"Zéro artificialisation nette" : des pistes pour mieux protéger les sols
France Stratégie a publié ce 23 juillet un rapport que lui avait commandé le gouvernement, en quête de solutions permettant d'atteindre l'objectif de "zéro artificialisation nette des sols" inscrit dans le plan pour la biodiversité de 2018. L'organisme préconise en premier lieu de modifier les règles d'urbanisme pour favoriser le renouvellement urbain et la densification de l'habitat et de renaturer les espaces artificialisés laissés à l'abandon.
En moyenne, 20.000 hectares d'espaces naturels sont artificialisés en France chaque année, au profit de logements (41,9% des terres artificialisées), d'espaces de services et de loisirs (16,2%) ou encore d'infrastructures routières (27,8%). L'artificialisation des sols conduit à détruire la biodiversité et à augmenter les émissions de CO2, car les terres agricoles ou forestières en stockent davantage qu'un sol bitumé. Elle peut aussi générer des pollutions (métaux lourds, pollution de l'air liée aux transports...) et augmente les risques d'inondation en favorisant le ruissellement des eaux.
L'importance du phénomène a poussé le gouvernement à inscrire dans son plan biodiversité de 2018 un objectif de "zéro artificialisation nette" (ZAN). Autrement dit limiter autant que possible la consommation de nouveaux espaces et, lorsque c’est impossible, "rendre à la nature" l’équivalent des superficies consommées. Mais dans le cadre du plan, aucun horizon, pas plus que de trajectoire, n'ont été fixés pour y parvenir. Le gouvernement a donc demandé à France Stratégie, qui dépend du Premier ministre, de l'aider à identifier les "leviers" permettant d'atteindre le "zéro artificialisation nette". L'organisme a publié ce 23 juillet son rapport, qui a été remis aux ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales et de la Ville et du Logement.
Spécificité française
France Stratégie a d'abord analysé les déterminants de l'artificialisation des sols qui est plus forte en France que chez ses voisins européens et plus rapide que la croissance démographique, en particulier dans les métropoles et les zones côtières. L'organisme pointe d'abord "la préférence des ménages pour l'habitat individuel" mais aussi "un cadre fiscal pas toujours adapté". "Près d'une trentaine de taxes s'appliquent aux terrains urbanisables, souligne-t-il. Ces taxes constituent des sources de financement importantes pour les collectivités locales. Par exemple, la taxe foncière, c'est 41 milliards d'euros en 2017. À ces instruments fiscaux s'ajoutent des politiques de soutien au logement - dispositif Pinel, prêt à taux zéro - visant à soutenir l'activité du secteur immobilier, l'accession à la propriété et le renouvellement urbain." Autre facteur : "les entreprises (sont) incitées à s'installer en périphérie des pôles urbains" du fait du différentiel de prix du foncier et d'imposition local entre le centre et la périphérie. Le niveau élevé d'artificialisation des terres en France s'explique également pour France Stratégie par "la sous-exploitation du bâti (logements et bureaux vides) et par le développement des résidences secondaires occupées de manière intermittente, qui représentent 9,5% des logements en 2015".
Trois scénarios étudiés
L'organisme a ensuite étudié trois scénarios à horizon 2030. Si la tendance actuelle se poursuit, 280.000 hectares d'espaces naturels supplémentaires seraient artificialisés, "soit un peu plus que la superficie du Luxembourg". Un deuxième scénario envisage une "densification forte" qui permettrait de diminuer la consommation d'espaces naturels à 5.500 hectares par an (contre 20.000 actuellement). Le troisième scénario ajoute au durcissement des règles d'urbanisme un renchérissement des terres avec un prix multiplié par 5 et une baisse du taux de vacance des logements – de 8% en 2015 à 6% -, ce qui réduirait le nombre d'hectares artificialisés à 3.650 hectares par an à horizon 2030 mais nécessiterait "des mesures difficiles à mettre en oeuvre".
Cet exercice de modélisation suggère qu'atteindre le "zéro artificialisation nette" dès 2030 nécessiterait de réduire de 70% l'artificialisation brute et de renaturer 5.500 hectares de terres artificialisées par an. Il suppose "des mesures ambitieuses". À commencer par "collecter des données robustes sur l'artificialisation et le coût de la renaturation et mettre en place une gouvernance dédiée, note le rapport. Fusionner les missions de la Commission départementale d'aménagement commercial et de la commission départementale de préservation des espaces naturels permettrait, par exemple, de créer un 'conseil départemental de lutte contre l'artificialisation des terres' ouvert à l'ensemble des parties prenantes concernées et chargé de la délivrance a priori des autorisations d'artificialisation."
"Obligation de densification"
France Stratégie recommande aussi d'"imposer une obligation de densification" par l’instauration dans les PLU d'un "plancher de densité", c’est-à-dire d’un coefficient d’occupation des sols minimal et d'un taux plancher de renouvellement urbain dans chaque commune pour les constructions nouvelles. "Ce plancher serait vérifié annuellement, via le suivi des permis de construire, et des sanctions administratives pourraient être envisagées a posteriori", ajoute-t-il. Le rapport préconise aussi d'"exclure de l'éligibilité au dispositif Pinel et au prêt à taux zéro les constructions sur des terres non artificialisées" et d'"exonérer totalement de taxe d'aménagement les projets qui ne changent pas l'emprise du sol bâti (surélévation, rénovation, reconstruction).
Le rapport propose également de mieux réguler la différence de prix du foncier entre les terres agricoles et les terres urbanisables. "La valeur de l'hectare agricole en France est parmi les plus basses d'Europe occidentale", souligne-t-il. Un autre axe d'action est la lutte contre les logements et les bureaux vacants.
Opérations de "renaturation"
"L’artificialisation résiduelle devra également s’accompagner d’opérations de renaturation pour atteindre le ZAN, estime France Stratégie En théorie, il faudrait fixer une cible d’artificialisation brute, pour laquelle le coût d’une réduction supplémentaire de l’artificialisation serait équivalent au coût de renaturations supplémentaires. Cela suppose d’améliorer la connaissance, aujourd’hui quasi nulle, sur les coûts et les gisements de renaturation, via des appels à projet et le cas échéant par la mise en place d’un marché de droits à artificialiser.
Après la remise de ce rapport, Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique, a indiqué à l'AFP le démarrage d'"un groupe de travail commun, entre le ministère de l'Agriculture, de la Cohésion des territoires et nous". Ce groupe de travail se basera sur les rapports existants pour "réfléchir ensemble à quel type de feuille de route on peut se donner", en espérant arriver à des conclusions vers le "printemps 2020", a-t-elle estimé.