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Urbanisme - Aménagement commercial : la loi Pinel entre en vigueur

Le décret d'application de la loi Pinel en matière d'urbanisme commercial a été publié. Les commissions départementales d'aménagement commercial vont pouvoir être installées selon les nouveaux critères. Toutes les collectivités y seront désormais représentées, ainsi que l'intercommunalité. Satisfaite sur ce point, l'ADCF estime qu'il reste à "faire émerger" de vraies politiques locales du commerce. La future loi Notr pourrait elle aussi y contribuer. C'est moins sûr pour la loi Macron.

Les nouvelles mesures concernant l'aménagement commercial contenues dans la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux TPE - dite "loi Pinel" - entrent enfin en vigueur. Un décret très attendu a été publié le 14 février. C'est lui qui fixe les modalités de composition des commissions départementales d'aménagement commercial, qui simplifie les procédures d'autorisations commerciales en créant un "guichet unique" ou encore, qui précise les obligations environnementales que vont devoir respecter les grandes surfaces… "Grâce à ces mesures, les pouvoirs publics sur nos territoires, notamment les plus fragiles, disposent de nouveaux leviers pour préserver et développer les commerces, ainsi que favoriser leur diversité", s'est félicitée Carole Delga, la secrétaire d'Etat chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'ESS, dans un communiqué du 19 février. Une déclaration qui se voudrait rassurante pour le petit commerce, au moment où les signaux contradictoires se multiplient : la révision en cours des valeurs locatives des quelque 3,3 millions de locaux professionnels, qui fait craindre une envolée des prix des loyers pour les commerces de centre-ville, ou encore les dispositions de la loi Macron, notamment sur le travail le dimanche et en soirée qui, de l'avis de nombreux élus locaux, risquent de pénaliser un peu plus les petits commerces.

Composition des commissions

Pour les élus, la loi du 18 juin 2014 n'est pas la réforme de l'urbanisme commercial attendue depuis le blocage de la proposition de loi Piron-Ollier au Parlement. Il faut toutefois rappeler que cette loi Pinel n'est pas isolée : la loi Alur du 24 mars 2014 contenait déjà des mesures, notamment pour soumettre les Drive à autorisation commerciale, ou encore pour instaurer l'obligation de démantèlement après exploitation…
La loi Pinel quant à elle est tout d'abord venue renforcer la place des élus dans les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC). Ces commissions sont constituées par le préfet pour chaque demande d'autorisation de construction des grandes surfaces. Désormais, toutes les collectivités concernées y seront représentées, y compris les intercommunalités. La loi a fait passer de 5 à 7 le nombre d'élus y siégeant, dont le maire de la commune d'implantation de la grande surface, les présidents de l'intercommunalité, du département et de la région, ainsi qu'un représentant des maires du département et un représentant des intercommunalités.
Le décret apporte des précisions sur les modes de désignation. Ainsi, aucun élu ne peut siéger à double titre, c'est-à-dire à la fois comme maire de la commune d'implantation et comme représentant des maires du département. Lorsque le projet est à cheval sur plusieurs communes, la commune d'implantation est celle sur le territoire de laquelle la surface de vente est la plus importante. Lorsque la zone de chalandise dépasse les limites d'un département, le préfet du département d'implantation détermine le nombre d'élus et de personnalités qualifiées susceptibles de compléter la commission, dans une limite de cinq pour les premiers et de deux pour les secondes.
Le décret précise également le mode de désignation des membres de la Commission nationale de l'aménagement commercial (CNAC) qui, nouveauté de la loi, pourra s'autosaisir des gros projets de plus de 20.000 m².

Dossier de demande d'autorisation

Cependant, sous couvert d'un renforcement des commissions – qualifiées parfois de "machines à dire oui" -, la loi les prive en réalité d'un véritable pouvoir de décision. Car c'est le point essentiel du texte : il fusionne la délivrance du permis de construire et l'autorisation d'exploitation commerciale. En clair, jusqu'ici, un opérateur devait recevoir l'avis favorable de la CDAC avant de déposer sa demande de permis de construire. Désormais, il déposera une demande unique en mairie. Une fois reçue, la demande d'autorisation est envoyée à la CDAC qui vérifie les pièces du dossier. L'autorisation préalable est donc remplacée par un avis… En d'autres termes, le permis de construire vaut autorisation.
A noter que le décret ne précise pas sur quels critères les décisions devront être rendues. Il dresse uniquement la liste des informations à fournir dans le dossier : les informations relatives au projet (surface de vente), celles concernant la zone de chalandise, notamment une description de la desserte actuelle et future (routière, en transports collectifs, cycliste, piétonne), une carte ou un plan de l'environnement du projet dans un périmètre de 1 km autour du site d'implantation... L'opérateur devra également lister les effets de son projet sur l'aménagement du territoire (contribution à l'animation des principaux secteurs existants, flux journalier de véhicules de livraison, dessertes des transports collectifs, flux de déplacements…), sur le développement durable (consommation énergétique des bâtiments, énergies renouvelables intégrées au projet, descriptions des nuisances visuelles) et la protection des consommateurs (distance par rapport aux zones d'habitation, mesures destinées à valoriser la production locale)… De plus, le dossier devra prévoir les effets du projet en matière sociale : les partenariats avec les commerces de centre-ville, les associations locales, les accords avec le service public de l'emploi.

Délais d'instruction et recours

Le décret modifie par ailleurs les délais d'instruction et les recours administratifs et juridictionnels.
S'agissant des permis de construire, la collectivité doit délibérer dans un délai d'un mois suivant la réception de la demande. La délibération est transmise par le maire ou le président de l'intercommunalité dans un délai de trois jours et affichée un mois à la porte de la commune d'implantation. La demande d'avis est alors transmise à la CDAC.
Dix jours avant la réunion, le dossier de demande d'autorisation est transmis à chaque membre de la CDAC. La commission reçoit le demandeur et ne peut délibérer que si la majorité de ses membres sont présents. Elle se prononce par un vote à bulletins nominatifs à la majorité absolue de ses membres présents. Son avis doit être motivé. La délibération est transmise dans un délai d'un moins à chacun des membres de la commission et aux services de l'Etat. La délibération est notifiée au demandeur dans un délai de dix jours et à la collectivité en charge du permis de construire. L'autorisation est valable trois ans. Voire cinq pour les surfaces de plus de 6.000 m2.
Le demandeur est informé que, si aucune décision ne lui a été notifiée dans un délai d'un mois, l'avis est réputé favorable. Le délai de recours du demandeur, du préfet ou de tout membre de la CDAC, est d'un mois.
Le décret fixe enfin les obligations qui incombent aux opérateurs à la fin de l'exploitation commerciale : démantèlement des installations, remise en état, valorisation ou élimination des déchets de démolition ou de démantèlement…
Mais de nombreuses questions restent en suspens. Outre les critères de décision de la commission, que se passe-t-il en cas de modification du projet au cours de sa réalisation, c'est-à-dire entre la délivrance du permis et l'ouverture au public ? La loi Pinel prévoit que si le projet ne fait pas l'objet de "modification substantielle", le permis de construire modificatif n'a pas à repasser devant la CDAC. Sur ce point, le décret précise simplement que pour les projets de modification substantielle, le dossier à transmettre à la CDAC devra comporter "une description du projet autorisé, des modifications envisagées et du projet après modifications". Reste à savoir ce qu'est réellement une modification substantielle.

"Faire émerger une politique locale du commerce"

L'Assemblée des communautés de France, qui militait pour l'entrée des intercommunalités dans les CDAC, peut se réjouir de leur nouvelle composition. La prise en compte des enjeux à cette échelle intercommunale devrait freiner la concurrence que les communes pouvaient se livrer entre elles pour l'ouverture de nouvelles surfaces commerciales. "Nous avons observé que l'urbanisme commercial souffre avant toute chose d'un manque d'appropriation politique et d'un manque de collégialité entre élus (…). Dans la périphérie, on a du mal à identifier les responsabilités politiques, c'est tout l'enjeu", résume Philippe Schmit, le délégué général adjoint de l'AdCF. "Ce qu'il faut, c'est faire émerger une politique locale du commerce", ajoute-t-il.
A ce titre, le projet de loi Notr apporte une première avancée. Au titre de leur compétence en matière de développement économique, les communautés devront désormais systématiquement mener une politique locale du commerce et de soutien aux activités commerciales d'intérêt communautaire. Au cours des débats sur le projet de loi Macron, les parlementaires ont par ailleurs renforcé le poids des intercommunalités en ce qui concerne l'ouverture des commerces le dimanche. Mais, sachant que Bruxelles presse la France depuis 2006 pour qu'elle assouplisse sa législation dans le sens d'une plus grande liberté d'établissement, le projet de loi Macron renforcera les compétences de l'Autorité de la concurrence dans ce domaine afin de s'assurer que les documents d'urbanisme ne soient pas trop restrictifs en matière d'implantation commerciale. La religion des prix bas a encore de beaux jours devant elle.

Référence : décret n° 2015-165 du 12 février 2015 relatif à l'aménagement commercial, JO du 14 février 2015.