Biodiversité - La compensation écologique en débat à l'Assemblée
Dernier volet du triptyque "éviter, réduire, compenser", la compensation s'applique lorsqu'un projet porte atteinte à la biodiversité. Elle fait l'objet d'une doctrine nationale qui a émergé en 2012 mais reste depuis mise à l'épreuve du terrain. Que dit-elle ? Que le projet d'un maître d'ouvrage devrait présenter, au regard des enjeux en présence, "le moindre impact sur l'environnement à un coût raisonnable". Compenser les atteintes à la nature d'un projet d'aménagement impose donc d'identifier et d'anticiper ces dommages. C'est dire l'importance de l'étude d'impact, une étape parfois encore mal appréhendée. "Pour avoir été longtemps adjointe puis maire de Niort, je peux vous assurer que si dans une collectivité, personne ne prête réellement attention à une étude d'impact, celle-ci reste sous-considérée. Malgré une récente réforme, leur réalisation n'est pas assez encadrée", a témoigné la députée des Deux-Sèvres Geneviève Gaillard, lors d'une table ronde le 27 janvier à l'Assemblée nationale sur la compensation écologique. Voilà pour l'amont.
Règne du sur-mesure
Plus en aval, lorsque les maîtres d'ouvrage, bureaux d'études et services de l'Etat en sont à définir les mesures de compensation d'un projet, impossible de piocher dans un catalogue d'actions toutes faites. Le sur-mesure règne, avec trois profils d'actions qui se dégagent néanmoins : la restauration d'habitats (mare, prairie) de même nature que ceux affectés ; la préservation de sites existants, et la gestion conservatoire d'espaces naturels de qualité mais soumis à des pressions variées, ou bien la création/reconstitution d'habitats sur un site où ils n'existaient pas à l'origine. "Les bonnes pratiques existent mais de façon générale, il persiste une faiblesse des services de l'Etat pour calibrer les bonnes mesures et actions écologiques. Il manque un cadre normatif plus fort pour que la compensation puisse se faire en visant le 'zéro perte nette' de biodiversité", estime Arnaud Béchet, membre du centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes et de l'association Nacicca Crau. Aux Etats-Unis, le dispositif semble beaucoup mieux rodé. "En France, la chaîne de gouvernance affiche des défaillances. Il y a un déficit de démocratie locale pour discuter de ces enjeux", ajoute l'économiste Harold Levrel. Auteur d'un ouvrage sur le sujet publié l'été dernier aux éditions Quae, il estime lui aussi que le manque de règles crée des incertitudes qui elles-mêmes génèrent du conflit. Et le projet de loi sur la biodiversité n'apporte "ni le cadrage institutionnel ni les outils attendus pour combler ce flou et régler ce manque de lisibilité". Pour Christophe Bonneuil, chercheur au CNRS, "il est frappant de constater, en inspectant l'arrière-cuisine de la compensation avec les outils de sociologie des sciences, que le bricolage domine dans les actions menées".
Tout n'est pas compensable
Un jugement sévère au vu des efforts déployés par certains maîtres d'ouvrage publics pour leur donner plus de cohérence. Dans les conseils généraux par exemple, grands prescripteurs de travaux routiers et à ce titre soumis à des mesures compensatoires, celles-ci sont le plus possible gérées en interne, pour éviter la dispersion des forces. Le Morbihan a même un temps pris les devants en projetant de réserver des parcelles de compensation sur ses espaces naturels sensibles (ENS). Est-ce que cela irait dans le bon sens, celui d'une meilleure complémentarité entre ces mesures encore jeunes et des actions publiques plus rodées, aptes à pérenniser leurs effets ? "Laisser trop de champ aux acteurs privés sur le sujet pose en tout cas question. Véhiculer l'idée que tout est compensable peut aussi alimenter une spéculation sur le foncier à potentiel écologique. Tout cela fait encore débat. Même chez les écologues, l'intérêt dans le temps, le suivi dans les règles de l'art des mesures compensatoires se prêtent à discussion", répond Christophe Bonneuil.
Une source de malentendus
Pour devenir un outil de gestion majeur dans la conservation de la biodiversité, les mesures compensatoires ont encore du chemin à parcourir car d'autres outils existent, comme le bail rural à clauses environnementales. "Pour la compensation, positive par bien des aspects, ne figeons pas les choses en s'empressant de légiférer", prescrit Bernard Chevassus-au-Louis, président de l'association Humanité et Biodiversité. "D'autant qu'elle est source de malentendus. Il est ainsi inexact de parler, comme on l'entend souvent, de financiarisation de la nature", a rebondi Harold Levrel. Pour la compensation stimulée non par la demande mais par l'offre – une approche testée sur la plaine de la Crau, où la réhabilitation de la steppe de galets a généré des crédits d'actifs naturels qui peuvent être employés par les maîtres d'ouvrage pour compenser de proches impacts –, cet économiste rappelle que les crédits de compensation ne sont vendus qu'aux générateurs de l'impact, "ce qui n'est pas le propre du capitalisme financier, il n'y a pas de transfert à des marchés secondaires".
"Le problème, c'est qu'au quotidien, des maîtres d'ouvrage produisent d'excellents dossiers mais persistent parfois à ne pas appliquer leurs obligations et les mesures compensatoires qui vont avec. A leurs yeux, cela représente avant tout un coût à éviter. Les mentalités changent mais cela prendra du temps", conclut Laurent Piermont, président-directeur général de CDC Biodiversité, à ce jour le seul opérateur d'une réserve d'actifs naturels active dans cette plaine de la Crau, sur le site de Cossure : "Une opération qui fonctionne mais n'a pas créé d'appel d'air car les projets d'aménagements impactant cette plaine sont depuis peu moins nombreux."