Finances locales : "Les signaux d'alerte sont forts", prévient André Laignel
La photographie des finances des collectivités locales en 2023 s'est affinée grandement ce 11 juin avec la présentation devant le comité des finances locales de la première mouture du rapport annuel de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales. La situation des collectivités à la fin de 2023 est "contrastée" entre les différentes catégories, ainsi qu'à l'intérieur de chacune, a estimé le président de l'instance, André Laignel. Il a dit aussi être inquiet au regard des "signaux d'alerte forts" survenus en 2023, notamment la réduction sensible de l'épargne brute des collectivités.
Lors de la séance plénière que le comité des finances locales a tenu ce 11 juin, une première version (encore provisoire) du rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) pour 2024 a été présentée. Après de premiers éléments livrés en mars par la direction générale des finances publiques et le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale (voir notre article), ce pré-rapport de l'observatoire placé auprès du CFL donne une photographie très précise de la situation des finances des collectivités en 2023.
L'année dernière a été marquée par des "signaux d'alerte forts", a souligné André Laignel. En pointant d'abord la dégradation du solde des collectivités locales. Alors qu'elles dégageaient un excédent de financement depuis plusieurs années (4,8 milliards d'euros en 2022), les collectivités ont enregistré en 2023 un besoin de financement qui s'est élevé à 4 milliards d'euros. "Ce solde est du même ordre de grandeur que celui connu en 2014 (-4,3 milliards d'euros)", précise l'OFGL. Rappelons qu'en 2014, les dotations de l'État aux collectivités locales avaient été réduites de 3,7 milliards d'euros.
"Baisse sensible" de l'épargne brute
Toutes les collectivités ont vu en 2023 le solde entre l’ensemble des recettes et des dépenses - avant mouvements sur la dette – passer dans le rouge.
Les collectivités ont ensuite connu une "baisse sensible" (-9% par rapport à 2022) de leur épargne brute. Cet indicateur - qui est égal à la différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement – a atteint 35,1 milliards d'euros l'an dernier, demeurant ainsi supérieur à 2019 (de 500 millions d'euros en euros courants).
Cette évolution est liée à la baisse de l'épargne brute des régions (-0,4 milliard, soit -5,9%) et surtout de celle des départements (-4,7 milliards d'euros, soit près de -40%). Cette dernière dévisse en raison de la concomitance d'une forte croissance des dépenses de fonctionnement des départements (+6,4%) et du repli des recettes de fonctionnement (-1,2% soit près d’un milliard de recette en moins). Les départements sont pénalisés en particulier par la chute du produit des droits de mutation à titre onéreux (-21,9%) qui atteint 11,4 milliards d'euros. Dans ce contexte, 44 départements connaissent une baisse de leurs recettes de fonctionnement, dont la moitié de -2,5% ou au-delà. De leur côté, les dépenses des départements ont été alourdies notamment par la progression rapide (+9,6%) des achats et charges externes (du fait de la hausse du coût de l'énergie) et de l'accélération des frais de personnel (+7,1%).
Hausse de l'investissement en lien avec l'inflation
À l'inverse, l'épargne brute des communes et de leurs groupements est orientée à la hausse (+1,6 milliard d'euros, soit +7,9%), offrant à ces derniers des marges de manœuvre pour rembourser leur dette et investir. Les communes voient certes leur produit de droits de mutation à titre onéreux reculer en moyenne de 17,7% (avec un impact plus fort pour les villes de plus de 50.000 habitants). Mais cette évolution est largement compensée par la progression des impôts directs (52,5 milliards d'euros, en hausse de 7,4%), sous l'effet en particulier de la revalorisation des bases de taxe foncière en fonction de l'inflation.
De leur côté, les dépenses de fonctionnement des communes (+4,9%) sont rendues dynamiques par les dépenses d'énergie (+25%) et les frais de personnel (+3,6%), mais leur évolution est inférieure à celle de 2022 (+5,9%).
La progression de l'épargne brute des communes est différente selon leur taille. Elle est plus forte pour certaines communes moyennes, celles de 10.000 à 20.000 habitants (avec +8,3%) et de 20 à 50.000 habitants (avec +12%). Pour les communes de plus de 100.000 habitants, la croissance de l’épargne brute est de +23%, mais hors Paris, elle n’est plus que de +9,6%.
Les dépenses d’investissement des collectivités dans leur ensemble ont augmenté de 6,7% l'an dernier (après +6,8 % en 2022), une évolution liée pour une part importante à la hausse des prix.
Les collectivités puisent dans leur trésorerie
Les dépenses d'investissement (hors remboursements de la dette) des communes ont augmenté en 2023 de 9,4% après +10,7% en 2022. Elles sont en hausse quelle que soit la strate de taille des communes, comme en 2017, année comparable du cycle électoral précédent. "Elles progressent de façon à peu près similaire à 2017 pour toutes les strates, sauf pour celles supérieures à 20.000 habitants où les progressions des strates de 20.000 à 50.000 habitants et de 50.000 à 100.000 habitants sont sensiblement plus faibles qu’en 2017", précise l'OFGL.
Pour financer leurs investissements, les collectivités ont pu recourir notamment à leur trésorerie (50,8 milliards d'euros), celle-ci reculant de 4,7 milliards d'euros à la fin de 2023. Cette évolution découle surtout de la forte baisse de la trésorerie des départements (-27% pour atteindre 8,8 milliards d'euros en fin d'année) et de celle des régions (- 43% pour parvenir à 1 milliard d'euros).
Les collectivités ont aussi recouru à des emprunts, mais un peu moins qu'en 2022, année où elles avaient emprunté 16,1 milliards d'euros.
La situation financière des collectivités locales "n'est pas aussi favorable qu'en 2022, mais elle reste satisfaisante", observait la semaine dernière Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, lors d'une audition par des députés (voir notre article dans l'édition de ce jour). Elle ajoutait qu'"on a une situation globalement saine".