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Congrès de l'ADF - Avenir du département : Manuel Valls a bien changé d'avis

Le Premier ministre est venu redire aux présidents de conseils généraux réunis en congrès à Pau qu'il ne prévoit plus de supprimer le département. Les compétences départementales pourraient même être "confortées". Il est aussi venu confirmer la reconduction des dispositions liées aux DMTO dont les départements ont pu bénéficier cette année pour les aider à financer les allocations de solidarité.

Ceux qui avaient écouté l'intervention du Premier ministre devant le Sénat le 28 octobre n'auront rien entendu de tout à fait nouveau sur la réforme territoriale. Les autres si. En venant s'exprimer ce jeudi 6 novembre devant les présidents de conseils généraux réunis dans les Pyrénées-Atlantiques, à Pau, pour le 84e Congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF), Manuel Valls a en effet à peu près repris les termes de ce qu'il avait dit aux sénateurs. Principalement pour se redire convaincu qu' "entre de grandes régions stratèges et le couple communes-intercommunalités, il faut un échelon intermédiaire pour assurer les solidarités humaines et territoriales", que "le département joue un rôle indispensable" et que sa suppression pure et simple après 2020 n'est donc tout compte fait peut-être pas la meilleure chose.
Il s'est fait plus explicite sur ce discours nouveau, reconnaissant qu'il a changé d'avis depuis sa déclaration de politique générale d'avril dernier. "Depuis plusieurs mois, j'ai écouté et échangé. Je me suis rendu à tous les congrès des associations d'élus. Oui, en écoutant, on change d'opinion sur les modalités d'une réforme." Changé… et hésité. "Nous-mêmes avons hésité, depuis 2012. Cette grande réforme sur les collectivités locales, vous avez raison, elle aurait dû être menée dès 2012", a-t-il déclaré en réponse au président de l'ADF, Claudy Lebreton, qui venait de considérer qu'une "loi de décentralisation aurait dû se faire dans les 100 premiers jours du quinquennat". Elle ne l'a pas été, a reconnu le Premier ministre, "parce que des contradictions existaient au sein même de la formation politique majoritaire". Or ces "hésitations ont évidemment beaucoup troublé". Il faudrait donc désormais faire les choses "sereinement, par étape, dans l'écoute, le dialogue". Manuel Valls parle de "changement de méthode". Et omet de mentionner la loi Maptam esquissée dès 2012 et discutée en 2013.

Schémas départementaux de services publics, le retour

Le chef du gouvernement veut toujours "clarifier". Il en fait le principal moteur de toute réforme territoriale. Le projet de loi "Notr" sur les compétences qui sera discuté à partir du mois de décembre au Parlement devra d'abord obéir à ce principe. "Clarifier les compétences, c'est clarifier les financements, c'est dire qui est responsable de quoi". Soit. Et dans ce cadre, certaines compétences du département pourraient être "confortées". Comme au Sénat, il a répondu au vœu de l'ADF de voir l'action des départements dans deux domaines être reconnue – l'ingénierie et l'accès aux services publics. Il a, à ce titre, évoqué le rôle des départements en matière de maisons de services publics et estimé que "l'élaboration conjointe, entre l'Etat et les conseils généraux, de schémas de services au public doit être inscrite dans la loi". Ce qui pourrait signifier qu'il soutiendra une modification du projet de loi Notr en ce sens, celui-ci prévoyant aujourd'hui des schémas intercommunaux et non plus départementaux. S'il a bien évoqué le fait que ce texte de loi pourra faire l'objet d'évolutions à l'occasion de la discussion parlementaire, il n'a en revanche pas mentionné les quatre grands transferts de compétences auxquels les départements souhaiteraient que le gouvernement renonce : les routes, les collèges, les transports interurbains et les transports scolaires. André Viola, président du conseil général de l'Aude et nouveau président du groupe majoritaire de gauche de l'ADF, s'en était fait l'écho au cours de la matinée : autant le transfert aux régions des transports interurbains "peut s'entendre", autant la compétence collèges, "il est évident que nous voulons la conserver !", avait-il lancé, mentionnant au passage qu'il faudrait en revanche absolument prévoir le transfert de l'Etat aux conseils généraux des gestionnaires des collèges. Là-dessus, donc, le discours de Manuel Valls a pu décevoir les élus.
Marylise Lebranchu, arrivée à Pau en fin de journée, a toutefois rappelé que les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) créées par la loi Maptam permettront aux territoires qui le souhaitent d'envisager une délégation de ces compétences devenues régionales vers le département. La ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique a d'ailleurs souligné que le potentiel des CTAP qui vont prochainement se mettre en place n'avait sans doute jusqu'ici pas été suffisamment perçu. Et que la compétence des départements en matière de "solidarité territoriale" était bien sur le point de trouver une traduction législative.
Le poids des départements en termes d'investissement public, leur action en tant que "pionniers du numérique" et qu'acteurs clefs du plan national Très Haut débit, leur "responsabilité décisive" en matière de soutien aux communes et EPCI, leur "rôle incontournable dans la protection des populations" et donc dans le social… tout cela a été largement mis en avant par le Premier ministre. Sur le social d'ailleurs, il n'a pas seulement parlé d'allocations, mais aussi de politiques sociales, citant "l'articulation entre le département et Pôle emploi", le rôle pris en matière d'emplois d'avenir, l'expérimentation de la garantie jeunes, l'élaboration du projet de loi Viellissement et les démarches des maisons de l'autonomie ou le "nouveau forfait autonomie"…
Alors forcément, pour tout cela, pour "inventer de nouvelles solidarités territoriales", même après 2020, on ne pourra pas tout rayer d'un trait. Et Manuel Valls d'infirmer ce qui avait été l'une des propositions du gouvernement au printemps dernier : "Même si nous regroupons les intercommunalités, celles-ci n'auront pas la force nécessaire, au moins pas tout de suite", reconnaît-il aujourd'hui.

Pérennisation des mesures de 2014

Sur le social, on le sait, les présidents de département avaient une attente bien spécifique – la question du financement des trois allocations individuelles de solidarité bien sûr. Et là-dessus, les annonces attendues (voir notre article du 4 novembre) ont bien été au rendez-vous. Ce qui se traduira concrètement dans le projet de loi de finances en cours de discussion à l'Assemblée. Il s'agit tout d'abord de la pérennisation des dispositions dont les départements ont pu bénéficier en 2014 : la faculté pour les départements de porter à 4,5% leur taux de DMTO, ainsi que le fonds de solidarité alimenté par un prélèvement sur ces mêmes DMTO. Manuel Valls a indiqué qu'il donnera des consignes en ce sens à ses ministres. Et a en outre annoncé qu'il acceptait la demande de l'ADF d'"introduire le critère du potentiel fiscal corrigé, dit Ackermann". Un amendement sur ce point a été préparé par l'association et pourrait donc être discuté avec l'appui du gouvernement ce vendredi 7 novembre à l'Assemblée.
Claudy Lebreton a souligné qu'il s'agissait d'un changement "énorme", d'un "bouleversement" grâce auquel "pour la première fois, on aura un potentiel calculé sur les recettes fiscales", ce qui mettra enfin un terme aux injustices en termes de classement de richesses qui pénalisaient nombre de départements depuis plusieurs années.
"Une solution durable serait que le RSA, qui est une politique nationale, voie son financement redevenir lui aussi national. La clarification, c'est aussi cela", avait redit Claudy Lebreton dans son adresse au chef du gouvernement. Après avoir rappelé que la décentralisation du RMI/RSA datait de 2004, Manuel Valls a reconnu que le financement du RSA posait problème : "Contrairement à l'APA ou à la PCH, le conseil général n'a aucune marge de manœuvre". Et a indiqué vouloir aller vers "une meilleure cohérence entre les minima sociaux", annonçant par conséquent la création d'un "groupe de travail pour réfléchir à l'évolution du RSA socle". "Je connais votre demande de recentralisation. Vous serez associés à ce groupe de travail", a-t-il déclaré.
Le meilleur porte-parole de l'action du département en matière sociale aura sans doute été ce 6 novembre la secrétaire d'Etat chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l'exclusion Ségolène Neuville, certes elle aussi conseillère générale (des Pyrénées-Orientales). "Nous travaillons sur les mêmes sujets ; c'est vous qui construisez les politiques sociales, qui avez la connaissance des territoires, des populations ; j'ai besoin de vous", leur a-t-elle dit avec beaucoup de naturel. Ségolène Neuville était notamment venue au congrès de l'ADF pour signer avec Claudy Lebreton une convention sur la démarche "Agille" qui, a-t-elle résumé, invite les conseils généraux à proposer à l'Etat un certain nombre de simplifications qu'ils jugent pertinentes dans leur département. "Ce ne sera pas forcément la même chose partout. Ce sont les élus qui proposent, c'est ‘à la carte'. Quand un département entre dans cette démarche, le préfet et le président de conseil général avancent ensemble", a-t-elle expliqué.
 

Claire Mallet, à Pau

L'ADF ne devrait pas faire cause commune
Il faudra sans doute attendre la deuxième journée de congrès pour se faire une idée plus précise de la façon dont les paroles gouvernementales auront été perçues ici à Pau. Certains, comme François Sauvadet, n'ont pas tardé à faire part de leur déception, regrettant de ne pas avoir pu échanger directement avec le Premier ministre et parlant même d'un "rendez-vous manqué". A l'écoute des allocutions qui avaient précédé celle de Manuel Valls, un front d'hostilité était clairement perceptible quelle que soit la couleur politique des élus. Il était presque difficile de savoir lequel d'André Viola ou de Bruno Sido était le plus critique. Le second, président du groupe des présidents de droite, du centre et indépendants (DCI), après avoir parlé d'une réforme "dispendieuse, incompréhensible et inefficace", a toutefois annoncé d'emblée que "à quelques mois des échéances électorales, par souci de clarté et de transparence, le groupe DCI entend porter ses propres propositions" et ne compte donc pas cosigner la motion qui devrait être préparée en vue de la conclusion du congrès. Ce type de clivages refaisant surface est certes un classique des congrès de l'ADF, avec des épisodes plus spectaculaires d'ailleurs puisqu'on se souvient notamment que l'an dernier à Lille, les présidents de droite avaient même quitté le congrès qui venait à peine de s'ouvrir. Et puis les élections approchent. Ce sera les 22 et 29 mars 2015. Le groupe DCI ne l'oublie pas et espère évidemment qu'elles déboucheront sur "l'alternance à l'ADF"…
C. M.