Finances locales : investissement et besoin de financement à des niveaux records
Bloc communal, départements, régions : aucune catégorie de collectivités n'échapperait en 2024 à une baisse de son autofinancement. Ce qui ne freinerait cependant pas l'investissement local, lequel devrait atteindre un niveau historique de 80 milliards d'euros à la fin de l'année, selon les prévisions de la Banque postale. Cette tendance creuserait le besoin de financement des collectivités de manière inédite, indique celle-ci dans la note de conjoncture sur les finances locales 2024 qu'elle a présentée ce 25 septembre.
En dépit de la crise inflationniste, les communes et leurs groupements avaient déjoué les pronostics en 2023, finissant l'année avec une croissance de leur autofinancement (la différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement) de 4,9% (selon la Cour des comptes).
Mais cette année, le scénario ne devrait pas se répéter, selon la Banque postale. L'autofinancement du bloc communal devrait reculer de 4,4% - et de 7,8% pour les seules communes -, indique la note de conjoncture des finances locales 2024 que le service des études de l'établissement bancaire a présenté ce 25 septembre.
La cause de ce "phénomène préoccupant" réside "sans doute moins dans la faible dynamique des recettes" (+2,5% pour les communes) que "dans la forte dynamique des dépenses" (+ 4,4% là encore pour les communes), analyse Luc-Alain Vervisch, le directeur des études de la Banque postale.
Les départements s'enfoncent dans la crise
L'ensemble des catégories de collectivités devraient faire face en 2024 à un "effet-ciseau", et donc à un recul de leurs marges de manœuvre - alors que l'an dernier les communes et leurs groupements avaient tiré leur épingle du jeu. Mais une fois encore, la dégradation serait plus sensible pour les départements, avec un recul de près de 32% de leur épargne brute, qui atteindrait "un plus bas historique" à 4,6 milliards d'euros. Les départements continuent à pâtir de la crise de l'immobilier, avec des droits de mutation à titre onéreux en chute libre (-17% en fin d'année, après -22,3% en 2023). Parallèlement, la croissance des dépenses en matière d’aide sociale à l’enfance et de handicap resterait vive.
Pour les régions, "l’exercice 2024 devrait ressembler à celui de 2023" avec une épargne à nouveau en baisse (-5,1%). Leurs recettes seraient ralenties par la croissance plus limitée que prévu de la TVA, qui représente désormais près des deux tiers de leurs recettes fiscales.
Investissement record
Au total, en diminution de 8,7% et s'établissant à 39,5 milliards d'euros, l'épargne brute des collectivités dans leur ensemble retrouverait le niveau qu'elle avait atteint en 2018, soit à la même période du cycle électoral (deux ans avant la fin du mandat municipal). Cela ne pénaliserait pas l'investissement, qui progresserait de 7% pour s'élever à un montant "historique" de 80,1 milliards d'euros. Une tendance qui ne surprend pas les experts, puisqu'au cours de l'avant-dernière année du mandat municipal, de nombreux projets locaux se concrétisent. À noter que cette hausse des dépenses d'investissement n'est pas en trompe l'œil. Selon Luc-Alain Vervisch, "l'effet-prix qui avait pesé pour à peu près les deux tiers de la croissance de l'investissement local en 2022 et environ un tiers en 2023, ne joue quasiment pas cette année".
Avec un autofinancement en berne – ce dernier couvrirait 26% de l'investissement en 2024, après 33% en 2023 et 40% en 2022) – les collectivités seraient obligées d'emprunter davantage, les nouveaux crédits atteignant 24,6 milliards d'euros (+17,9%). Conséquence : l’encours de dette des collectivités locales progresserait de 2,8% et s'élèverait à 210,7 milliards d’euros à la fin 2024. En complément, les collectivités devraient puiser 8 milliards d'euros dans leur trésorerie, celle-ci demeurant élevée (56,8 milliards d'euros) et offrant encore des marges de manœuvre aux communes et à leurs groupements.
"Besoin de financement inédit"
De leur côté, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales augmenteraient de près de 10 milliards d'euros (+4,4%) pour atteindre 237 milliards d'euros à la fin de l'année, une évolution qui demeure "bien au-dessus de celles observées les années d’avant-crise Covid". Certes, l'envolée des prix de l'énergie "est derrière", mais les collectivités les plus grandes ne retrouveront des marges de manœuvre que "lorsque leurs contrats seront arrivés à terme" et "qu'elles pourront les renégocier", constate le responsable des études de la Banque postale. En outre, les dépenses de personnel progresseraient rapidement (+4,8%), notamment sous l'effet de l'arrivée en année pleine des revalorisations décidées l'an dernier par l'exécutif.
Dans ces conditions, le "besoin de financement" des collectivités pourrait atteindre 13,8 milliards d'euros en 2024, "un niveau inédit", a estimé le directeur des études de la Banque postale. Le montant est "plus de deux fois" supérieur à ce qu'il avait été en 2023 et représente "de l'ordre de 0,4 à 0,5 point de PIB", ce qui est "là aussi inédit depuis la décentralisation", a précisé Luc-Alain Vervisch.
Au début du mois, les ministres démissionnaires des Finances et des Comptes publics avaient alerté sur l'accélération rapide du "déficit" des collectivités. Dans un courrier à des parlementaires, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, avaient affirmé que "l'augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités (...) pourrait à elle seule dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d'euros" par rapport à la trajectoire de déficit tracée par Bercy jusqu'à 2027 (voir notre article). Le ministre délégué aux Comptes publics démissionnaire avait même évoqué quelques jours plus tard devant les députés de la commission des finances une hypothèse à "20 milliards d'euros".
Besoin de visibilité
"A l'exception d'une période particulière entre 1997 et 2002 et d'une période encore plus particulière entre 2016 et 2018, les collectivités ont été en besoin de financement", a fait remarquer le directeur des études de la Banque postale, évoquant un phénomène "structurel". Mais ce besoin de financement est "sécurisé", a-t-il ajouté, puisque les collectivités "ne peuvent emprunter que pour investir". Il a aussi souligné que "le dérapage des dépenses locales n'(était) pas un dérapage dans la mesure où on aurait quitté la trajectoire de façon imprévue. C'est plutôt que la trajectoire était un peu optimiste."
Pour le spécialiste, "le redressement des finances publiques est une nécessité", mais "il faut qu'il soit corrélé à la réalité des territoires, cohérent avec la transition écologique, fondé sur la solidarité financière et inscrit dans une perspective pluriannuelle". Les collectivités attendent de l'État de la visibilité sur leurs finances locales, "au moins sur un demi-mandat", a indiqué Luc-Alain Vervisch.
"Les disparités" de situations entre les collectivités sont "clairement une préoccupation", a alerté l'expert. "On va se retrouver avec un quart ou un tiers des départements en difficulté. De même, 20% des communes vont éprouver des difficultés".