Brexit : les entreprises face au défi de la "frontière intelligente"
Devant les réseaux consulaires et les fédérations professionnelles, le gouvernement a invité les entreprises, mardi 3 septembre, à se tenir prêtes à une sortie du Royaume-Uni sans accord à compter du 31 octobre.
Alors que l’opposition britannique tentait mardi une manœuvre dilatoire pour reporter une nouvelle fois la date du Brexit, à Paris il ne faisait guère de doute que celui-ci aurait bien lieu le 31 octobre. Et si le Medef souhaiterait lui aussi un prolongement jusqu’au 31 janvier 2020, le gouvernement français s’y montre hostile. "Diluer dans le temps un problème difficile ne le rend pas moins complexe", a estimé Amélie de Montchalin, secrétaire d’État aux Affaires européennes, à l’issue d’une réunion de sensibilisation des entreprises, à Bercy, devant les chambres consulaires et les fédérations professionnelles, aux côtés de deux autres membres du gouvernement : Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès de Bruno Le Maire (Économie et Finances) et Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès de Gérald Darmanin (Action et Comptes publics).
À moins d’un "big bang" politique outre-Manche - nouveau référendum ou nouveau gouvernement pro-européen issu d’élections anticipées - le "No Deal" était encore l’hypothèse jugée la plus vraisemblable, mardi. Mais, au même moment, en réponse au vote des députés de la Chambre des communes d’un projet de loi visant à interdire une sortie de l’Union européenne sans accord des 27, le Premier ministre, Boris Johnson, a annoncé des élections anticipées. L’avenir est donc encore très incertain. Même en cas d’accord, "les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne seront forcément de nature différente", a estimé Amélie de Montchalin. "Le No Deal c’est un moment (avant de nouvelles conventions, ndlr). Les falaises de Douvres seront toujours visibles depuis Calais. Nous resterons des partenaires du Royaume-Uni", a-t-elle toutefois tenu à relativiser.
"Nous avons le devoir de nous préparer"
Quoi qu’il en soit, le gouvernement invite les entreprises à se tenir prêtes. "Nous avons le devoir de nous préparer à une sortie sans accord au 31 octobre", a insisté Agnès Pannier-Runacher, appelant les entreprises à ne pas perdre de temps. "Il ne faut pas rester dans le déni et l’abstraction (…). Il faut être très agile", a-t-elle souligné, alors que quelque 100.000 entreprises tricolores travaillent avec le Royaume-Uni, pour un chiffre d'affaires de 60 milliards d'euros. 20.000 d’entre elles ont été contactées par Bercy qui compte sur les réseaux consulaires pour relayer le message. "Le mail des douanes a reçu 400 messages ; je ne suis pas sûr que cela corresponde au nombre d'entreprises concernées (...). Les TPE et PME n’ont pas les services juridiques permettant d’avoir cette veille permanente", a-t-elle développé. Les entreprises vont devoir vérifier qu'elles ne dépendent pas de régimes spécifiques, comme pour les produits phytosanitaires, et s'informer sur les futurs droits de douanes à acquitter. "L’heure est à la mobilisation", a martelé la secrétaire d’État, rappelant que "les droits de douane peuvent aller jusqu’à 6,5 % dans la chimie, jusqu’à 10 % dans l’automobile". "Cela change un tout petit peu la compétitivité de votre chaîne de valeur." Selon Bercy, l’impact du Brexit est estimé à 0,2% du PIB pour la France. Le gouvernement prépare une revue de tous les dispositifs de soutien à l’export existants. Et "l’UE travaille à des dispositifs d’accompagnement des secteurs ou des entreprises les plus touchées", a ajouté Agnès Pannier-Runacher.
"Frontière intelligente"
Pour le gouvernement, l’essentiel est d’assurer la fluidité du trafic à travers "la frontière intelligente", à savoir la dématérialisation des formalités de passage aux douanes pour les 5 millions de camions qui y transitent. Un travail qui doit être anticipé par les transporteurs sous forme de télédéclaration. Vendredi, un nouveau système de transit a justement été inauguré par le ministre Gérald Darmanin à Calais. Reposant sur un système de reconnaissance de plaque d’immatriculation et de code-barre de la déclaration en douanes des marchandises transportées, il va être testé pendant un mois pour se mettre en conditions réelles. "La répétition générale c’est tous les jours. On a recruté 600 douaniers supplémentaires et 100 sont en cours de recrutement", a indiqué Olivier Dussopt. Selon le gouvernement, il y aura quand même deux files : celle des entreprises qui auront anticipé ("fast-track") et une autre plus lente. Le site gouvernemental sur le Brexit recense toutes les opérations de dédouanement à effectuer avant l'échéance du 31 octobre.
Parmi les points d’achoppement de la négociation entre Bruxelles et Londres figure la question du "Backstop" irlandais ("filet de sécurité", en français). Avec le Brexit se pose la question de la réapparition d’une frontière physique entre l’Irlande, membre de l’UE, et l’Irlande du Nord, qui ne le sera plus. Ce qui remettrait en cause l'accord du Vendredi saint de 1998, qui a mis fin aux violences entre catholiques et unionistes en Irlande du Nord. Pour éviter ce scénario, l’idée serait de créer une union douanière entre l’UE et l’Irlande du Nord, tout en contrôlant les importations en provenance de pays tiers. Londres y est opposé. "Le Backstop n’est pas un monstre à douze têtes", a plaidé Amélie de Montchalin. "À défaut de meilleure idée, il s’agit de proposer au Royaume-Uni de continuer à appliquer certaines normes. (…) Ce n’est pas très compliqué. On donne une ampleur politique démesurée par rapport à l’essence de cette solution." "Nous sommes totalement ouverts à ce que les Britanniques proposent une autre solution", a-t-elle également fait savoir.
Pour Hervé Morin le président de la région Normandie - l’une des principales touchées avec les Hauts-de-France -, la perspective d’une sortie sans accord reste une menace pour l’économie. "Ce serait une thrombose absolue si on allait vers un Brexit dur, au moins pendant quelques jours, il ne faut pas se raconter d'histoires", a-t-il mis en garde, mercredi, sur BFM Business. "On a beau avoir anticipé, on a beau avoir construit des flux, il est évident qu'il faut que l'ensemble des acteurs économiques, notamment britanniques, intègre l'ensemble des processus administratifs et douaniers qu'impose le retour aux frontières."