Cour des comptes - APL : du mieux, mais le compte n'y est toujours pas
La Cour des comptes s'est de nouveau penchée sur les aides personnelles au logement. Elle considère que le financement des APL a été simplifié et que des économies ont été réalisées, mais au prix d'une moindre lisibilité du dispositif et de certaines incertitudes. Si la contemporanéisation des APL constituera "une réelle avancée", elle pointe toujours des inégalités entre bénéficiaires et une gestion "complexe et coûteuse" (barème des aides, indus, fraude, interfaçage des bases de données...) et "réitère et ajuste" de ce fait cinq propositions de 2015. Toujours dans le domaine du logement, la Cour s'est par ailleurs intéressée à la dématérialisation de la demande de logement social.
Dans son rapport public 2020, la Cour des comptes se penche à nouveau sur l'un de ses sujets favoris : les aides personnelles au logement (APL). Celles-ci ont déjà donné lieu à des rapports en 2007, 2010 et 2015 (voir nos articles ci-dessous). La Cour revient donc à la charge sur un sujet, il est vrai d'importance : les trois aides regroupées sous le terme d'aides personnelles au logement – APL, allocation de logement à caractère social (ALS) et allocation de logement à caractère familial (ALF) – bénéficient en effet à 6,6 millions de ménages (plus de un sur cinq) et représentent plus de 40% des dépenses publiques de logement. Elles couvrent en moyenne 49% du loyer principal hors charges dans le cas de l'APL, et environ 36% dans le cas de l'ALF et de l'ALS, réduisant ainsi fortement le taux d'effort des allocataires. En termes budgétaires, après un pic autour de 18 milliards d'euros par an entre 2015 et 2017, elles sont redescendues à 17 milliards en 2018 et 2019 et sont budgétées à hauteur de 15,3 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2020.
Des économies réalisées, un financement clarifié, mais une complexité accrue
Pour la Cour des comptes, qui examinait notamment les suites données à son précédent rapport de 2015 (voir notre article ci-dessous du 18 septembre 2015), les résultats sont mitigés. Côté positif : le financement des APL a été simplifié et des économies ont été réalisées, mais au prix d'une moindre lisibilité du dispositif. La simplification, opérée en 2015, tient à la suppression du cofinancement État-sécurité sociale, au profit du seul financement de l'État (même si les APL restent attribuées et gérées par les CAF). Désormais, l'État assure 83% du financement du Fnal (Fonds national des aides au logement), le solde provenant d'une contribution des employeurs et de diverses recettes fiscales affectées. Le rapport estime également que "le pilotage de la dépense a été amélioré", avec en particulier une harmonisation des hypothèses macro-économiques.
Cette meilleure maîtrise des dépenses se fait toutefois au prix d'une complexité accrue et d'une moindre lisibilité. La remarque vise les réformes intervenues depuis 2015 : gels ou sous-indexations successifs des paramètres de calcul, dégressivité de l'aide pour les loyers les plus élevés depuis 2016, prise en compte du patrimoine des bénéficiaires depuis 2016, suppression de l'aide pour les accédants à la propriété en 2017 et, surtout, baisse uniforme de 5 euros par mois du montant des APL en 2017, doublée de l'entrée en vigueur, en 2018, du mécanisme complexe de la "réduction de loyer de solidarité" (RLS), uniquement dans le parc locatif social.
Un bon point – d'avance – pour la contemporanéisation des APL
Comme l'explique le rapport, "si l'effet de ces différentes mesures a été positif sur les comptes publics, certaines d'entre elles n'ont pas été sans soulever des interrogations, notamment en termes d'équité. Les mesures de gel ou de sous-indexation, ainsi que la réduction de 5 euros, se sont appliquées en effet uniformément, quelle que soit la situation sociale et financière des bénéficiaires [...]". Pour la Cour, les fortes tensions – et les négociations – avec le secteur du logement social sur la baisse des APL et l'instauration de la RLS se sont traduites par une forte incertitude, puisque le cadrage portant sur les années 2020-2022 n'a finalement été stabilisé qu'en avril 2019 (après l'accord du 25 avril entre le Premier ministre et l'USH).
En revanche – et malgré une mise en place laborieuse et plusieurs reports successifs en raison des difficultés informatiques de la Cnaf –, le rapport estime que "la mise en œuvre du projet de prise en compte contemporaine des ressources devrait constituer une réelle avancée".
"Des inégalités persistantes entre bénéficiaires"
Au-delà de ce premier constat d'ensemble plutôt positif, la Cour des comptes ne manque pas de pointer "des inégalités persistantes entre bénéficiaires". Ces inégalités concernent notamment les effets positifs disparates des APL, selon que les bénéficiaires disposent de revenus d'activité ou de revenus de transfert. La situation, après versement des APL, des personnes bénéficiant de revenus de transfert (AAH, allocations chômage...) apparaît ainsi plus favorable que celle des personnes disposant de faibles revenus d'activité. Une autre inégalité, déjà bien documentée, concerne les APL versées aux étudiants. La Cour avait proposé, en 2015, une réforme du régime d'aide au logement des étudiants en obligeant les ménages à choisir entre le bénéfice de l'APL et le rattachement de l'étudiant au foyer fiscal. Cette mesure n'ayant pas été mise en œuvre, la Cour renouvelle sa recommandation.
De façon plus large, le rapport pointe une gestion des APL "complexe et coûteuse, à améliorer grâce à l'interfaçage des bases de données". La Cour des comptes relève ainsi que le barème des aides n'a été ni simplifié, ni refondu et qu'aucune évolution des modalités qu'elle avait recommandées n'est intervenue, à l'exception de la contemporanéisation des APL, qui doit entrer en vigueur le 1er avril. De même, le taux des indus sur les APL a tendance à progresser (5,9% du montant des prestations versées en 2018, contre 4,4% en 2016). La Cour juge également "modestes" les progrès dans la lutte contre la fraude (à ne pas confondre avec les indus), avec un taux de fraude de 2,7% du montant des prestations versées en 2017, contre 2,1% en 2015. En revanche, le coût unitaire de gestion des APL a baissé de près de 16% depuis 2012, mais il reste toutefois supérieur au coût de gestion des aides toutes prestations confondues (81,8 euros contre 75,2 euros).
Recommandations : retour à 2015
Enfin, aux yeux de la Cour des comptes, l'interfaçage des bases de données constitue un moyen de lutte efficace contre les logements indignes. Mais, sur ce point également, le rapport considère que "l'objectif reste à atteindre". En effet, la préconisation de la Cour a certes commencé à être étudiée, mais "n'a toujours pas abouti concrètement", même si le projet de la DGFiP (Direction générale des finances publiques) de création d'un répertoire national des locaux constitue "une avancée". Côté connaissance des revenus des demandeurs et des bénéficiaires, les avancées concernent la généralisation de la déclaration sociale nominative (DSN), la mise en place du prélèvement à la source pour les revenus autres et la transmission systématique des données de la DGFiP relatives à la paye des fonctionnaires.
Au final, le rapport estime que "les constats effectués par la Cour en 2015 restent pour l'essentiel d'actualité". Dans ces conditions, la Cour "réitère et ajuste" cinq propositions. Il s'agit en l'occurrence d'expertiser l'effet inflationniste éventuel des APL sur les logements de petite surface dans les zones les plus tendues, de renforcer le pilotage budgétaire des APL, de mettre effectivement en œuvre l'obligation de choix entre l'APL étudiante et le rattachement au foyer fiscal, de simplifier les modalités de prise en compte des changements de situation et, enfin, de "mettre en œuvre dans des délais raisonnables l'interfaçage des bases de données relatives aux logements, aux revenus et aux patrimoines afin de lutter efficacement contre la fraude, l'indécence et le surpeuplement des logements".
Dématérialisation de la demande de logement social
Évoquée dès les années 1990, la dématérialisation de la demande de logement social est en train de devenir réalité, avec le système national d'enregistrement (SNE) qui compte aujourd'hui plus de deux millions d'accès. L'usage de ce portail, créé par la loi Alur du 24 mars 2014, reste toutefois "encore inégal". En 2018, 36% des demandes nouvelles et 52% des renouvellements sont passés par ce biais, mais le public concerné est plutôt jeune (70% de moins de 40 ans) et avec de très forts écarts géographiques difficiles à expliquer (2% dans l'Indre et 55% en Gironde pour les premières demandes). Pour la Cour, qui consacre un chapitre entier au sujet (intitulé "La numérisation de la demande de logement social : une procédure simplifiée pour les demandeurs, une gestion à fiabiliser") ce dispositif "a amélioré l'efficience du service rendu", mais "la gestion numérique des demandes présente encore des risques et doit être mieux maîtrisée". La faute à "des données peu fiables [qui] biaisent l'analyse de la demande globale de logement social". Le rapport relève aussi des faiblesses du côté de la protection des données personnelles, au regard du RGPD comme de la loi Informatique et liberté. D'autres points restent également perfectibles, comme le manque d'ergonomie du portail, l'absence de version pour smartphone ou l'impossibilité de suivre en ligne l'avancement de sa demande (ce dernier point étant cependant corrigé depuis le 1er janvier 2020). En outre, il apparaît que le taux de satisfaction des demandes en ligne est plus faible que pour les demandes papier. Avec un autre élément paradoxal, et lui aussi non expliqué : le délai moyen d'attribution d'un logement est plus long pour une demande en ligne que pour une demande déposée a? un guichet (149 jours contre 138 en 2018). Pour la Cour des comptes, la réponse passe par une numérisation de l'ensemble du processus d'attribution, "pour tendre vers plus d'égalité, sans négliger l'accompagnement". Il faudra pour cela vaincre des "résistances" chez les bailleurs sociaux, qui "privilégient le contact personnel", et évoluer vers une gestion partagée des demandes.