Avignon ouvre son cœur aux maires des villes "à taille humaine"
Les maires du programme Action coeur de ville ont fait halte dans la cité papale, les 9 et 10 octobre, pour les Rencontres Coeur de ville organisées par la Banque des Territoires. L'occasion pour Cécile Helle, maire d'Avignon, de faire découvrir les nombreuses réalisations entreprises pour redynamiser le centre.
Rares sont les villes qui peuvent se prévaloir d'un centre aussi bien délimité que celui d'Avignon, cerné qu'il est par ses illustres remparts. Une ville "intra muros" où 15.000 des 93.000 Avignonnais résident. Ces vestiges du Moyen Age auraient pu disparaître mais "ils constituent un élément de protection contre les inondations", explique Cécile Helle, maire de la ville engagée depuis son élection en 2014 dans une grande opération de requalification du centre historique. Quand les eaux du Rhône montent, on utilise des "batardeaux" qui obstruent toutes les portes de la ville, raconte-t-elle devant une quarantaine de maires et de chefs de projets venus de toute la France, engagés comme Avignon dans le programme national de revitalisation des villes moyennes Action cœur de ville (ACV). Ils sont réunis à l'initiative de la Banque des Territoires pour participer pendant deux jours aux "Rencontres Cœur de ville". Au programme : des visites "in situ" comme ici à Avignon ou à Carpentras, Cavaillon et Arles, suivies d'ateliers de travail dans l'enceinte du Palais des Papes pour discuter des enjeux de revitalisation : rénovation thermique des bâtiments, alternatives à la voiture, commerce, végétalisation, traitement des entrées de ville et des quartiers de gare... Maître de conférences en géographie, Cécile Helle met de côté son écharpe de maire pour se muer en guide touristique pendant 3h30 de déambulation à travers la ville qu'elle connaît sur le bout des doigts.
Rendez-vous est pris au bas de la rue de la République, unique boulevard "Haussmannien" de ce centre hérité du Moyen Age et qui jusqu'à une période récente était "très circulé". "Nous avions deux objectifs : apaiser les circulations en réduisant l'accessibilité à la voiture et travailler à rendre agréable le cheminement pour les autres formes de déplacement, le vélo, les piétons…"
Autant dire que la voiture n'est plus en odeur de sainteté dans la cité papale. De nombreuses artères, rues et places ont été rendues aux piétons, comme la place Saint-Didier où trône un magnifique micocoulier. Il y a quelques années, les remparts étaient bordés de parkings. Ils ont tous été transformés en promenades. Une boucle de 5,5 km que les habitants utilisent pour se rendre de la gare aux quartiers de l'université et de la préfecture ou pour flâner. A la place, deux parkings gratuits de plus de 1.000 places chacun ont été construits à deux extrémités de la ville, lors de son premier mandat. Ils sont reliés au centre par des navettes gratuites qui partent tous les quarts d'heure. A l'intérieur des remparts circulent aussi des "Baladines", sortent de petites navettes électriques qui s'arrêtent à la demande.
Candidate aux RER métropolitains
Actuellement, le parvis de la gare du centre est en plein chantier. Il sera totalement transformé d'ici au printemps 2023, avec un système de dépose minute. Dans le même temps, la municipalité se positionne sur les "RER métropolitains" annoncés par Emmanuel Macron l'an dernier. Avignon n'est pas à proprement parler une métropole, mais "on a un des trafics TER parmi les plus importants de la région. Nous avons beaucoup de périurbain autour d'Avignon, il n'y a pas beaucoup d'alternatives crédibles", justifie l'édile, disant vouloir profiter des lignes actuelles, tout en demandant à la SNCF un séquençage plus fréquent et des "trains à l'heure".
La procession se déplace au rythme des réalisations. Le patrimoine et la culture y prennent une place de choix, comme sur la Place des Corps Saints où la ville a voulu "magnifier" un ensemble religieux "désacralisé" pour en faire un lieu d'exposition et de manifestations : fête du Côte du Rhône primeur le 3e jeudi de novembre, marché de Noël, marché fermier… Après quinze ans de mise en sommeil, l'hôtel des Monnaies, qui jouxte l'église des Célestin, sera bientôt converti en chambres d'hôtel. Plus loin, d'anciens bains douches vont bientôt être réhabilités en musée. D'ici début 2025, l'ancienne faculté des sciences qui a déménagé vers l'Agroparc accueillera une "Villa créative" qui formera aux métiers culturels. "C'est tout un écosystème d'enseignements culturels qui sera créé", se félicite Cécile Helle pour qui le patrimoine et la culture forment avec l'Agroparc les deux pôles d'excellence de l'université d'Avignon qui comprend près de 8.000 étudiants. Une université "à taille humaine", comme la ville, aime-t-elle à souligner.
"Notre volonté est de garder un centre vivant"
L'habitat est aussi l'un des gros enjeux de cette opération de redynamisation. D'abord pour retenir les familles qui ont du mal à rester une fois qu'elles s'agrandissent. "Parmi les nouveaux arrivants, nous avons beaucoup de nouveaux retraités qui viennent chercher une ville de culture toute l'année", constate aussi l'élue. Plusieurs îlots comportaient de l'habitat insalubre. Des opérations de restructurations immobilières (ORI) ont été menées. Mais à mesure qu'elle s'embellit, la ville est confrontée à la multiplication des "boîtes à clef", attestant de la location en meublés touristiques. "Ce n'est pas encore la vague que connaissent Annecy ou La Rochelle, mais on est vigilants : on vient de voter la surtaxation de la taxe sur l'habitation sur les résidences secondaires, et nous allons enchaîner sur une délibération pour obliger les propriétaires à s'inscrire en mairie ; ils ne pourront pas louer plus de 120 jours par an." "Notre volonté est de garder un centre vivant", martèle Cécile Helle.
Dans toutes ces réalisations, la municipalité accorde une attention particulière aux bancs et aux arbres. La ville n'a pas échappé à l'épidémie de chancres colorés qui ravage les platanes comme dans la rue des Teinturiers, une des plus belles rue d'Avignon, où d'immenses platanes pluriséculaires ont dû être abattus. Mais la municipalité s'engage à replanter systématiquement, notamment des essences qui poussent rapidement pour offrir de l'ombre à brève échéance. "Le centre historique est très minéral, il y fait très chaud l'été, on essaye d'arborer, c'est un vrai enjeu dans le contexte de réchauffement climatique." La ville a aussi entrepris de végétaliser toutes les cours d'école.
Ces efforts ont déjà un impact sur la vacance commerciale. Elle a même quasiment disparu de la rue de Trois Faucons qui prolonge la place Saint-Didier. "Quand on a commencé, le taux de vacance commerciale était de 20 à 25%, aujourd'hui il n'y a plus de vacance", assure Cécile Helle. Mais par endroits, la situation reste fragile comme en attestent de nombreuses vitrines blanchies à la chaux. De grandes enseignes comme Naf Naf, André ou Marie Blachère ont quitté la rue de la République, principale artère commerçante du centre. Les locaux sont toujours inoccupés.
Points de blocage
La rue Thiers, objet d'une importante opération de requalification, comporte elle aussi plusieurs devantures fermées : un ancien centre de soins esthétiques, une compagnie d'assurance... "Un entrepreneur souhaiterait racheter tout un bloc qui est aujourd'hui inoccupé. Le propriétaire, à Paris, veut continuer à louer les logements du dessus (…) On est bloqués. Nous n'avons toujours pas réussi à convaincre", raconte le maire. Olivier Sichel suggère alors de déléguer le droit de préemption urbain à une foncière comme l'a fait Bourg-en-Bresse. "Comme par hasard, la situation s'est débloquée", explique-t-il. Avignon a fait le choix d'une foncière 100% publique, mais "il faut trouver un fonds d'amorçage, ce n'est pas rentable à moyen terme", répond Cécile Helle. La ville a aussi mis en place une taxe sur les locaux commerciaux vacants, "mais ce qu'on veut c'est inciter". "Si vous réhabilitez, si vous mettez du commerce, ça va changer la donne." "Il faut aller jusqu'à la fin de l'histoire pour voir", cherche-t-elle à convaincre.
Autre difficulté : beaucoup de rez-de-chaussée sont occupés par des théâtres en juillet mais restent inoccupés le reste du temps. Au Théâtre du Sport, rue Carreterie, une solution a été trouvée. Le théâtre fonctionne comme salle de sport toute l'année et reprend son activité théâtrale pendant le festival.
Toutes ces opérations se chiffrent en une quinzaine de millions d'euros. Depuis le lancement du programme ACV, la Banque des Territoires est intervenue sur 15 actions totalisant 3,9 millions d'euros en ingénierie et en investissements, dont 1,5 million d'euros pour la performance énergétique des piscines municipales. En conclusion de ces rencontres, Olivier Sichel a annoncé que la Banque des Territoires comptait mettre en place un "appui technique de haut niveau pour débloquer les situations les plus compliquées" vécues par les villes du programme. Il s'agirait de mettre à disposition des cadres de haut niveau sur une durée de six à vingt-quatre mois pour une cinquantaine de projets.
"Action cœur de ville nous a surtout permis un accompagnement", explique à Localtis Cécile Helle. "Nous avons ainsi pu financer une étude sur la logistique urbaine, il s'agit de mieux canaliser les livraisons, pour faire en sorte que la livraison du dernier kilomètre se fasse avec des modes de transport vertueux." En 2014, elle s'était fait élire en appelant à un "moratoire" sur la construction des grandes surfaces (voir notre article du 8 février 2018). C'est donc naturellement qu'elle postule au volet "Entrée de ville" de la deuxième phase d'Action cœur de ville qui démarre tout juste.