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AMF : la réforme fiscale toujours en question

A un mois du Congrès des maires, les représentants de l'Association des maires de France - François Baroin, André Laignel, Philippe Laurent - ont rappelé ce 15 octobre en quoi la suppression de la taxe d'habitation continue de poser question. Ils sont aussi revenus sur le projet de loi Engagement et proximité.

Dans un peu plus d'un mois, du 18 au 21 novembre, place au 102e Congrès des maires et présidents d'intercommunalités. On peut sans grande peine deviner les principaux dossiers d'actualité qui animeront le dernier grand rassemblement d'élus locaux avant les municipales : la réforme de la fiscalité locale, le projet de loi Lecornu et le prochain projet de loi Gourault, le projet de loi Économie circulaire… Ce sont en tout cas les sujets que le trio à la tête de l'Association des maires de France (AMF) a mis en avant ce mardi 15 octobre lors d'une conférence de presse. Logique, au moment où le projet de loi de finances (PLF) est entre les mains des députés et où le projet de loi Engagement et proximité est en pleine discussion au Sénat.

Sur le PLF, l'AMF n'a pas changé de discours : la suppression de la taxe d'habitation "demeure une très mauvaise réforme", a redit son président, François Baroin, jugeant "facile de faire le bonheur des uns avec l'argent des autres". Certes, la taxe d'habitation était pleine "d'imperfections", notamment par son caractère "injuste". "Mais le foncier bâti connaît les mêmes faiblesses", a-t-il rappelé.

La réforme "va creuser les inégalités", avance pour sa part André Laignel, le premier vice-président délégué de l'AMF, dans la mesure où "les 20% de ménages les plus aisés vont bénéficier de 10 milliards de charges en moins" tandis qu'à l'autre bout de l'échelle, la réforme ne changera rien (pour les 20% de ménages qui étaient déjà totalement exonérés) ou pas grand-chose (23% partiellement exonérés). En outre, "tout faire reposer sur le foncier bâti crée une fragilité de cet impôt pour l'avenir", estime-t-il. Sans oublier que le propriétaire-contribuable "paiera le foncier bâti à l'État, qui le redistribuera à d'autres", d'où une nouvelle rupture du "lien entre ce qu'il paye et ce que dépense sa collectivité". Philippe Laurent, le secrétaire général de l'AMF, évoque même à ce titre "une stratégie à très long terme de l'appareil d'Etat" consistant à "supprimer la fiscalité locale pour la remplacer par des dotations ou par un partage d'impôts nationaux".

Dans l'immédiat, André Laignel rappelle par ailleurs que l'année de référence pour le calcul de la compensation sera 2017 et non 2019, soit une perte de l'ordre de 160 millions d'euros. Et revient sur le point qui avait été découvert par le comité des finances locales le 26 septembre : le gel en 2020 des valeurs locatives, inscrit à l'article 5 du PLF. Suite à la "levée de boucliers" de toutes les associations d'élus du bloc local, la commission des finances de l'Assemblée a proposé une revalorisation forfaitaire de 0,9%. Ce qui reste toutefois inférieur à l'inflation.

"Les conséquences n'ont pas été appréhendées"

Enfin, le maire d'Issoudun évoque ce qu'il appelle "la réforme masquée" : le fait que la suppression de la taxe d'habitation aura un impact sur "pas moins de 23 dotations, 11 pour les départements, 12 pour le bloc local", se référant au cabinet conseil Michel Klopfer qui parle de possible "tsunami". Explication : la réforme affectera les indicateurs de richesse (potentiel financier et potentiel fiscal) des collectivités et donc la péréquation verticale et horizontale. "Or nous n'avons aucun document, aucune simulation, cela revient à faire voter les parlementaires les yeux bandés", s'offusque André Laignel.

Là-dessus, "les conséquences n'ont pas été appréhendées", corrobore Philippe Laurent, qui constate de même plusieurs "bugs". Il relève par exemple qu'il est "difficile de savoir comment sera traitée la revalorisation des bases pour les résidences secondaires et les logements vacants" qui, rappelons-le, resteront soumises à la taxe d'habitation. Or cela peut représenter beaucoup pour les communes touristiques notamment.

L'AMF regrette aussi le report à 2026 de la révision des valeurs locatives. Et ce, alors que la réforme "est prête", souligne Philippe Laurent : "L'AMF avait préparé des propositions, qui avaient été acceptées, pour que cela se fasse sans trop de douleur. Cela aurait pu être mis en forme dès 2022."

Au-delà de la seule suppression de la taxe d'habitation, André Laignel attire également l'attention sur le volet dotations du PLF. Il tient à souligner que le gel des dotations signifie "un recul en euros constants" : "On perd 1,5% d'inflation ce qui, sur 40 milliards d'euros, représente 600 millions d'euros." Et tient à mentionner d'"autres baisses", telles que la baisse de la DCRTP (dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle) et la minoration des variables d'ajustement. D'où son pronostic : "On retrouvera probablement en 2020 la situation de 2019, où plus de 18.000 communes avaient vu leurs dotations baisser."

Engagement et proximité... et indemnités

Le regard de l'AMF est par ailleurs tourné vers le Sénat, où le projet de loi Engagement et proximité suit son cours (voir nos articles ci-dessous). François Baroin reconnaît que "globalement", ce texte prend bien en compte une série d'attentes formulées par les maires. L'examen par les sénateurs, y compris en commission, est d'ailleurs venu enrichir la liste et modifier certains points du texte initial. L'association restera toutefois jusqu'au bout plus qu'attentive à quelques "priorités" sur le volet intercommunalité : réduction du nombre de compétences obligatoires des EPCI, suppression des compétences optionnelles (on sait que du côté de Sébastien Lecornu, on juge que les choses ne sont "pas mûres du tout" pour envisager cette suppression), "rendre facultatif le transfert de toutes les autres compétences" (là, le gouvernement considère que "l'intercommunalité à la carte" qui en résulterait poserait un problème démocratique voire un problème constitutionnel). Et, encore et toujours, "en finir avec le feuilleton de la compétence eau et assainissement".

Et puis il y a aussi le volet indemnités des élus. Pour le président de l'AMF, l’instauration d’un barème unique dans les communes de moins de 3 .500 habitants "est une bonne chose" même si "on n'était pas forcément demandeurs". Mais à condition que les plus petites communes bénéficient d’une aide de l'Etat, comme cela avait été initialement annoncé. "Nous préférons la version du Sénat" et sans enveloppe financière, "le sentiment général sera que l'on prend au budget des petites communes", tranche François Baroin. Dans ces conditions, "on peut être sûrs que la plupart des maires n'iront pas devant leur conseil municipal pour demander une augmentation de leur indemnité", prévoit André Laignel.

Pour le premier vice-président délégué, le projet de loi comprend "quelques avancées" mais "on reste au milieu du chemin". "Si l'objectif est de dissuader les maires d'abandonner leur mandat et d'encourager d'autres citoyens à s'engager", cela ne suffira pas, juge-t-il, regrettant que rien ne soit dit sur d'autres sujets liés à l'exercice du mandat : la formation ("renvoyée à plus tard"), le retour à l'emploi, la VAE, la retraite.

Au-delà de ce projet de loi, l'AMF semble en attente du prochain texte, le projet de loi "3D" porté par Jacqueline Gourault. Ainsi, dans la perspective de la venue d'Emmanuel Macron au congrès des maires, François Baroin estime que les élus seront avant tout "très à l'écoute de ce qu'il dira sur la décentralisation". "C'est la grande affaire du mandat pour les maires, la grande affaire me semble-t-il du mandat pour le président de la République", a-t-il souligné. "Nous attendons d'Emmanuel Macron qu'il clarifie sa position", a poursuivi le président de l'AMF, "au fond qu'il nous dise 'l'Etat à l'avenir ne s'occupera plus que de ça et vous vous occuperez de tout le reste'".

A l'AMF, on se félicite que les maires aient été "remis au centre" suite à la crise des gilets jaunes puis au Grand débat et on reconnaît le dialogue établi avec le gouvernement. Philippe Laurent, pourtant, évoque "un sentiment de discordance" lié à "la culture de l'appareil d'Etat" et à certaines "hautes administrations" : "On dialogue mais derrière, on sent une conception faisant des maires des personnages un peu patrimoniaux, folkloriques... Il faut sans cesse rappeler que nous sommes des partenaires de l'action publique et des acteurs économiques de premier plan."