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Covid-19 : l'Assemblée nationale au chevet de la démocratie environnementale

Auditionné ce 30 avril par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, le président de l’Autorité environnementale (Ae), Philippe Ledenvic, a fait part des difficultés inédites auxquelles est confrontée l’instance en cette période de crise sanitaire. 

"La crise sanitaire ne peut être un prétexte pour affaiblir le droit de l’environnement" a réaffirmé avec force la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, par la voix de sa présidente, Barbara Pompili, ce 30 avril, lors de l’audition du président de l’Autorité environnementale (Ae), Philippe Ledenvic.
Procédures dérogatoires, consultation du public, zones de non-traitement…une question taraude la commission : comment garantir le respect des normes environnementales dans une période marquée par le régime d'urgence sanitaire, dérogatoire par principe ? L’Ae fait en effet face à des "difficultés inédites" dans la période actuelle de crise sanitaire, reconnaît son président.
Contrainte de s’adapter, l’instance n’a toutefois pas ralenti son rythme de fonctionnement pendant la période de confinement. "Depuis le début de l’urgence sanitaire, l’Ae s’efforce de rendre ses avis dans les délais prescrits sans utiliser les dispositions de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 de suspension des délais, grâce en particulier à des visioconférences", et surtout "sans entamer la collégialité qui est une des clefs de l’objectivité et de la robustesse de ses avis", insiste Philippe Ledenvic. Reste que l’ordonnance permet également aux services consultés (préfets et agences régionales de santé-ARS) de repousser l’échéance de leurs contributions "ce qui peut rendre difficile le respect de l’objectif d’atteinte des délais habituels", relève-t-il.
Les visites sur site n’étant plus possibles, "des visioconférences ou télé-conférences leur sont là encore substituées". Les MRAe - missions régionales d’autorité environnementale - fonctionnent avec le même objectif, mais "elles sont également tributaires de la poursuite d’activité des services de l’État".

Gagner du temps

La principale difficulté est liée "à la phase de consultation du public", souligne-t-il. "La démocratie environnementale ne peut pas être considérée comme ralentissant l’action publique même pendant cette période de crise (….)", martèle Philippe Ledenvic, relayant les craintes déjà exprimées dans le dernier rapport annuel de l’instance. L’Ae constate en effet dans son éditorial que "de nombreuses dispositions, adoptées ou en cours d’examen par le législateur et l’exécutif, réduiront significativement le champ de la participation du public, ce qui constitue à tout le moins une régression démocratique". Ceci vise notamment la loi Energie-climat du 8 novembre 2019, la loi Essoc de 2018, et plus récemment le projet de loi Asap.
À chaque fois, le même argument sous-jacent, la démocratie environnementale ferait perdre du temps. Or, c’est l'inverse, estime le président de l’Ae, "potentiellement cela en fait gagner en évitant un certain nombre de recours mais surtout cela en fait gagner en termes d’acceptabilité et d’amélioration et de modification des projets". "Nous nous gardons d’avoir un a priori contre la simplification administrative", estimant qu’elle "peut être compatible avec la préservation et même l’amélioration de la démocratie environnementale", à condition qu’elle fixe "des règles claires et stables qui garantissent objectivité et transparence", remarque le président de l’Ae, qui plaide également pour une traduction concrète des observations du public recueillies au cours du processus. Un constat d’ailleurs "transposable" aux dispositions de crise : "il est nécessaire de définir plus strictement le cadre de dérogations et sa durée et s’assurer que ce cadre est respecté", relève Philippe Ledenvic. 

Des dérogations dans le viseur

Concernant le décret 2020-453 du 21 avril 2020, l’Ae s’est exprimée sur les quelques items de l’article 2 qui reprennent les conditions de dérogation fixées par l’article 9 de l’ordonnance n° 2020-306, et plus particulièrement sur quatre projets - usine de frites surgelées sur le grand port maritime de Dunkerque ; route Centre-Europe-Atlantique ; modification de la déclaration d'utilité publique (DUP) de la ligne 18 Est du Grand Paris Express ; nouvelle centrale électrique en Guyane- "plutôt visés par le critère de sauvegarde de l’emploi et de l’activité".
Quant au décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet, "il ne vise pas les textes relatifs à l’état d’urgence", souligne Philippe Ledenvic. À plusieurs égards, l’Ae y apporte un éclairage critique. Tout d’abord, elle s’interroge sur le fait que ce texte ne semble pas avoir fait l’objet d’une consultation du public "alors même qu’il prévoit expressément de déroger à des normes visant spécifiquement la protection de l’environnement de façon générale". Ce décret prévoit en outre une généralisation sur l’ensemble du territoire "sur le fondement d’un rapport partiel et non public". "L’Ae a essayé de se procurer le rapport d’expérimentation sur lequel se fonde ce décret, il n’est pas accessible (…)", remarque son président, qui déplore une présentation "trompeuse lorsqu'elle annonce que le décret pérennise la situation antérieure alors que cette pérennisation ne concerne que les départements expérimentateurs". 

Et l’après ? 

Une fois l’état d’urgence sanitaire levé, "il serait utile de conduire une évaluation publique des effets de ces dérogations afin de consolider la démocratie environnementale et la protection de l’environnement y compris pour le deuxième décret qui n’est pas motivé par l’état d’urgence", estime Philippe Ledenvic. Celui-ci relève par ailleurs une difficulté pour l’après-crise venant du fait que toutes les études d’impact sont fondées sur des éléments de référence d’avant la crise ("business as usual"). Le défi pour les maîtres d’ouvrage et bureaux d’études sera "d’imaginer un avenir dont personne n’a pour l’instant d’idée précise", souligne le président de l’Ae, puisque "la crise va impliquer un recalage de ces scénarios de référence" sur lesquels on évalue les impacts en temps normal. Autre sujet d’inquiétude, celui des moyens des MRAe "dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, sachant que la crise ne va pas améliorer la situation".

 

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