Brexit : quelles seront les filières et régions agricoles les plus exposées ?
Alors que l'incertitude bat son plein à propos du Brexit, mieux vaut se préparer dès à présent à une sortie du Royaume-Uni sans accord de libre-échange à compter du 31 octobre. C'est le conseil des Chambres d'agriculture et des Douanes au secteur agro-alimentaire. Les Hauts-de-France seraient la région la plus exposée, avec des pertes estimées à 87 millions d'euros.
"Il est difficile de se préparer quand on ne sait pas où on va." A l’instar de Berenger Guyonnet, ingénieur agronome chez Sodiaal, première coopérative laitière française, le secteur agroalimentaire français est dans le flou à l’approche du Brexit. Alors mieux vaut se préparer au pire, comme le conseillent les Chambres d’agriculture qui ont organisé, le 20 juin, en partenariat avec la Maison de l’Europe de Paris, un séminaire sur le thème "Quelles conséquences sur les filières agricoles et les régions ? Quelles stratégies possibles de reconquête de marché ?". Sachant que l’arrivée très probable de Boris Johnson à Downing Street renforce la perspective d’une sortie du Royaume-Uni sans accord.
Les Hauts-de-France, région la plus exposée
Au 31 octobre 2019, le Royaume-Uni deviendrait alors un pays tiers, extérieur à l’union douanière et membre de plein droit de l’Organisation mondiale du commerce. Ce qui signifie : retour des frontières, des barrières douanières et non tarifaires, des contrôles sanitaires… Et sans doute une baisse des flux de marchandises. "L’ensemble des régions vont être touchées dans l’hypothèse d’un non accord", a prédit Thierry Pouch, économiste auprès des Chambres d’agriculture. Mais, avec des exportations agroalimentaires vers le Royaume-Uni qui se montent à 933 millions d’euros, les Hauts-de-France seront la région la plus exposée par les tarifs douaniers. La région pourrait enregistrer une perte de 87 millions d’euros, devant le Grand-Est (67 millions de pertes pour 715 millions d’exportations), la Nouvelle-Aquitaine (65 millions de pertes pour 615 millions d’exportations), la Normandie et les Pays de la Loire, à un peu plus de 40 millions d’euros de pertes... Et encore, il s’agit là d’une "fourchette basse", a précisé l’économiste.
Au total, l’impact à court terme serait de 500 millions d’euros dans l’agroalimentaire, dont environ 40% pour la filière boissons et alcools, suivi du secteur laitier (14%) et de la boulangerie (11%), et des fruits et légumes (11%). Les pertes de l’élevage représenteraient 6% du total.
Cette vulnérabilité des régions françaises tient au poids des échanges avec le Royaume-Uni. Ce dernier accuse un déficit commercial de 27 milliards d’euros ; 30% de ses importations agroalimentaires proviennent de l’Union européenne, a rappelé Maximin Charpentier, président de la chambre d’agriculture du Grand-Est et référent sur les questions européennes au sein du réseau. Voire plus de 40% si l’on tient compte des marchandises qui transitent par l’Union européenne (11%). D’où une situation de forte dépendance alimentaire. Or la France est le deuxième fournisseur du Royaume-Uni, derrière les Pays-Bas. Elle y exporte quelque 5 milliards d’euros de produits agroalimentaires. C’est son troisième marché d’exportation, après la Belgique et l’Allemagne.
Au poids de ces échanges s’ajoute la difficulté de partager une "frontière terrestre" avec l’Angleterre : le tunnel sous la Manche. A cet égard, les Hauts-de-France concentrent à eux seuls 85% des flux de France vers le Royaume-Uni, avec 5 à 6.000 camions par jour, a indiqué Christine Dubois, chef du bureau Restrictions et sécurisation des échanges à la direction générale des Douanes. C’est un "véritable goulet d’étranglement", il y a une "vraie urgence". Les renforcements des effectifs aux bureaux de douanes (700 équivalents temps plein) seront bien là, a-t-elle assuré. A Calais et partout ailleurs.
Concurrence accrue sur le marché européen
Mais la grande inconnue sera l’attitude des autorités britanniques : rester dans l’union douanière ou prendre le large et renforcer les liens avec le Commonwealth ou les Etats-Unis ? Ralph Ichter, président d’Euroconsultants, rappelle dans une vidéo diffusée à cette occasion les récents propos de Donald Trump lors de son voyage à Londres au début du mois, aspirant à un accord commercial "phénoménal" avec les Etats-Unis. Mais pour le consultant, en cas de sortie de l’union douanière, il y a peu de chance que le Royaume-Uni serve de Cheval de Troie ou de plaque tournante pour les produits américains en Europe. La menace la plus directe viendrait, selon lui, de la fermeture du marché américain aux vins et fromages avec les rétorsions Airbus. "Il y a un risque de fermeture totale d’ici août-septembre", a-t-il dit. Ce qui s’ajouterait aux difficultés d’exportations vers la Grande-Bretagne en cas de Hard Brexit.
Dans ce contexte, la France va se trouver en concurrence sur le marché européen avec les autres grands fournisseurs de l’Angleterre, comme l’Irlande, l’Allemagne ou les Pays-Bas, qui vont eux-aussi chercher des débouchés de substitution en Europe. Or cette concurrence intraeuropéenne sera exacerbée à partir de 2020 avec la "renationalisation" de la future Politique agricole commune. "Les fermes normandes exportent 40% de la production laitière au Royaume-Uni", explique Thierry Pouch. Une bonne part va se retrouver sur le marché européen. Il faudra les écouler. Pour Berenger Guyonnet, "il y a un risque de voir le prix du lait baisser" compte tenu de cet engorgement.
Pour la filière ovin, la situation est inverse. Le Royaume-Uni est en effet le premier producteur d’ovins en Europe : 5% de la production anglaise arrive en France. Les ovins représentent 49% des importations agroalimentaires en provenance d’Angleterre (contre 1% en sens inverse). La présidente de la Fédération nationale ovine, Michèle Boudoin s’est inquiétée d’une conséquence d’une baisse de la livre sterling, comme en 2017 (-17%) suite au référendum. Ce qui a provoqué un renchérissement de l’agneau français, qui ne représente qu’1% des importations agroalimentaires tricolores.
Baisse de la livre sterling
La baisse de la livre suite au référendum britannique de 2016 a déjà eu des conséquences sur les importations. Les effets sont "palpables" pour les pommes, pommes de terre, et les vins, indiquaient les chambres d’agriculture dans une étude de janvier. Exemple avec la Bretagne : en 2017 et 2018, les exportations bretonnes vers le Royaume-Uni ont diminué de 23 millions d’euros pour ce qui est des biscuits et pâtisseries industrielles, de 3,3 millions pour les produits laitiers et de 7 millions pour la viande de boucherie. En revanche, elles ont augmenté pour les grains et les produits de la pêche. Mais preuve que rien n’est figé et qu’il est difficile de prévoir les évolutions du marché : de nombreuses entreprises britanniques anticipent une pénurie de certains produits. "Elles sont forcées d'accroître leurs stocks de précaution et d'importer un maximum de produits finis ou intermédiaire", indique une étude d’Euler hermes du 17 juin. Résultat : au premier trimestre 2019, les importations en provenance de France ont augmenté de 15%, notamment dans des produits de luxe comme le champagne. "Les Britanniques vont continuer de consommer le vin français, se rassure Nicolas Ozanam, délégué général de la Fédération des exportations de vins et spiritueux. Je n’ai aucune crainte que les palais royaux ou pas vont continuer à apprécier nos produits." L’avantage des vins par rapport aux produits frais est qu’ils peuvent facilement être conservés. "On stocke puis on gère le marché."
Le Brexit aura une autre conséquence : un trou d’une dizaine de milliards d’euros dans le budget européen avec un impact direct la part dédiée à la politique agricole commune. Celle-ci devrait passer de 35 à 28% du budget total, a rappelé Catherine Lalumière, présidente de la Maison de l’Europe de Paris.
Dans ce flot d'incertitudes, "nous engageons dès aujourd’hui les entreprises à se préparer à ces démarches administratives", a lancé Christine Dubois. "Des dizaines de milliers d’entreprises françaises, essentiellement des PME, ne connaissent pas les Douanes. Il ne faut pas avoir peur, nous avons une longue tradition d’aide aux entreprises", fait-elle valoir. Et de renvoyer au site gouvernemental brexit.gouv.fr.