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Congrès de l'AMF - Baisse des dotations : les maires confirment qu'ils seront contraints à des choix de gestion radicaux

Les maires ont du mal à digérer la baisse de 11 milliards d'euros des dotations prévue par le gouvernement pour la période 2015-2017, qu'ils jugent excessive, injuste et pénalisante pour l'économie. Pour boucler leurs budgets, ils n'auront pas d'autres choix que de réduire les investissements et les effectifs des agents, ont-ils constaté lors d'une table-ronde à l'occasion du Congrès des maires de France. Les services publics et les subventions aux associations sont menacés, assurent-ils.

Les maires et présidents de communautés ont dressé ce 27 novembre, à l'occasion de leur congrès annuel à Paris, un tableau très sombre de leur situation financière fin 2017, c'est-à-dire après quatre années d'une baisse des dotations aux collectivités territoriales qui doit atteindre 12,5 milliards d'euros.
"Très vite", "si des mesures correctrices ne sont pas prises", des collectivités ne pourront pas boucler leurs budgets et seront placées sous la tutelle du préfet, s'est alarmé Antoine Homé, maire de Wittenheim et rapporteur de la commission Finances de l'Association des maires de France (AMF). "Il va falloir prévoir des fonds de sauvetage", a prévenu de son côté Charles Guené, sénateur de la Haute-Marne. C'est une certitude : la réduction des dotations va être ressentie douloureusement. La ville de Vierzon déplorera par exemple l'année prochaine une baisse de 687.000 euros de ses dotations, alors que dans le même temps les charges liées à la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires s'élèveront à 300.000 euros, détaille son maire, Nicolas Sansu. Il en coûtera à la ville une somme égale à "quatre fois les subventions d'équilibre du service du maintien à domicile". De telles équations font craindre aux maires une remise en cause d'une partie des services publics à la population. Ils estiment par ailleurs que l'existence de certaines associations est menacée.

Recul historique de l'investissement local

Autre conséquence du grand coup de rabot sur les dotations, la capacité d'autofinancement des collectivités locales va littéralement s'effondrer. Ce qui va conduire les élus locaux à freiner les investissements. Pour réaliser des économies, c'est la décision la plus facile et la plus rapidement suivie d'effets, a reconnu Alain Juppé, maire de Bordeaux. L'investissement public local devrait ainsi reculer de 30% entre 2015 et 2017, après un premier recul de 10% en 2014, a précisé Charles Guené. Le sénateur a codirigé une étude du Sénat sur l'impact de la baisse des dotations (voir notre article du 12 mars 2014). Même la future métropole de Lyon, plutôt favorisée, prévoit de réduire ses investissements. De 450 millions d'euros par an sous le précédent mandat, ils devraient passer à 250 millions ou 300 millions d'euros par an au cours de l'actuel mandat, selon le président, Gérard Collomb.
Au final, la réduction de l'investissement local aura pour résultat de dégrader l'attractivité de la France, a souligné Philippe Laurent, maire de Sceaux et président de la commission Finances de l'AMF. Des milliers d'emplois "non délocalisables", dans les secteurs des travaux publics en particulier, devraient disparaître. Pour les maires, la dotation de soutien à l'investissement local, de 423 millions d'euros, ne changera rien à la situation. Au contraire : en organisant le redéploiement des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP), elle mettra en difficulté certaines communes pour lesquelles ces fonds représentent jusqu'à 20% des recettes de fonctionnement, ont pointé plusieurs élus locaux. Une analyse que le secrétaire d'Etat au Budget n'a pas partagée. Christian Eckert s'est ému "des anomalies" dans "l'utilisation" des FDPTP. Cette utilisation, selon lui, "ne respecte pas la lettre de la loi, qui précise que ces fonds doivent être utilisés pour corriger des inégalités". "Versailles perçoit plus d'un million d'euros par an de FDPTP, cinq fois plus que l'ensemble du département de la Lozère et du Lot", a-t-il dit. Cet échange avait lieu quelques heures avant l'intervention du Premier ministre devant les maires, intervention au cours de laquelle a été annoncée l'ouverture d'une "discussion" sur les modalités de constitution de ce fonds (voir notre article du jour). Mais au cours de laquelle, on le sait, Manuel Valls a en revanche maintenu son cap concernant le volume de la baisse des dotations.

Les maires prêts à "descendre dans la rue"

Sur un plan démocratique, les sombres perspectives des finances locales empêcheront les élus locaux de mettre en œuvre l'ensemble des engagements qu'ils ont pris en mars dernier devant les électeurs, a souligné l'un d'eux, élu de la commune de Rozérieulles (près de Metz), visiblement très embarrassé. De plus, elles obligeront beaucoup d'entre eux à relever les taux de fiscalité locale. L'Etat transfère aux élus locaux l'impopularité d'augmenter les impôts, a dénoncé Patrick Genre, maire de Pontarlier. Il a appelé ses collègues à "descendre dans les rues avec leurs écharpes pour dire non". En suscitant un fort mouvement d'adhésion de leur part, si l'on en juge aux applaudissements qu'il a recueillis.
La contestation de la baisse des dotations aux collectivités est en effet vive de la part des élus locaux. A ce jour, 13.213 conseils municipaux et communautaires représentant 27,3 millions d'habitants et réunissant des élus de tous les camps politiques ont signé la pétition lancée par l'AMF. Et "les signatures continuent d'arriver", s'est enthousiasmé l'ancien président de l'association, Jacques Pélissard.
Les maires et présidents de communautés ne nient toutefois pas la nécessité pour les collectivités de participer à l'effort de réduction des déficits publics, comme l'ont indiqué plusieurs d'entre eux. Leur exigence n'a pas changé : que la participation demandée à leurs collectivités soit revue à la baisse et fasse l'objet d'un étalement dans le temps. Il s'agit d'une question de justice, a estimé Philippe Laurent. Au regard de leur situation financière – la dette des collectivités représente moins de 10% de la dette publique – et des "efforts" que leurs collectivités ont accomplis pour développer les services publics et le niveau d'expertise de leurs équipes, les maires et présidents de communautés sont "bien mal récompensés", a-t-il jugé. En concluant : "Nous ne voulons pas être les variables d'ajustement du budget de l'Etat".

Réduire le nombre des agents territoriaux

"Le gouvernement ne sous-estime pas les efforts demandés aux collectivités locales", a répondu André Vallini, secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale. En rappelant que les 11 milliards d'euros d'économies sur les dotations sont proportionnels à la part des dépenses des collectivités territoriales dans les dépenses publiques totales (21%). Evoquant par un lapsus "une baisse de 28 millions d'euros" – ce qui n'a pas manqué de faire réagir la salle – le secrétaire d'Etat au Budget a de son côté plutôt minimisé les effets de cette décision en rappelant, comme il l'a fait déjà à plusieurs reprises, que les dotations ne représentent que le quart des ressources des collectivités. Selon lui, les trois quarts restants conservent un certain dynamisme et permettent donc à un certain nombre de communes de trouver une "compensation".
Pour boucler leurs budgets, les élus locaux devront bien toutefois rivaliser d'ingéniosité et faire des choix douloureux. Or, les "marges de manœuvre" sur les dépenses de fonctionnement "sont assez limitées", a indiqué la maire de Paris, Anne Hidalgo. Son homologue à Bordeaux, Alain Juppé, a fixé aux services de la mairie un objectif de réduction des dépenses de "10% sur le mandat" ("- 1,7%" dès 2015). Des économies seraient possibles sur "la masse salariale". "C'est là qu'il faut agir", a-t-il estimé. "Dans les intercommunalités, nous avons additionné plutôt que mutualisé" [les effectifs], a-t-il expliqué. En suggérant de lancer un "plan de non-renouvellement intégral des départs en retraite". Anne Hidalgo avait appelé plus tôt à faire preuve de "discernement" dans la mise en œuvre d'une telle solution, expliquant qu'elle n'est pas adaptée dans des services comme les crèches. Sous les vifs applaudissements de ses collègues, le maire de Bordeaux a aussi plaidé en faveur du retour du jour de carence pour les arrêts maladie des agents publics, un dispositif que la gauche a supprimé au 1er janvier 2014. Parmi les pistes d'économies à moyen ou long terme, l'élu a aussi cité la mutualisation. Dans l'agglomération de Bordeaux, elle prend par exemple la forme de services communs aux échelons communal et métropolitain, auxquels les municipalités adhèrent volontairement.

Moins de normes : le cadeau de Noël des maires ?

Les élus locaux peuvent parvenir aussi à des économies sur les investissements - même s'ils s'accordent que leur maintien est indispensable. André Vallini les a invités par exemple à mieux dimensionner les projets et à choisir les plus opportuns. La maire de Paris s'est dit prête à un travail d'analyse préalable dans ce domaine, y compris en collaboration avec l'Etat. Cette démarche nécessitera un "travail de pédagogie" des élus locaux à l'égard de la population, ont convenu les édiles et le gouvernement.
Même si par sa décision de réduire les dotations, l'exécutif national est à l'origine des difficultés des collectivités, il pourrait aussi les aider à freiner leurs dépenses. Car il peut agir sur la production des normes. Le secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale a ainsi annoncé que "chaque ministère" fournira, "d'ici Noël", "trois normes [appliquées aux collectivités] à alléger ou supprimer".