André Laignel - "La réponse à la crise démocratique, c’est la proximité"
Le 1er vice-président délégué de l'Association des maires de France (AMF) dénonce l'ampleur des efforts demandés aux collectivités locales dans le projet de budget pour 2025. Un fort recul de l'investissement local se profile et, avec lui, une possible entrée en récession de la France, s'alarme le maire d'Issoudun dans un entretien accordé à Localtis. "Les décisions doivent être prises au plus près de la population", plaide par ailleurs cet ardent partisan de la décentralisation.
Localtis : Que pensez-vous des restrictions prévues par le projet de loi de finances pour 2025 ?
André Laignel : Le projet de budget 2025 est une véritable razzia sur les finances locales. Il impose à ce stade aux collectivités locales un peu plus de 11 milliards d’euros de charges nouvelles et de réductions budgétaires, soit l’équivalent de 50% de leur autofinancement net. C’est le décompte pour l’instant et je crains malheureusement qu’il s’épaississe encore. C’est sans précédent par l’ampleur. Ces mesures mettent en danger de très nombreuses collectivités et, à travers elles, les services publics locaux. Elles pourront même contribuer à faire entrer la France en récession.
Contestez-vous le choix qui a été fait par le gouvernement de Michel Barnier de faire participer les collectivités à la maîtrise des comptes publics ?
Oui, bien sûr. Je conteste d’abord et avant tout l’ampleur des mesures prises, qui auront des résultats absolument inverses de ceux que prétend attendre le Premier ministre. Nous pouvons être dans la situation baroque où il va annoncer une amélioration des comptes de la Nation, très hypothétique par ailleurs, alors que dans le même temps, l’économie nationale va se trouver profondément impactée et en grande difficulté. Il est clair que les 11 milliards d'euros de ponction vont mettre en panne majoritairement l’investissement. L’autofinancement net sera en effet la variable d'ajustement des collectivités. Et cela pourra être conjugué avec un endettement supplémentaire. Ce qui, d'ailleurs, sera en contradiction avec l'objectif de baisser la dette de la France. D'ores et déjà, plusieurs instituts économiques, dont l’OFCE, ont calculé, en partant d’une hypothèse d’une réduction des moyens des collectivités de 5 milliards d’euros – c'est-à-dire le chiffre avancé par le gouvernement, qui est un mensonge d'État - que la prévision de l’évolution du PIB (entre 1,2 et 1,4%) sera divisée par deux. Mais comme l’impact des mesures budgétaires sur les collectivités se chiffre en réalité à 11 milliards d’euros, le plus probable serait l’entrée en récession de notre pays. Les entreprises du bâtiment et des travaux publics en particulier vont connaître un risque majeur.
2025 sera la dernière année pleine du mandat municipal. Pensez-vous vraiment que les maires et présidents d’intercommunalité choisiront l’investissement comme variable d’ajustement ?
Ils n’auront pas le choix, sauf à fermer des services publics. Mais je ne vois pas les maires décider de supprimer le service voirie de leur commune, ou les postes dans les écoles maternelles. Surtout en une année préélectorale. La Cour des comptes est la seule à croire qu’on peut supprimer des emplois de manière totalement disproportionnée. Ce n’est pas possible. D’abord, parce que la plupart de nos emplois sont occupés par des fonctionnaires qui, juridiquement, ne peuvent être licenciés. Ensuite, procéder de la sorte serait très coûteux pour les collectivités. En revanche, une baisse de l’autofinancement ne se remarque pas immédiatement. Donc, la première variable d’ajustement sera probablement l’autofinancement.
Ce choc financier ne va pas améliorer les relations entre les élus locaux et l’État…
C’est évident. En ce domaine, on vient de vivre une période de dénonciation scandaleuse à l’égard des collectivités territoriales, avec un ancien ministre de l’Économie qui les a purement accusées d’être les fautives de la crise financière de la France. Ce qui était à la fois un mensonge et une grossière erreur. Beaucoup d’élus locaux se sont sentis humiliés qu’on les pointe ainsi du doigt en en faisant les principaux responsables d’une crise dans laquelle ils ne pèsent absolument pas. Et même si le ton a changé, nous sommes maintenant, en nous impactant de 11 milliards d’euros, dans le temps de la punition à l’égard des collectivités. Mais ce sera d’abord une punition à l’égard des Françaises et des Français qui verront leurs collectivités dans l’incapacité de répondre aux attentes légitimes qui sont les leurs.
Vous défendez avec l'AMF l'engagement d'un mouvement de décentralisation plus profond. Estimez-vous qu'une telle réforme soit possible en l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale ?
Nous pouvons nous poser la question de savoir s’il y a quelque chose de possible en quoi que ce soit. Ce n'est pas pour autant qu’il faut que nous renoncions à mettre en avant nos légitimes demandes. Nous ne redresserons pas la France sans un profond mouvement de décentralisation assorti des moyens nécessaires. Aujourd’hui, la politique qui est menée est la même que celle qui nous a conduits dans le mur. Il ne faut pas s’étonner, si la politique est la même, que les effets soient les mêmes, voire amplifiés.
L’AMF milite pour l’instauration d’une contribution territoriale universelle. Quel est l’objectif ?
La finalité est de créer un impôt qui redonne de la citoyenneté, autrement dit de reconstituer un lien citoyen entre l’habitant et sa collectivité de base, et non de peser en matière d’imposition. On peut très bien imaginer, en tout cas la première année, que cet impôt soit déductible de l’impôt sur le revenu, et soit compensé éventuellement, pour les plus modestes. Ce faisant, nous redonnons des libertés fiscales aux collectivités.
D’une manière générale, comment revigorer le lien entre le citoyen et la collectivité ?
On est en train de tuer ce lien, en faisant en sorte que les collectivités n’aient plus les moyens de répondre aux aspirations de leurs concitoyens. Nous sommes dans une farouche partie de recentralisation, avec la nationalisation des impôts locaux. Cette recentralisation est aussi administrative, comme en matière d’urbanisme et de logement, un secteur qui connaît une crise profonde, du fait de cette recentralisation. La première réponse, c’est la proximité et celle-ci doit être accompagnée de moyens. Les décisions doivent être prises au plus près de la population. C’est ce qui rétablira le lien de confiance et le densifiera en ce qui concerne les maires. 70% de nos concitoyens font confiance à leur maire. Mais la cote de confiance des élus nationaux ne dépasse pas 25%. Il faut donc une relance de la décentralisation et si la France ne le fait pas, elle ira à l’échec.
La création du ministère chargé du Partenariat avec les territoires et de la décentralisation, dont Catherine Vautrin a la charge, n'est-il pas un signal positif ?
Alors que la loi de finances est une loi d'airain qui va nous étouffer et qu'on continue à recentraliser quasiment chaque jour, ce titre ministériel est un oxymore. Je dirais aussi que c’est à la limite de l’humour que de donner ce titre à ce ministère. Que les choses soient claires : ce n'est pas du tout la personne qui est en cause. J’ai d'ailleurs beaucoup de sympathie pour la ministre, que je connais bien, parce qu’elle a fait partie des instances de l’AMF.
Qu'avez-vous pensé de l'annonce par Michel Barnier de sa volonté de mettre fin à l'obligation du transfert de la gestion de l'eau pour les communes ayant conservé cette compétence ?
La majorité des maires considèrent que c’est une bonne nouvelle et en tant que président d’intercommunalité, je le pense aussi. Avec cette clause de liberté, ceux qui souhaitent assurer la gestion de l’eau au niveau intercommunal, parce que c’est ce qui est le plus efficace, ont la liberté de le faire. Et lorsque les maires considèrent que le transfert offrirait une solution moins efficace et plus coûteuse, leurs communes ont la possibilité de garder cette compétence qu’elles assument bien.
Catherine Vautrin a récemment souhaité que la réflexion sur la refonte de la dotation globale de fonctionnement (DGF) soit poursuivie. Le Comité des finances locales, que vous présidez, avait suspendu en avril ses travaux sur le sujet. Etes-vous prêt à un redémarrage de ces derniers ?
Certainement pas avec la loi de finances qu’on nous propose aujourd’hui. Avec la baisse de 487 millions d'euros des variables d'ajustement* inscrite dans le texte, au moins 55% des communes verront leur DGF baisser en euros courants. Et en tenant compte d'une inflation qui s'élèvera au minimum à 2,5% - parce que les prix du "panier du maire" augmentent plus rapidement que ceux du panier de la ménagère - cette proportion sera plus importante. 2025 sera donc une année très difficile pour toutes les communes.
Vous faites donc toujours de la revalorisation de la DGF une condition de la réforme ?
Si la réforme consiste à "piquer" à ceux qui ont un tout petit peu - et qui vont passer en dessous de la ligne de flottaison - pour ne pas suffisamment compenser les autres, il n’y aura que des "perdants-perdants". Faire une réforme où tout le monde est perdant, c’est bien une idée digne d’un gouvernement tel que celui que nous connaissons.
Avez-vous été saisi sur cette question par le gouvernement ?
Non. La dernière fois que j’ai vu des membres du gouvernement, c’est lorsque je les ai invités au CFL pour présenter la loi de finances, comme cela se fait tous les ans. Mais, je n’ai jamais été contacté par aucun membre du gouvernement depuis que ce dernier est en place.
Dans quelle disposition seront les maires, lors de ce congrès ?
Les maires ont un sentiment d’humiliation, d’injustice et donc, in fine, de colère. C’est ce que je ressens partout où je passe et David Lisnard [le président de l’AMF] me dit ressentir la même chose à chacune de ses rencontres avec des maires. Ce congrès sera donc celui de la colère.
*Au sein d'une enveloppe des concours financiers de l'État dont l'évolution est maîtrisée, les variables d'ajustement sont des dotations aux collectivités locales qui sont minorées pour permettre à d'autres dotations d'augmenter.