celle-ci dans le calcul de la dotation forfaitaire. Ce qui conduit les maires ruraux à pointer une "inégalité de traitement" et des sénateurs qui les défendent à tenter, en vain, de changer chaque année la donne au moment de la discussion du projet de loi de finances. Ils souhaitent par exemple, comme la sénatrice Sylviane Noël (LR) en décembre dernier (voir notre article du 7 décembre 2023) resserrer l'amplitude du fameux coefficient.
Pour la DGCL, ce dernier est fondé sur des travaux scientifiques qui "en ont démontré la pertinence". Mais, il possède des "limites, reconnaît-elle. Dans un rapport remis au Parlement en 2019, le gouvernement admettait que les communes de moins de 500 habitants connaissent "des surcoûts potentiels" non pris en compte. Et qu'avec un plafond fixé à 2, les charges des villes de plus de 200.000 habitants ont tendance à être sous-estimées (voir notre article de décembre 2019). Au-delà, le coefficient logarithmique est pertinent en général, mais certaines communes ayant des équipements particuliers peuvent être pénalisées par son application, relève de son côté Marie Ducamin.
Base permanente des équipements
Il est "l'indicateur le plus fiable des charges de centralité, en l'absence d'une base de données exhaustive et juridiquement opposable des équipements publics collectifs locaux par commune", conclut la DGCL. Pourtant, ce fichier existe : la base permanente des équipements (BPE) constituée par l'Insee au 1er janvier 2021 recense 2,4 millions d'équipements (sportifs, culturels, touristiques, en matière de transport, d'éducation, de soins..., mais aussi les commerces). Reste que, comme le fait remarquer France urbaine, "le chemin à parcourir est important entre le fait de documenter le nombre d’équipement par communes et le fait d’apprécier la charge qu’il génère pour un budget local".
"Une forme de simplification des critères est attendue", souligne Marie Ducamin. La présidente de l'Agence France locale relève que l'exercice est toutefois compliqué, parce que "les réalités communales sont très diverses, y compris au sein d'une même strate". Au-delà, il n'existe pas un modèle unique de développement des territoires, analyse Irène Félix. "Certains territoires possèdent un centre et une périphérie, mais d'autres choisissent un modèle davantage en réseau." Elle ironise : "Nous cherchons le graal, qui serait la plus grande justesse dans la répartition des dotations." Et de conclure : "Je ne suis pas sûre qu'il existe."
Les membres du CFL passeront lors de leur prochaine réunion, le 12 mars, à l'examen des critères de ressources servant à la répartition de la DGF. L'objectif étant de parvenir à des propositions de réforme de la DGF pour le début de l'été.