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Autorité environnementale : trop de planification tue la planification

Dans son rapport 2020, l'Autorité environnementale déplore l'insuffisante prise en compte des effets de la crise dans les dossiers qui lui sont présentés, et souligne plus généralement la nécessité d’une évaluation et d’une actualisation régulières, sur la base d’indicateurs quantitatifs aujourd’hui trop souvent absents. Elle regrette également le hiatus entre les objectifs affichés et les moyens mis en œuvre, notamment à l'égard du changement climatique ou de l'objectif de "zéro artificialisation nette". Elle plaide en outre pour une réflexion urgente visant la simplification de la planification, jugée complexe et peu rentable au regard des ressources investies.

Avec un peu de retard sur le calendrier habituel, Philippe Ledenvic a présenté ce 22 juin le rapport annuel 2020 de l'Autorité environnementale (Ae), qu'il préside. Si l'année passée a été moins productive que les dernières éditions (91 avis, répartis entre 65 projets et 26 plans & programmes, et 156 décisions après examen au cas par cas), le rythme s'est fait bien plus intense pour l'Ae depuis décembre (99 avis rendus). Un double mouvement qu'explique le décalage des saisines induit par la crise sanitaire.

Insécurité juridique persistante

Sur le plan réglementaire, l'année 2020 aura été marquée par la publication des décrets du 3 juillet (voir notre article) et du 11 août (voir notre article) "mettant fin à une longue période d'instabilité juridique", mais qui "traduisent des choix contraires à une ambition de simplification affichée de façon répétée", indique le rapport. En conférence de presse, Philippe Ledenvic s'est fait plus mordant encore, dénonçant un "dispositif très complexe, avec le maintien d'un trop grand nombre d'autorités, qui donne souvent lieu à discussions pour déterminer quelle est l'autorité compétente". Il rappelle en outre la mise en demeure complémentaire de la Commission européenne du 18 février 2021 (voir notre article) – "la directive projets étant toujours mal transposée" – et juge qu'in fine "l'insécurité juridique n'est pas levée". Le président de l'Autorité a également critiqué le futur décret d'application de la loi Asap, "pas encore signé", qui prévoit de réduire de 3 à 2 mois le délai d'instruction de l'Ae. Il confesse "ne pas avoir très bien compris la finalité de ces dispositions, le gain d'un mois n'étant pas déterminant et majeur au regard de la temporalité des projets concernés, souvent de 5 à 10 ans". Un raccourcissement jugé d'autant plus malvenu que l'Autorité rencontre des difficultés pour rendre ses décisions dans les délais, vu le volume des dossiers déposés : "la question des moyens devient un sujet de préoccupation inédit", confie Philippe Ledenvic.

Projets "d'un autre siècle" et "passages en force"

Sur le fond, est soulignée la "très grande hétérogénéité des dossiers instruits" au cours de la période, la qualité des uns traduisant "la mobilisation de nombreux maîtres d'ouvrage pour le 'bien-faire' et la maturité atteinte par certains bureaux d'étude"… mais rendant aussi d'autant plus "déconcertante et anachronique la présentation de certains dossiers, souvent anciens".
Des projets anciens qui concernent souvent des infrastructures routières (échangeurs, déviations, requalifications ou mises aux normes…), ces dernières constituant le gros des dossiers analysés (20 sur 65 projets). Parmi elles, la liaison est-ouest au sud d'Avignon a été particulièrement critiquée, l'Ae ayant "pour la première fois décidé de produire une contribution dans le cadre de la consultation publique, au regard de l’indigence du mémoire en réponse produit par le maître d’ouvrage […]". Un autre projet – ferroviaire cette fois, celui de la ligne 17 nord du Grand Paris Express – a également été pointé du doigt, pour défaut d'actualisation du dossier, qualifiée de "surprenante". Le reproche est de même adressé aux projets d'aménagements urbains, "peu de réponses étant apportées aux recommandations des premiers avis émis sur les dossiers de création de ZAC".
De manière générale, l'Ae relève que la crise devrait "conduire à questionner à tout le moins les exercices de prospective et les scenarii de référence comme les scenarii de projets qui servent de base à l'évaluation des incidences environnementales". Elle s'étonne donc de continuer "d'être saisie pour avis de plus en plus de dossiers dont le scénario de référence n'en tient pas compte et qui n'en tirent aucune conséquence pour le calendrier et les effets des projets". In fine, l'Ae y voit "un manque de considération pour le public", voire un "passage en force pour des projets d'un autre siècle". Philippe Ledenvic souligne que l'Ae a même, "de façon inédite, dû écrire à un préfet de région" pour lui rappeler l'indépendance et l'objectivité de l'institution, en lui précisant le caractère vain de "toute intervention", notamment les interventions téléphoniques du représentant de l'État auprès du président de l'Ae… Plus généralement, le rapport s'attarde sur les difficultés rencontrées pour définir les scenarii de références, prendre en compte l'évolution d'un projet au cours du temps ou encore actualiser les études d'impact.

Des strates qui s'ignorent – ou quand l'Ae plaide elle-aussi pour la simplification

S'agissant des plans ou programmes, l'Ae relève qu'une grande majorité d'entre eux affichent des objectifs ambitieux au regard de l'état actuel de l'environnement, mais note "toujours un net décalage entre les ambitions affichées, les stratégies retenues et les dispositions qui permettraient de les atteindre". Elle constate également "fréquemment l’absence de bilan et d’évaluation des politiques et mesures déjà mises en place, même quand il s’agit d’un renouvellement".
Surtout, elle estime que "la multiplicité des documents est source d'une grande complexité dans leurs articulations et conduit à la mobilisation de ressources très conséquentes peu en rapport avec les gains obtenus par ces exercices". Elle juge en conséquence "urgent de lancer une réflexion nationale sur le nombre, la définition et le contenu de ces plans", en "visant une réduction de leur nombre pour se concentrer sur les sujets les plus stratégiques et sur ceux qui encadrent directement des projets, en s'attachant à leur articulation et leur cohérence et en veillant à se doter des moyens pour leur mise en œuvre et leur suivi environnemental".
Ainsi l'Ae estime, s'agissant des documents d'urbanisme, que "les objectifs précis assignés au territoire concerné par les plans et schémas 'supérieurs' (Sraddet, Sdage, PGRI…) devraient constituer des éléments de base du scénario de référence de leur évaluation environnementale. Pourtant, ils sont rarement analysés en ce sens". Dans l'autre sens, elle relève qu'elle "est souvent amenée à souligner l’absence de territorialisation des objectifs des plans ou programmes alors qu’elle permettrait de les décliner en objectifs plus opérationnels et plus adaptés". Une territorialisation jugée particulièrement "nécessaire lorsque le plan est établi à une échelle pour laquelle il resterait trop général et manquerait de contenu concret (Sraddet, PRFB, Sdage)".

Changement climatique, ZAN et aéroports

L'Ae met également l'accent sur un certain nombre de thèmes, dont certains étaient déjà évoqués dans le précédent rapport (voir notre article).

• Ainsi de l'objectif de "zéro artificialisation nette (ZAN)", "premier des enjeux des Sraddet et 3e des chartes de parcs naturels régionaux (PNR)". Pour l'atteindre, l'Ae souligne la nécessité "d'objectifs chiffrés et de résultats mesurés", mais aussi de "l'adhésion initiale des collectivités impliquées dans l'élaboration du schéma ou du plan, puis tout au long de leur mise en œuvre" et de "l'exercice par l'État du contrôle de légalité". Or, pour l'heure, elle considère que l'objectif "n’est pas décliné de façon suffisamment ambitieuse et surtout concrète dans une majorité de Sraddet ni de charte de PNR". Elle juge en outre que la "gouvernance du ZAN" qui y est présentée "paraît le plus souvent insuffisamment structurée". L'Ae déplore par ailleurs que l'objectif "n'apparaît pas concrètement pris en considération" dans les projets de ZAC et d'infrastructures de transport. Ainsi, "aucun des dossiers de projets d’aménagement ou d’infrastructure analysés en 2020 ne prévoyait de dispositif de suivi de l’artificialisation des sols".

• Même constat, peu ou prou, s'agissant du changement climatique. L'Ae souligne que la prise en compte par les plans et programmes des enjeux relatifs aux émissions de gaz à effet de serre est "encore limitée" et déplore des réponses "pas à la hauteur". "Les évaluations quantitatives exhaustives sont rares et aucun plan ne considère qu'il est directement concerné par le respect de la trajectoire vers la neutralité carbone".

• Évoquant également les projets aéroportuaires, l'Ae juge indispensable "une analyse de la croissance aéroportuaire à l'échelle nationale" et estime ainsi qu' "un plan stratégique de développement des aéroports, accompagné d'une évaluation environnementale, serait le bienvenu en tant que schéma d'infrastructures de transports". Prouvant ainsi que la planification n'a pas dit son dernier mot.