Baisser les "coûts" du vote et éduquer, seuls leviers pour lutter contre l’abstention ?
Dans une note publiée le 22 juin, le Conseil d’analyse économique revient sur les causes de la montée de l’abstention et propose quatre pistes pour inverser la tendance. Parmi elles : la généralisation de l’inscription automatique sur les listes électorales et le renouvellement de l’éducation civique par un volet pratique d’apprentissage du processus de vote.
D’un rapport sur l’abstention à l’autre, les constats et analyses des causes diffèrent peu. Intitulée "Les absents ont toujours tort – Une analyse économique de l’abstention et de ses remèdes", la dernière publication du Conseil d’analyse économique (CAE) sur le sujet a le mérite de synthétiser les raisons de l’abstention – ou plutôt de la participation – en reprenant un modèle simple remontant à la fin des années 1950 : "un électeur vote si pB + D [sont supérieurs ou égaux à] C… où p est la probabilité (perçue) que son vote soit décisif, B les bénéfices obtenus si son candidat favori remporte l’élection, C le ‘coût’ du vote, au sens du temps et de l’information requis, et D son sens du devoir civique". Après une remise en perspective historique de l’abstention – qui augmente depuis 40 ans "dans la presque totalité des démocraties" –, les différents éléments de l’équation sont analysés et des propositions avancées.
"Une tendance commune à sous‐estimer l’importance des coûts du vote"
Abaisser le "coût du vote" constitue le levier d’action le plus direct pour l’exécutif et le législateur, un levier qui a été récemment utilisé. "L’inscription automatique des jeunes, la possibilité de s’inscrire en ligne et la diminution du délai entre inscription et élection ont réduit les obstacles liés à l’inscription", relève le CAE. En 2021, 6% de Français en âge de voter n’étaient pas inscrits sur une liste électorale – une part "relativement stable dans le temps". A cela s’ajoutent quelque 15% d’électeurs "mal-inscrits" – selon une donnée de 2012 qui mériterait d’être actualisée –, cette mal-inscription "[constituant] l’un des facteurs les plus déterminants de l’abstention constante". S’élevant à 40% en 2017 chez les jeunes de 25 à 29 ans, cette mal-inscription est parfois "contournée par le recours au vote par procuration" – la démarche de procuration ayant elle-même un certain "coût".
Analysant les "raisons déclarées et perçues de l’abstention pour soi et pour autrui", une réponse de l’enquête menée en 2021 par l’Assemblée nationale auprès des citoyens, le CAE met l’accent sur "une tendance commune à sous‐estimer l’importance des coûts du vote". Ainsi, 16% des répondants déclarent s’abstenir parce qu’ils sont "inscrits ailleurs" alors que 6% seulement estiment que cette mal-inscription explique l’abstention des autres.
Pour continuer à agir sur cette variable, le CAE propose de "généraliser l’inscription automatique sur les listes électorales", de simplifier le calendrier électoral en l’organisant autour de trois cycles – élections nationales, locales et européennes – et d’informer les citoyens par des campagnes de terrain – l’information jouant également sur la perception du bénéfice attendu et le sens du devoir civique.
Inefficacité de l’injonction à voter, impopularité du vote obligatoire…
Selon les réponses à l’enquête de 2021, malgré le décalage entre perception "pour soi" et "pour autrui", les motifs déclarés qui pèsent le plus sont le mécontentement (64% pour soi / 79% pour autrui), le manque d’offre (57% / 71%), l’idée que "les élections ne changent rien" (37% / 65%) ou qu’"un vote ne change rien" (26% / 59%) et le manque d’intérêt (7% / 32%). Le CAE donne plusieurs raisons à cette "baisse des bénéfices attendus", parmi lesquelles la crise de la confiance amorcée dès les années 1970 (voir notre article de novembre 2021 sur les données du Cevipof) en lien avec la hausse du chômage et l’entrée dans un "contexte économique déprimé".
Enfin, la "baisse du sens du devoir civique" s’explique notamment, selon le CAE, par les effets du "renouvellement générationnel" (avec "le passage d’une culture ‘déférente’ à une culture ‘critique’") et par l’"affaiblissement de l’intermédiation politique" – et en particulier le "déclin des partis politiques dans les démocraties modernes", avec un nombre d’adhérents passé en France de 1,7 million en 1978 à 600.000 en 1999. Le CAE met également en avant le faible impact actuel de l’"injonction" à adopter un comportement quel qu’il soit, la "norme injonctive" pouvant même être contre-productive ou en tout cas pas à la hauteur de la "norme descriptive" – les abstentionnistes pouvant "justifier leur comportement par le simple fait qu’un grand nombre d’individus ne vont pas voter". Ainsi un cercle vicieux se met en place, l’abstention alimentant toujours plus d’abstention. La piste du vote obligatoire assorti de sanctions pécuniaires est valorisée par les auteurs, qui estiment que l’idée "mériterait un débat sérieux" mais qu’elle est trop impopulaire en France "pour être réalisable à court terme".
Renouveler l’éducation civique par un apprentissage pratique du vote
Pour agir sur ces "déterminants structurels de l’abstention", le CAE appelle plutôt à "renouveler l’éducation civique et lui donner davantage de moyens". Il propose un "volet pratique" consistant à mettre les élèves en situation d’expérimenter concrètement le processus de vote, "de l’inscription à l’utilisation de l’isoloir". Plus globalement, le CAE estime que l’éducation civique est actuellement "principalement tournée vers l’apprentissage du fonctionnement de la démocratie et des institutions", avec des cours "souvent très théoriques" qui "pourraient être remplacés par des discussions entre professeurs et élèves". A l’inverse, des sénateurs ont récemment recommandé de recentrer l’enseignement moral et civique sur la connaissance des institutions, présentée comme un préalable indispensable à toute autre démarche de type débat – qui serait aujourd’hui largement pratiqué en EMC (voir notre article). Le CAE et les sénateurs s’accordent en tout cas sur l’importance, pratique et symbolique, à donner à cet enseignement.