Fonction publique territoriale - Apprentis dans les collectivités : l'interdiction des travaux les plus dangereux aux mineurs va être levée
Sur les 11.000 apprentis accueillis par les collectivités territoriales et leurs groupements, 1.700 ont entre 15 et 18 ans. Offrir à un jeune qui n'a pas atteint la majorité la possibilité de se former en pratique au sein des services d'une collectivité, des élus locaux en ont envie. Pour autant, ce choix n'est pas facile.
Les employeurs publics locaux se heurteraient en particulier à l'interdiction par le code du travail de l'utilisation de certains outils professionnels. Comme les machines destinées à la découpe du bois, les taille-haies, les tondeuses autoportées, ou les marteaux-piqueurs. La réglementation limite aussi l'usage des produits chimiques et de certains produits dangereux comme le chlore. Le travail en hauteur et le port de charges lourdes sont aussi concernés. Autant dire que ces restrictions impactent l'activité des services techniques des collectivités territoriales.
Dans le secteur privé, les employeurs peuvent bénéficier d'une dérogation à condition d'avoir prévenu l'inspecteur du travail et d'avoir satisfait à plusieurs conditions permettant de garantir la sécurité des jeunes. Mais rien de tel n'existe dans la fonction publique territoriale. Ce qui poserait un vrai problème.
Responsabilité pour faute grave
Dans ces conditions, il arrive que des employeurs publics locaux enfreignent les interdits pour permettre à l'apprenti de se familiariser avec des machines qui sont indispensables à l'exercice de son futur métier, comme le relevait à la fin de l'année dernière la sénatrice Catherine Di Folco, rapporteure pour avis des dispositions du budget concernant la fonction publique (voir son avis). Mais en faisant ainsi, les employeurs engagent leur "responsabilité pour faute grave" en cas d'accident, notait-elle. Avant la sénatrice, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) avait observé, dans un rapport adopté en décembre 2013, que, du fait des contraintes s'imposant à elles, "certaines collectivités, ont désormais comme pratique de n'employer que des apprentis majeurs". Le CSFPT appelait à apporter une solution à ce problème.
Il semble avoir été entendu, puisque l'administration de l'Etat a élaboré un projet de décret dans ce but. Le texte, qui est à l'ordre du jour de la séance du 12 mai du Conseil national d'évaluation des normes, crée une procédure de dérogation permettant aux employeurs publics locaux de confier à des apprentis de moins de 18 ans les travaux dits "réglementés".
Garantir la sécurité des jeunes
Quand le décret aura été publié, l'autorité territoriale pourra prendre un arrêté valable trois ans et précisant notamment la nature des travaux réglementés dont l'exécution est confiée aux apprentis mineurs accueillis par la collectivité. Elle élaborera l'arrêté "en lien avec l'assistant ou le conseiller de prévention compétent" (celui de la collectivité si elle en emploie un, sinon celui du centre de gestion dont relève la collectivité). Une fois finalisé, l'arrêté sera transmis pour information aux membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L'agent chargé d'assurer les fonctions d'inspection en aura aussi connaissance. La collectivité aura dû préalablement respecter certaines conditions : disposer d'un document unique d'évaluation des risques professionnels à jour; avoir mis en œuvre des actions de prévention ; avoir informé le jeune sur les risques pour sa santé et sa sécurité et lui avoir dispensé une formation à la sécurité ; enfin, obtenir un avis médical.
De telles garanties sont-elles suffisantes ? Lors de la séance plénière du conseil supérieur du 16 mars dernier, consacrée à l'examen de ce projet de décret, les membres de l'instance ont été divisés sur la question (sur cette réunion du CSFPT, voir notre article du 18 mars 2016). La FAFPT a estimé que, s'agissant de l'apprentissage, le secteur public ne devait pas être en reste par rapport au secteur privé. Jugeant satisfaisant le cadre posé par le projet de décret, elle a voté pour. La fédération Interco-CFDT a fait de même, après avoir pourtant réclamé plus de garanties en matière de prévention. Olivier Frézel, secrétaire fédéral du syndicat relève un bon point : "En étant obligé de prendre un arrêté, l'exécutif de la collectivité est impliqué dans la décision. Celle-ci n'est pas prise isolément par un chef de service". La CFDT se félicite aussi que la diffusion d'une circulaire soit prévue, comme elle le demandait.
De son côté, la CGT a manifesté sa vive opposition à un texte qui encourage "l'exploitation des mineurs apprentis" et, qui, en aucun cas, selon elle, ne favorisera l'emploi. Comme la CGT, FO a voté contre le projet de décret. En cause : "l'insuffisance" des garanties en matière de sécurité. Didier Pirot, secrétaire fédéral de la branche territoriale du syndicat estime, par ailleurs, que le décret sera un coup d'épée dans l'eau. Selon lui, la responsabilité de l'accueil des apprentis mineurs dans la collectivité devrait être partagée avec l'inspection du travail. Sans ce changement, les élus locaux continueront à privilégier le recours aux apprentis majeurs.
"Savoir-être"
Mais ce débat a-t-il lieu d'être ? L'ampleur des difficultés soulevées par les restrictions prévues dans le code du travail n'est-elle pas exagérée ? On peut s'interroger. Car certains, comme Aurélien Pachès, responsable de la formation, de l'hygiène et de la sécurité à la ville de Bourg-en-Bresse, affirment sans hésiter que le code du travail ne freine pas l'accueil de mineurs dans le cadre d'un contrat d'apprentissage. Neuf apprentis sont actuellement en exercice dans les services du chef-lieu de l'Ain. Sur les quatre mineurs, deux travaillent à la direction des espaces verts, un autre à la restauration et un dernier dans une crèche. Sur l'ensemble des limitations inscrites dans le code du travail, assez peu visent en réalité les travaux effectués dans les collectivités territoriales, analyse le fonctionnaire.
En outre, lorsque la ville a un "doute" sur la possibilité de permettre à un jeune de moins de 18 ans l'utilisation d'une machine potentiellement dangereuse, elle consulte la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Ayant suivi l'an dernier cette procédure, elle a reçu l'accord de l'Etat, à condition que les exigences de sécurité prévues soient respectées.
Il existe bien, toutefois, des freins à l'accueil des plus jeunes apprentis, estime Florence Jacquet Francillon, assistante formation, également en poste à la mairie de Bourg-en-Bresse. Elle évoque les difficultés qu'ont certains de ces jeunes avec l'assiduité, surtout quand, par exemple en été, les journées de travail débutent très tôt. Les employeurs auraient donc des réticences lorsqu'il s'agit d'ouvrir les portes de la collectivité aux apprentis. Ces derniers "n'acquièrent pas que des aptitudes techniques lors de leur formation", complète Aurélien Pachès. "La dimension du savoir-être est aussi importante, souligne-t-il. Les apprentis que nous accueillons se familiarisent avec les exigences du monde professionnel et apprennent à s'intégrer dans une équipe."