Finances publiques - Au programme, fermeté sur la réforme territoriale, imprécision sur les dotations
L'Assemblée nationale a approuvé le 29 avril le programme de stabilité pour 2014-2017, qui prévoit des économies de 50 milliards d'euros sur les dépenses publiques, dont 11 milliards sur les dotations de l'Etat aux collectivités territoriales. Le vote n'était que consultatif. Mais le Premier ministre a fait de l'approbation du programme une condition de la "légitimité" du gouvernement, de "sa capacité à gouverner" et de la "crédibilité de la France". Confirmant des annonces faites la veille (voir notre article du 28 avril 2014), Manuel Valls a donné un certain nombre de gages aux députés socialistes qui lui demandaient de préserver le pouvoir d'achat des Français les plus modestes.
Ainsi, la revalorisation des pensions de retraite ne sera pas reportée pour les 6,5 millions de retraités qui ne perçoivent pas plus de 1.200 euros de pension par mois. En outre, les minima sociaux "seront indexés régulièrement par rapport aux prix". La revalorisation exceptionnelle du RSA, de 10% en cinq ans, interviendra bien le 1er septembre 2014. Enfin, 1,6 million de fonctionnaires touchant le Smic ou à peine plus verront leur traitement progresser en un an de 440 euros nets "dès l'an prochain". S'agissant encore des fonctionnaires, on retiendra que le gel du point d'indice pourra être stoppé si la croissance économique revient. Un point sera fait chaque année sur la question.
Ces concessions ont sans doute pesé dans les décisions des députés, dont une majorité a donc approuvé le programme du gouvernement. 265 ont voté pour, 232 ont voté contre et 67 se sont abstenus. Parmi les députés socialistes, 242 se sont prononcés pour le programme de stabilité, tandis que 3 ont voté contre et que 41 se sont abstenus (voir le détail des votes).
Réforme territoriale : le gouvernement "peut aller plus vite"
Au cours de son discours, le Premier ministre s'est appliqué à rappeler les objectifs du gouvernement et à fixer un cap volontariste. "Il nous faut aller plus loin (...) il faut donc accélérer le rythme des réformes", a souligné le Premier ministre. "Préparer l'avenir, c'est d'abord, la grande réforme territoriale", a-t-il poursuivi.
Dans ce domaine, le gouvernement est "prêt à aller plus vite" s'il le faut, a-t-il révélé. "Nous voulons avancer vite en ce qui concerne les régions et les départements", a-t-il dit un peu plus tard, rappelant les grandes orientations qu'il avait fixées lors de son discours de politique générale, en particulier le renforcement de la taille et des compétences des régions et des intercommunalités. Manuel Valls n'a en revanche pas textuellement confirmé la suppression des départements : il a dit vouloir ouvrir un "débat" sur ce sujet. Simultanément à la réforme territoriale, le Premier ministre a confirmé son intention de mener une réforme de l'Etat déconcentré dans le but de "revoir et renforcer son organisation, tout particulièrement au niveau départemental."
"Oui, si nous pouvons aller plus vite, plus loin, plus fort dans les réformes qui concernent les collectivités territoriales comme l'organisation de l'Etat, nous le ferons", a-t-il d'ailleurs confirmé le lendemain, ce 30 avril, sur France Inter. Une accélération qu'il juge notamment pertinente s'agissant du redécoupage des régions : "Il serait important que lors des prochaines élections régionales, les Français sachant déjà exactement dans quel cadre institutionnel ils votent", a-t-il déclaré. Interrogé sur l'éventualité d'un report des élections régionales et départementales de 2015, que certains commencent à souhaiter, à l'instar de Didier Guillaume, président du PS au Sénat, qui préconise un report d'un an pour "laisser le temps d'aborder cette nouvelle phase de la décentralisation", Manuel Valls a déclaré sur les ondes : "Nous verrons bien. En tout cas si certains le demandent, nous pourrons examiner cette proposition." Et le Premier ministre d'affirmer : "Cette réforme des collectivités territoriales tant annoncée et que personne n'a eu le courage de faire, ce gouvernement, cette majorité, j'en suis convaincu, la feront."
Le projet de loi Vieillissement présenté avant l'été
Alors que certains dénoncent la "politique d'austérité" du gouvernement, Manuel Valls a voulu montrer qu'il "prépare l'avenir" en détaillant sa feuille de route pour les prochains mois, évoquant notamment la construction de logements, ou bien encore la prise en compte du vieillissement de la population. Le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement "sera présenté au Conseil des ministres avant cet été", a-t-il précisé (la veille dans son courrier aux parlementaires PS, il évoquait juste l'arrivée "prochaine" d'un texte, sachant que l'on se demandait depuis le remaniement si celui-ci n'allait pas être une fois encore reporté voire abandonné). La transition énergétique a également été listée parmi les priorités affichées : le projet de loi sera bien "transmis avant l'été au Conseil économique, social et environnemental". Enfin, un projet de loi permettra de faire des économies dans les hôpitaux "sans réduire la prise en charge des soins, ni leur qualité", a affirmé le chef du gouvernement.
Sans mentionner la baisse de 11 milliards d'euros des dotations de l'Etat aux collectivités sur la période 2015-2017, il a appelé à "préserver la capacité d'investissement des collectivités" et à faire attention à la "situation financière des villes dont les ressources sont parmi les plus faibles, dans les territoires urbains, dans nos banlieues, comme dans les territoires ruraux".
Un montant cumulé de 11 milliards d'économies, ou plus ?
Au final, la discussion sur le programme de stabilité, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, n'a pas permis d'en savoir plus sur les modalités d'application de la baisse de 11 milliards d'euros des dotations de l'Etat aux collectivités entre 2015 et 2017. Un montant qui reste même encore assez flou…
Le dossier de présentation du programme de stabilité diffusé le 23 avril par Bercy évoque une baisse de 11 milliards d'euros "en niveau", puis, un peu plus loin "une baisse cumulée de 11 milliards d'euros". Cela signifie-t-il que le montant cumulé des efforts faits par les collectivités atteindra en trois ans 11 milliards d'euros, ce qui correspondrait au scénario le plus optimiste ? Ou que ce montant s'élèvera à 17 milliards d'euros, comme le calcule l'Association des régions de France (ARF) en se fondant cette fois sur un scénario pessimiste ? "On ne sait pas ce qu'il en est", admet un expert des finances locales au sein d'une association d'élus locaux. "Soit l'embargo du gouvernement à ce sujet est très efficace, ce qui est rare ; soit cette question n'a pas fait l'objet d'un arbitrage, et c'est ce que je pense", ajoute-t-il. Aussi faudra-t-il encore probablement attendre quelques semaines pour y voir plus clair. En revanche, on sait que la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui se concrétisera dans le projet de loi de finances pour 2015 s'accompagnera d'une réforme plus globale de "l'ensemble des concours financiers de l'Etat" aux collectivités. C'est le vœu formulé par le Premier ministre, a fait savoir au Sénat ce 29 avril Marylise Lebranchu. Une concertation associant le gouvernement, les parlementaires et les élus locaux sera lancée dans le but de préparer le sujet.
Quelle répartition de la baisse des dotations ?
Pour les associations d'élus locaux, la réduction des dotations n'est pas légitime dans la mesure où celles-ci correspondent souvent à des impôts locaux supprimés ou des transferts de chargés liés à la décentralisation. Elles sont en tout cas opposées à un coup de rabot uniforme. L'Association des petites villes de France (APVF) vient ainsi d'appeler à une répartition cohérente avec les compétences exercées par les collectivités (en tenant compte du fait que les communes vont continuer à détenir la clause générale de compétence). Elle demande par ailleurs une "modulation" de l'effort "en fonction des difficultés rencontrées par les communes", notamment celles éligibles aux dotations de péréquation (DSU, DSR).
De son côté, l'Association des régions de France (ARF) a réclamé un régime de faveur pour les régions du fait de leur rôle dans le développement économique et de leur faible autonomie fiscale. Une autonomie fiscale que l'association souhaite voir renforcer, par exemple par l'affectation en trois ans de recettes supplémentaires de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (en passant, pour cette taxe, d'une part régionale de 24% à 70%). Ces propositions laissent penser que les discussions entre les élus locaux sur la répartition des économies entre les différentes catégories de collectivités seront très tendues... peut-être plus encore que celles qui avaient vu le jour il y a tout juste un an : "Baisse des dotations, comment répartir la pénurie ?", titrait Localtis en avril 2013.