Accueil du jeune enfant : la Cour des comptes appelle à mieux piloter la dépense publique

En matière de petite enfance, "la dépense publique paraît mal maîtrisée", estime la Cour des comptes dans un rapport d’évaluation rendu public ce jour. Un pilotage renforcé, avec des "objectifs hiérarchisés" fixés de façon concertée au niveau national et une planification sur tous les territoires, est jugé nécessaire – et la Cour appelle à mettre davantage de moyens sur le développement de l’accueil individuel et les aides à la garde parentale, tout en passant au financement forfaitaire pour les crèches concernées par la prestation de service unique. Pour dégager des moyens au bénéfice des territoires sous-dotés, elle préconise de supprimer le crédit d’impôt famille versé aujourd’hui à des entreprises réservant des berceaux.     

 

A la veille du démarrage du service public de la petite enfance (SPPE, voir notre article), la Cour des comptes publie ce 12 décembre 2024 un rapport d’évaluation de la politique d’accueil du jeune enfant. Le constat est globalement sévère : "faute d’un pilotage politique coordonné et malgré son niveau de développement déjà élevé, l’offre ne répond pas à l’ensemble de la demande des familles et [les] perspectives sont incertaines à cet égard". 

Des inégalités territoriales "marquées" et qui "tendent à s’accentuer"

Rappelant qu’un cinquième de la demande d’accueil formel n’est pas satisfaite (voir notre article), la Cour pointe en particulier le fait que "les inégalités territoriales d’accès aux places d’accueil sont marquées et tendent à s’accentuer". En effet, "la progression de l’offre est essentiellement portée par le secteur marchand, qui développe notamment des ‘micro-crèches Paje’ [c’est-à-dire non pas financées par la prestation de service unique, PSU, mais reposant sur une aide aux familles au titre du complément de libre choix du mode de garde, CMG, ndlr] dans les territoires où la demande solvable des familles est plus élevée, aux dépens des territoires plus pauvres et ruraux".

Ainsi les taux de couverture "variaient, en 2022, de 85% en Vendée à 35,3% en Seine-Saint-Denis", selon les auteurs, qui indiquent que ces inégalités "résultent d’initiatives propres à l’histoire socio-économique de chaque territoire, notamment du niveau d’investissement des collectivités locales". Et "l’incidence du niveau de vie s’avère prépondérante". Pour résumer, les "territoires à plus haut niveau de vie" et urbains sont mieux couverts, "notamment en structure d’accueil collectif", alors que les territoires "à niveau de vie plus faible" - et en particulier des communes de petite taille ou intermédiaires - "bénéficient davantage d’une offre d’accueil individuel". Or, il est rappelé que les restes à charge des familles sont plus élevés en accueil individuel (assistantes maternelles) qu’en accueil collectif, la réforme du complément de mode de garde (CMV) annoncée pour 2025 étant destinée à harmoniser les restes à charge entre ces deux modes de garde. Outre le frein financier, "la complexité du système freine l’accès des familles socialement ou culturellement désavantagées", ajoute la Cour. 

La Cour des comptes appelle donc à "développer les crèches financées par la prestation de service unique dans les territoires sous-dotés et moins favorisés", en renforçant les financements de la branche famille liés aux spécificités territoriales.


"De premiers outils de régulation" avec le service public de la petite enfance 

Cette complexité et l’absence d’une coordination suffisante entre le national et le local "affectent la lisibilité des actions conduites et l’évaluation des résultats atteints", estiment les magistrats de la rue Cambon. Si "de premiers outils de régulation de l’accueil du jeune enfant" ont été posés avec la loi du 18 décembre 2023 prévoyant le SPPE, la définition d’"une stratégie politique partagée portant sur des objectifs hiérarchisés et un pilotage national" est préconisée. Le renforcement du pilotage passe aussi par le fait de "couvrir l’ensemble du territoire de documents de planification locaux et pluriannuels relatifs à l’accueil du jeune enfant". 

Ce pilotage doit être au service de la qualité d’accueil et de "contrôles coordonnés" mais, pour la Cour, cette qualité "ne pourra s’améliorer [qu’en] modifiant le système global d’accueil collectif et individuel et non par la seule affirmation d’une priorité accordée à cette question". Les juges reprennent à leur compte une demande forte des acteurs de la petite enfance : le passage d’un financement des crèches à l’heure (par la PSU versée par les caisses d’allocations familiales) à un financement forfaitaire. Le versement d’un forfait à la demi-journée d’accueil "devrait alléger les contraintes administratives des structures et modérer la tendance à une hausse du taux d’occupation préjudiciable à la qualité de l’accueil", est-il mis en avant. 


Développement de l’offre d’accueil : des objectifs irréalistes fixés en 2023 

Plus globalement, "la dépense publique paraît mal maîtrisée", affirme la Cour des comptes, qui observe que "les financements publics privilégient l’accueil en crèche, certes plus demandé par les parents mais plus coûteux". Fixé en 2023 par le gouvernement, l’objectif de création de 200.000 solutions d’accueil d’ici 2030, dont 100.000 entre 2023 et 2027 "incluait un solde net de 35.000 places de crèches financées par la prestation de service unique durant cette période, soit 7.000 par an", est-il rappelé. "Or, ce solde net a été de moins de 2.000 places par an entre 2016 et 2021 et il a été négatif de 156 places en 2023", pointe la Cour. En outre, pour avoir 65.000 nouvelles places d’accueil (en net) chez une assistante maternelle d’ici 2027, "soit 13.000 par an, le nombre d’assistantes maternelles devrait augmenter de 4.500 chaque année, alors que depuis 10 ans, leur nombre baisse chaque année en moyenne de 10.000", souligne la Cour, qui ajoute que ces objectifs sont jugés irréalistes par les acteurs. 

Pour mieux ajuster les capacités d’accueil aux demandes des familles, la Cour des comptes appelle à "répondre rapidement à la pénurie de professionnels et [à] favoriser les modes d’accueil les moins coûteux pour les finances publiques, comme les assistantes maternelles". Autre piste : un allongement d’un mois du congé maternité et une meilleure indemnisation – mais sur une durée plus courte – du congé parental (voir notre article). Ces orientations auraient l’avantage de "[limiter] le risque, à terme, d’une suroffre de structures en cas de poursuite de la baisse de la natalité". 

Autre recommandation : la suppression du crédit d’impôt famille, "à l’horizon de la prochaine convention d’objectifs et de gestion pour laisser aux opérateurs le temps d’adapter leurs modèles économiques" et "sous réserve de redéployer des moyens équivalents en faveur du développement de l’offre dans les territoires sous-dotés". Créé en 2004 et bénéficiant à des entreprises qui réservent des berceaux pour leurs salariés, ce dispositif a un coût estimé (le coût exact n’étant pas connu) qui "n'a cessé de croître, passant de 74 millions d’euros en 2014 à 195 millions d’euros en 2023 (+ 164%)" et "présente un risque inflationniste sur le prix des réservations", estime la Cour des comptes. Cette dernière considère par ailleurs que les entreprises bénéficiaires n’en ont pas forcément besoin pour "financer l’accueil des enfants de salariés" et que ce système "coupe-file" s’effectue "aux dépens éventuels d’une autre famille", soit en contradiction avec les principes d’un service public de la petite enfance.