Aide des départements aux entreprises : un décret permettra de territorialiser le fonds de solidarité
La ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, a annoncé jeudi 11 juin qu'un décret allait permettre "la semaine prochaine" de territorialiser le fonds de solidarité créé pour soutenir les TPE et artisans fragilisés par la crise. En revanche, les départements ne pourront pas intervenir de leur propre chef pendant cette période exceptionnelle, contrairement à ce que prévoyait une proposition de loi LR rejetée par l'Assemblée.
Les départements ne sont pas parvenus à faire passer la proposition de loi LR permettant de soutenir les petites entreprises de leur territoire en cette période exceptionnelle de crise sanitaire. Les députés de la majorité s’y sont opposés, jeudi 11 juin, suivant en cela l’avis de la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, restée ferme sur la ligne qu’elle tient depuis plusieurs semaines. Pour autant, les départements ne sortent pas bredouilles du débat car la ministre a annoncé pour "la semaine prochaine" un décret qui permettra aux départements de contribuer au fonds national de solidarité de manière territorialisée. Ce décret viendra modifier l’article 10 du décret relatif à ce fonds national de solidarité mis en place par l’État et les régions au début de la crise pour aider les TPE et les indépendants.
La ministre a tenu à rappeler que les finances des départements étaient déjà "très sollicitées" et que les avances remboursables sur les droits de mutation (2,7 milliards d’euros) accordées par l’État dans le cadre du projet de loi de finances rectificatives adopté en conseil des ministres le 10 juin n’autorisaient "pas à imaginer que les départements puissent intervenir tous azimuts, alors qu’ils sont plus que jamais attendus par les Français en matière sociale".
Jugeant toutefois "compréhensible" que ces derniers veuillent aider leurs entreprises, elle les a donc invités à abonder le fonds de solidarité, rappelant que le Tarn-et-Garonne est le seul département à l’avoir fait à ce jour. Toutes les collectivités qui contribuent aux fonds "peuvent inscrire leur dépense comme un investissement", a-t-elle insisté.
Guichet unique
Les départements (comme les intercommunalités d’ailleurs) sont en effet réticents à abonder un fonds national dont elles risquent de ne pas voir les retombées sur leur territoire. C’est justement ce que le décret devrait permettre de corriger. Pour la ministre, il est important que les entreprises puissent s’adresser à un "guichet unique", c’est pourquoi "l’État a confié aux régions l’instruction des demandes d’aides déposées par les entreprises en difficulté" dans le cadre du fonds national de solidarité, dont les crédits ont été portés à 8 milliards d’euros par le PLFR 3 (les régions y contribuent à hauteur de 500 millions d’euros et les compagnies d’assurance de 400 millions). 4,5 milliards d’euros d’aides ont déjà été décaissés depuis le début de la crise, "ce qui représente plus de 3,3 millions de dossiers traités", a-t-elle précisé.
La ministre est venue rappeler que les départements peuvent aussi agir dans certains domaines - l’économie sociale et solidaire, les entreprises agricoles et la pêche -, ou en menant des campagnes de promotion du tourisme, le tout devant se faire "en bonne intelligence" avec l’État pour éviter les doublons. "Afin que les élus puissent construire sereinement leur dispositif, j’ai moi-même donné pour instruction aux préfets d’assurer auprès d’eux un rôle de conseil de légalité", a fait savoir la ministre qui, dans une instruction du 5 mai, était venue préciser aux départements les limites à ne pas dépasser.
Fonds régionaux
Elle a aussi rappelé qu’à côté du fonds national, les régions ont elles-mêmes mis en place leurs propres fonds, baptisés "Résilience", "Résistance" ou autre (des fonds considérés comme le "troisième étage" de la fusée mise en place, le fonds de solidarité constituant les deux premiers). Dans le Grand Est, en Occitanie ou en Île-de-France, la plupart des départements s’y sont associés, aux côtés de la Banque des Territoires, des métropoles et des chambres consulaires. Le fonds de l’Occitanie "L’Occal" entré en service le 4 juin associe ainsi plus de 150 financeurs pour un montant de 80 millions d’euros. Mercredi, c’est l’Île-de-France qui a annoncé le lancement de son fonds "Résilience" d’un montant de 100 millions d’euros, impliquant pour sa part 70 collectivités. La ministre ne s’est pas explicitement prononcée sur ce point, alors que dans son instruction elle indiquait bien que les départements ne peuvent pas "venir abonder les régimes d’aides définis par la région, cette possibilité étant réservée au seul bloc communal".
Mais comme l’a déclaré le président de l’Assemblée des départements de France, Dominique Bussereau, au Sénat le 9 juin, il y a encore "des trous dans la raquette". D’où la volonté de nombreux départements d’intervenir en complément, en jonglant avec la loi Notr du 7 août 2015 qui a confié aux régions la compétence exclusive de définir les aides aux entreprises situées sur leur territoire, "et aux communes et à leurs groupements une compétence exclusive dans le domaine des aides à l’immobilier d’entreprise, cantonnant ainsi les départements à des aides sectorielles en complément de l’action des autres collectivités". Ce qu’est venu rappeler l’auteur de la proposition de loi, Cédric Cordier.
Le texte – qui a reçu l’appui de toutes les oppositions – visait ainsi à redonner la faculté aux départements, jusqu’au 31 décembre 2020, d’accorder des aides économiques directes, sous forme de subventions, aux PME et PMI et aux artisans de leur territoire, durement frappés par la crise. Il s’inspirait de la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique du 27 décembre 2019 qui l’a déjà autorisé dans les cas de catastrophes naturelles. La proposition de loi vise donc sécuriser l’action de nombreux départements (pour rester dans les clous, certains ciblent les personnes fragiles et non les entreprises).
Recours en justice
L’attention s’est notamment portée ces dernières semaines sur le département des Bouches-du-Rhône (présidé par Martine Vassal, également présidente de la métropole d’Aix-Marseille, en ballottage défavorable pour le second tour des élections à Marseille) contraint par le préfet de fermer son fonds de solidarité monté avec la métropole et les chambres consulaires, parallèlement au fonds créé par la région Paca. Mais il n’est pas le seul. Le 14 mai, le département des Ardennes a ainsi "créé un dispositif de soutien à la relance des très petites entreprises – moins de trois équivalents temps plein – en constituant un fonds de 12 millions d’euros pour accorder des subventions aux entreprises les plus fragilisées par la crise sanitaire", a indiqué Pierre Cordier. Le préfet a décidé de saisir le tribunal administratif. De même pour l’Orne. Le département avait voulu mettre en place une aide de 500 euros complémentaires à l’aide de 1.500 euros du fonds de solidarité pour les artisans et les TPE. Là encore, la justice est saisie. "Nous avons essayé de persuader le conseil départemental d’intégrer cette initiative dans le système du fonds de solidarité. Nous leur avons annoncé que nous allions territorialiser ce fonds par un décret (…). Comme le projet est désormais en dehors des clous, nous sommes évidemment obligés de déférer au tribunal", a justifié la ministre.
Il n’est pas certain que le décret soit la solution à toutes les difficultés rencontrées sur le terrain. Car les défenseurs de la proposition de loi se plaignent de la lourdeur des dispositifs nationaux et régionaux. "Ce sont les élus départementaux, main dans la main avec les communautés de communes, qui pourront repérer la cessation de paiement du camping de Montigny-sur-Loing, du restaurateur de Blandy-les-Tours ou du bar-tabac de Forges", a argué Jean-Louis Thiérot (Seine-et-Marne, LR). "La logique est simple : il s’agit de traiter le problème en amont. (...) Si nous n’aidons pas tout de suite les petites structures (…), les personnes qui auront subi un licenciement économique seront inscrites à Pôle emploi. C’est donc l’État qui paiera leur indemnité chômage et, dans quelques mois, si elles ne retrouvent pas un emploi, les départements les retrouveront dans les rangs des bénéficiaires du RSA."