Gens du voyage - Aires d'accueil : des sanctions pour les communes défaillantes ?
Douze ans après la loi du 5 juillet 2000 sur l'accueil des gens du voyage, le compte n'y est pas. La France est l'un des rares pays, avec l'Irlande, à avoir mis en place une politique d'accueil : les communes de plus de 5.000 habitants devaient construire des aires d'accueil ; en contrepartie, elles disposaient de moyens renforcés pour lutter contre les stationnements illicites.
Les besoins de places ont été définis dans des schémas départementaux d'accueil des gens du voyage signés par le préfet et le président du conseil général : 41.569 places réparties en 1.867 aires d'accueil devaient être réalisées ainsi que et 350 aires de grand passage. Mais fin 2010, seulement 52% des aires d'accueil (21.540 places réparties entre 919 aires d'accueil) et 29% des aires de grand passage (103) étaient construites, indique la Cour des comptes, dans un rapport thématique rendu public jeudi 11 octobre. Au 1er janvier 2012, 246 communes et 196 établissements publics intercommunaux sont ainsi considérés comme "défaillants".
La Cour constate également de fortes disparités territoriales. Le taux de réalisation est nettement plus élevé à l'Ouest (excepté l'Aquitaine) et au Centre, qui concentrent les trois quarts des aires construites. Bonne élève, la Basse-Normandie a presque atteint ses objectifs avec un taux de 93%. A l'inverse, l'Ile-de-France, la Picardie, le Languedoc-Roussillon et Paca ont des taux particulièrement faibles. La région Paca atteint tout juste les 24% de réalisation. "Ces disparités territoriales sont d'autant plus problématiques qu'une partie des départements ayant de faibles taux de réalisation sont également ceux où les besoins identifiés en places d'aires d'accueil sont les plus importants", estime la Cour.
En matière d'aires de passage, les disparités sont moins fortes. Mais seuls seize départements sont en règle (Allier, Aube, Cantal, Charente-Maritime, Cher, Corrèze, Dordogne, Eure, Gers, Gironde, Haute-Marne, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Rhône, Somme, Territoire de Belfort).
632 millions d'euros d'investissements
Parmi les blocages identifiés par la Cour figure le coût d'investissement, supérieur aux prévisions en raison du renchérissement du foncier et de frais de raccordements onéreux, "directement imputables aux décisions des collectivités territoriales d'éloigner les aires des zones habitées". Sur la période 2000–2011, le coût peut être estimé à 632 millions d'euros (dont un tiers financé par l'Etat), mais là encore avec des écarts énormes : le coût moyen d'une place passe de 24.746 euros dans le Loiret à plus du double (51.320 euros) dans la Marne. "Le coût des travaux de voirie et réseaux divers conduit certaines collectivités à renoncer à la création de l'aire", en déduit la Cour.
Parmi les autres raisons de ce retard, le rapport cite l'"imprécision initiale des schémas départementaux", la "réticence des populations riveraines", l'arrêt des subventions de l'Etat fin 2008, ou tout simplement l'"absence de volonté des collectivités sur certains territoires".
S'agissant du désengagement de l'Etat, la Cour rappelle que, selon l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Association des maires de France (AMF), "la réalisation des aires ne pourra être poursuivie et achevée qu'avec l'aide financière de l'Etat, au titre de la solidarité nationale". Préconisation qu'elle reprend à son compte mais elle l'assortit d'une condition : un "prélèvement financier sur les collectivités défaillantes". Elle suggère aussi une mobilisation accrue des crédits Feder... "Compte tenu de la situation budgétaire, il ne peut être envisagé de rétablir le subventionnement par l'Etat qui a déjà été prorogé", a répondu la ministre de l'Egalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot. "En cas de défaut de la commune et de l'intercommunalité, l'Etat se substituerait selon des modalités opérationnelles à préciser, à l'instar de celles envisagées dans le cas de la mise aux normes des stations de traitement des eaux", a-t-elle ajouté.
Sédentarisation
S'agissant de la lutte contre les stationnements illicites, la Cour considère que l'efficiacité du dispositif mis en place est "relative". Elle recommande d'"améliorer la gestion en amont des grands passages en lien avec les associations de gens du voyage". Ce à quoi s'attèle une circulaire du ministère de l'Intérieur, chaque année au printemps.
La Cour, selon laquelle la population des gens du voyage peut être estimée entre 250.000 et 300.000 personnes, constate un phénomène de sédentarisation d'une partie d'entre eux, tant sur des terrains privés que sur des aires d'accueil. Or l'identification des besoins s'est avérée "incomplète" et "sous-estimée", un état des lieux précis n'ayant pas été réalisé dans chaque département, tant au niveau des schémas départementaux que des plans départementaux d'aide au logement des personnes défavorisées (PDALPD). Une situation jugée "préoccupante". Sur les 30 départements ayant chiffrés ces besoins, 5.300 familles ont été recensées, dont une forte proportion en Ile-de-France. Dans les zones urbaines, les demandes de sédentarisation peuvent atteindre 60 à 70% de la population. Le rapport propose d'"inscrire au sein des schémas départementaux révisés les objectifs chiffrés de réalisation des projets de terrains familiaux pour favoriser leur mise en œuvre" et de lever les incertitudes qui pèsent sur le calcul des aides au logement.
Scolarisation
Enfin, la Cour s'interroge sur l'accompagnement social des gens du voyage et la scolarisation des enfants. Le projet d'accompagnement prévu par la loi de 2000 est "loin d'être systématique". Dans le Maine-et-Loire, il n'en existe tout bonnement pas. En 2010, 45 départements (moins de un sur deux) ont financé des actions d'inclusion sociale en faveur des gens du voyage pour un montant total de 2 millions d'euros. S'agissant des enfants scolarisés, en l'absence de statistiques de l'Education nationale, la Cour s'est référée aux enquêtes des centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (Casnav) qui, "malgré leurs limites, permettent d'établir qu'une partie des enfants du voyage n'est pas scolarisée", en particulier en maternelle où la scolarisation n'est pas obligatoire et au collège. "Le retard dans l'acquisition des savoirs fondamentaux pour les enfants scolarisés est patent."