Aménagement : en commission, députés et sénateurs corrigent le ZAN chacun à leur façon
Lors de l'examen en commission de la proposition de loi d'origine sénatoriale sur le zéro artificialisation nette (ZAN) ce 14 juin, les députés ont refusé d'exempter les projets industriels du dispositif issu de la loi Climat de 2021, contrairement au souhait du ministre de l'Économie, et limité le système de "garantie rurale" autorisant chaque commune à artificialiser un hectare d'ici à 2031. Au même moment, les sénateurs de la commission des affaires économiques qui avaient à examiner le projet de loi Industrie verte porté par Bruno Le Maire décidaient d'aller plus loin que la volonté du ministre dans les projets exemptés du décompte du ZAN.
Que restera-t-il du zéro artificialisation nette (ZAN) issu de la loi Climat après les nouveaux ajustements que les parlementaires auront à examiner cette semaine ? Deux textes décisifs pour ce dispositif arrivent en séance concomitamment - le projet de loi sur l'Industrie verte, d'abord soumis en première lecture au Sénat ce 20 juin, et la proposition de loi d'origine sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre du ZAN qui sera examinée le lendemain à l'Assemblée. Après leur passage respectif en commission, les dispositions adoptées ne vont déjà pas dans le même sens concernant la prise en compte des grands projets dans le décompte de l'objectif, un élément clef pour le devenir du ZAN.
Pas d'exemption des grands projets industriels, soutiennent les députés
Côté députés, la commission du développement durables (saisie pour avis) et la commission des affaires économiques (saisie au fond) ont refusé ces 13 et 14 juin d'exempter les projets industriels du décompte du ZAN, contrairement au souhait exprimé début juin par le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, pour favoriser la réindustrialisation du pays. Dans l'enveloppe nationale faisant l'objet d'une péréquation par région, les projets d'intérêt nationaux de la proposition de loi sur le ZAN seront finalement comptés à part.
Listés à l'article 4 du texte, ils ont fait l'objet de plusieurs amendements. Il s'agit des travaux ou opérations qui sont ou peuvent être, en raison de leur nature ou de leur importance, déclarés d'utilité publique par décret en Conseil d'État ou par arrêté ministériel ; des travaux ou des opérations de construction de lignes ferroviaires à grande vitesse et de leurs branchements ; des actions ou opérations d'aménagement réalisées par un grand port maritime ou fluviomaritime de l’État et celles réalisées par le port autonome de Strasbourg ; des opérations intéressant la défense ou la sécurité nationales ; de la réalisation d’opérations de construction ou de réhabilitation d’un établissement pénitentiaire par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice ; des actions ou opérations d’aménagement de l’État ou de l’un de ses établissements publics réalisées pour leur compte, le cas échéant par un concessionnaire, dans le périmètre d’une opération d’intérêt national ; des projets industriels d’intérêt majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique ainsi que ceux qui participent directement aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable ; de la réalisation d’un réacteur électronucléaire au sens de la loi relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Les députés de la commission des affaires économiques ont renvoyé à un arrêté du ministre en charge de l’urbanisme la responsabilité de lister les projets faisant l’objet d’une comptabilisation au niveau national, après avis des conseils régionaux et de la conférence des Scot.
La consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers induite par ces projets sur la période 2021-2031 sera, elle, comptée à part au sein d’une enveloppe nationale de 15.000 hectares environ, soustraits des 125.000 hectares consommables au maximum pour cette décennie, selon les calculs des services du ministère. Les 110.000 hectares restants feront ainsi l'objet d'une péréquation entre les régions.
Les sénateurs pour une exemption élargie des grands projets
Au même moment, dans le cadre de leur examen en première lecture du projet de loi Industrie verte porté par Bruno Le Maire, les sénateurs de la commission des affaires économiques votaient, eux, dans le sens voulu par le ministre de l'Économie en exemptant du ZAN toutes les installations industrielles "concourant à la transition écologique ou à la souveraineté nationale" (article 9 bis nouveau). Le texte approuvé par les parlementaires va même encore plus loin que la position du ministre de l’économie puisqu’il prévoit également d'exclure du décompte "l’artificialisation induite par les besoins en logements directement liés à ces infrastructures, et l’artificialisation induite par le pré-aménagement par l’État de très grands sites d’accueil industriels, en vue de l’implantation de projets pouvant être qualifiés de projets d’intérêt national majeur". Un bilan de cette mesure est prévu au mi-temps de la période décennale 2021-2031. La commission a, en outre, adopté un amendement du rapporteur repoussant d’un an les modifications des SRADDET pour y intégrer les objectifs du ZAN, afin de pouvoir y intégrer concomitamment les nouveaux objectifs de planification des implantations industrielles.
"Les infrastructures industrielles ne représentent actuellement que 4% des surfaces industrialisées en France, a fait valoir la commission à l'appui des modifications apportées par l'article 9 bis. Pour augmenter la part de l’industrie dans le PIB de 2% d’ici 10 ans, on estime que le besoin total en foncier serait de 16 à 20.000 hectares. Compte tenu des possibilités de densification des zones d’activités économiques existantes et de réutilisation des friches, moins de la moitié (8.500 ha) nécessiteraient une artificialisation nouvelle, soit à peine 7% de l’enveloppe d’artificialisation disponible, au niveau national, pour la décennie 2021-2031 (conformément à la loi Climat et Résilience). Dès lors, et compte tenu des enjeux en termes d’emploi, de pouvoir d’achat et de souveraineté, soumettre les implantations industrielles aux mêmes objectifs de réduction de l’artificialisation est une absurdité."
Vivement décrié par les associations d'élus, l'article 9 du projet de loi, qui permet à l’État d’engager une modification des documents de planification et d’urbanisme pour accueillir des projets industriels d’intérêt national, a fait l'objet de plusieurs amendements de la part des sénateurs. L'un défendu par Laurent Somon (LR-Somme), rapporteur du texte, précise les conditions de définition des projets d’intérêt national majeur. Un décret en Conseil d’État fixera ainsi les conditions d’application de l’article, "notamment en définissant les secteurs concernés", précise-t-il. L'amendement ajoute également un mécanisme qui permet aux régions, après avis des collectivités territoriales d’implantation pressenties, et avis d’une conférence régionale ad hoc, de soumettre au préfet de région une liste de projets pouvant être qualifiés de projets d’intérêt national majeur, la liste finale étant arrêtée par le préfet de région. Les projets ainsi définis sont "automatiquement réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM)", ajoute un autre amendement du rapporteur. Il est aussi prévu que l’instruction du permis de construire des projets pourrait débuter avant qu’ait été achevée la procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme. En réponse à la levée de bouclier des collectivités, plusieurs amendements initiés par France urbaine et Intercommunalités de France ont été adoptés. Ils visent à renforcer l’association des collectivités aux décisions concernant l’implantation de grands projets industriels en proposant l’émission d’un avis conforme pour la mise en compatibilité de leurs documents de planification et d’urbanisme, lorsque cette dernière est rendue nécessaire par la réalisation d’un projet industriel qualifié de projet d’intérêt national majeur.
Introduite par les sénateurs dans leur proposition de loi sur le ZAN, la "garantie rurale" autorisant chaque commune à artificialiser un hectare d'ici à 2031 (article 7), qui avait fait l'objet d'un bras de fer avec le ministre de la Transition écologique, a été limitée par les députés en commission à toute "commune classée comme peu dense ou très peu dense au sens de la grille communale de densité publiée par l’Insee et qui est couverte par un plan local d’urbanisme, un document en tenant lieu ou une carte communale prescrit, arrêté ou approuvé avant le 22 août 2026", date butoir pour l’adoption d’un Scot mis en compatibilité. Cette garantie vise à éviter qu’une collectivité ne soit "privée, par l’effet de la déclinaison territoriale des objectifs mentionnés au présent article, d’une surface minimale de consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers". Elle peut être mutualisée entre différentes communes ou à l’échelle communale, a précisé un autre amendement. |