Biodiversité - "Éviter, réduire, compenser" : une séquence à bout de souffle ?
Composante des études d’impact accompagnant les projets d’aménagement, la démarche "Éviter, réduire, compenser" (ERC), qui a été renforcée en France par la loi Biodiversité de 2016, ne permet de compenser les atteintes aux milieux naturels que dans 20% des cas, selon une étude publiée ce 6 septembre dans la revue scientifique Biological Conservation.
L'objectif de "zéro artificialisation nette" du territoire, qui vient de faire l'objet cet été (voir notre article dans l'édition du 29 août) d'une instruction aux services déconcentrés pour mieux accompagner les collectivités, n'est pas sorti tout droit du chapeau mais a été introduit dans le plan pour la biodiversité de 2018 dans la continuité de la démarche ERC ("éviter, réduire, compenser") qui prévaut pour sa part depuis une dizaine d'années. Introduite dès la loi de 1976 sur la protection de la nature, après trente ans de sommeil, l’Union européenne, les lois Grenelle, puis la réforme de l’étude d’impact l’ont consolidée juridiquement. Une doctrine nationale a émergé, mise depuis à l’épreuve du terrain et renforcée en 2016 par la loi Biodiversité. En France, les premières mesures de compensation remontent à 2006. Depuis, un savoir-faire s'est forgé et les maîtres d’ouvrage se sont lentement approprié ce dispositif complexe et polémique, la compensation, qui leur permet de rembourser la dette écologique de leurs aménagements. Compenser les atteintes à la nature d’un projet d’aménagement impose d’identifier et d’anticiper ces dommages, d'où l’importance de l’étude d’impact. Passée cette étape amont, il reste à calibrer les actions écologiques afin qu’elles maintiennent, voire améliorent la qualité environnementale des milieux naturels.
Des mesures à faible gain écologique
C'est là que le bât blesse, selon une étude publiée ce 6 septembre dans la revue scientifique Biological Conservation. Intitulée "Compensation environnementale : certitude de la perte nette mais incertitude du gain net", elle a été réalisée par des chercheurs en sciences de gestion du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et d'un laboratoire commun entre le CNRS, AgroParisTech et l'université Paris-Sud. Cette équipe a ceci d'intéressant qu'elle s'est fait une spécialité d'étudier le rôle de l’action publique et de l’action collective dans la conservation de la biodiversité, en se penchant notamment sur "les systèmes organisationnels et jeux d’acteurs qui interagissent dans la définition et la mise en œuvre des actions de conservation". Sous sa loupe donc, la séquence ERC et son appropriation par les organisations et acteurs de l’aménagement du territoire sont scrutées à partir d'exemples concrets de projets réalisés dans deux régions, les Hauts-de-France et l'Occitanie, qui leur ont donné accès aux données utiles. Des restaurations écologiques y ont été réalisées dans le cadre de mesures compensatoires de projets d’infrastructures linéaires de transport développés entre 2012 et 2017. L'échantillonnage étudié porte sur une vingtaine de projets. Il en ressort que parmi les trois profils d’actions qui généralement se dégagent - restauration d’habitats (mare, prairie) de même nature que ceux affectés ; préservation de sites existants ou gestion conservatoire d’espaces naturels de qualité mais soumis à des pressions variées ; création/reconstitution d’habitats sur un site où ils n’existaient pas à l’origine - le deuxième domine nettement, ce qui met à jour un déséquilibre. Les chercheurs évaluent à "seulement 20% des cas où les maîtres d’ouvrage compensent leurs travaux sur des espaces à restaurer - zones agricoles intensives (17%) ou espaces très dégradés - où ces mesures prises produisent très probablement un gain écologique". Le gros des actions, les 80% restants, consistent ainsi à "préserver des milieux déjà de bonne qualité" et à des "compensations a minima, souvent en milieu naturel (forêts, bois, prairies)", avec un "potentiel de gain écologique nettement moins important".