Accords de libre-échange : le Comité des régions obtient un rôle d'"observateur"
Alors que l'Union européenne lance des négociations commerciales tous azimuts, la commissaire chargée du commerce souhaite confier au Comité des régions un rôle d'"observateur". L’occasion d’une meilleure prise en compte de l’intérêt des territoires dans ces négociations aux multiples enjeux. Pour Michel Delebarre, du Comité des régions, c'est "une très bonne surprise" dont les modalités doivent encore être précisées. Mais les collectivités vont devoir se retrousser les manches si elles entendent vraiment peser.
La Commission a fait un pas de plus dans sa volonté de rendre plus transparentes ses négociations commerciales face aux nombreuses réactions qu’elles suscitent dans la population. La commissaire chargée du commerce Cecilia Malmström a en effet annoncé, le 24 avril, qu’elle entendait confier au Comité des régions un rôle d’"observateur" au sein du groupe d’experts consultatif sur les accords commerciaux de l’Union européenne. Ce groupe consultatif avait été institué dans le cadre de la stratégie européenne intitulée "Le commerce pour tous", présentée le 14 septembre 2017, justement pour renforcer la transparence dans les négociations commerciales. "Je suis heureuse d’annoncer aujourd’hui que nous invitons le Comité des régions à devenir un observateur de ce groupe, de la même manière que le Conseil économique et social européen", a ainsi déclaré Cecilia Malmström à l’occasion d’une réunion dite de "dialogue structuré" associant la commission de la politique économique (Econ) du Comité des régions et plusieurs associations d’élus dont l’Assemblée des régions d’Europe (ARE), à Bruxelles.
Suite à cette annonce, le comité sera ainsi convié à participer à ce groupe en tant qu’observateur "dans les prochains jours", indique le comité dans un communiqué. "La commissaire Malmström devra encore nous préciser les modalités pratiques de ce rôle et j'avoue qu'elle nous a fait une très bonne surprise", se félicite Michel Delebarre, président de la commission Econ, auprès de Localtis. "Jusqu'ici ni le Comité des régions ni les collectivités territoriales en tant que telles n'avaient un rôle reconnu dans ce suivi. Quand nous n'étions pas amalgamés avec les parties prenantes et la société civile, notre prise en considération relevait plutôt d'arrangements ad-hoc en fonction de la personnalité et du mandat du rapporteur du Comité des régions sur tel ou tel dossier", poursuit-il. C’est ainsi que, dans le cadre des négociations sur le TTIP (ou Tafta), le traité transatlantique gelé par le président américain Donald Trump, son prédécesseur à la présidence de la commission Econ et le rapporteur du comité sur le traité avaient obtenu le rare privilège d’accéder au "bunker", la salle de lecture des documents de négociation. Documents à consulter exclusivement sur place avec l’interdiction de faire des photocopies !
Accords de "nouvelle génération"
Pas question en revanche pour la commissaire suédoise de remettre en cause le fondement même du libre-échange alors que "le monde est plus interconnecté que jamais". "Au lieu de nous retrancher derrière nos murs et nos frontières, nous devons veiller à ce que la mondialisation se déroule comme nous le souhaitons. Et pour faire de cet objectif une réalité, nous avons besoin de votre aide", a-t-elle lancé aux élus. Le Comité des régions fait valoir, lui, que les fruits de la mondialisation sont "répartis inégalement". "Certaines économies et communautés locales ne disposent pas des capacités nécessaires pour faire face aux changements technologiques et économiques que requiert la mondialisation", souligne-t-il dans un communiqué du 24 avril.
Ce rôle d’observateur du comité intervient au moment où l’Union européenne se lance dans une série de nouveaux accords commerciaux, dits de "nouvelle génération" : Canada, Japon, Singapour, Mexique... Ces accords ont été entrepris pour suppléer l’interruption des négociations du cycle de Doha dans le cadre de l’OMC. Mais il y a aussi la volonté de l’Union européenne d’avancer ses pions au moment où les Etats-Unis se rétractent. "Nous voulons prendre le leadership du libre-échange et du multilatéralisme", s’était même enthousiasmée la commissaire, le 18 avril dernier. Par rapport aux accords de libre-échange classiques, ces accords de nouvelle génération ne se contentent pas de baisses de droits de douanes mais comportent des mesures non-tarifaires : normes sanitaires, sociales, environnementales…. avec des enjeux très forts pour les territoires.
Etudes d'impact territorial
Après la polémique suscitée par le Tafta - dont l’existence a été découverte très tardivement par la population -, la Commission a fait "d’énormes efforts" de transparence, assure Michel Delebarre. Elle a obtenu des Etats membres que soient publiés les mandats de négociation. Ainsi, pour la première fois, avec la révision en cours de l’accord commercial avec le Chili, la totalité du mandat de négociation a été publié. Reste maintenant à s’emparer de ces sujets complexes pour espérer peser dans la balance. A moins de se cantonner au rôle de faire-valoir ou de figurant. "C’est une chose pour le monde des collectivités territoriales de réclamer la transparence, c'en est une autre de traiter et analyser l'information brute. Il faudra certainement que le Comité des régions et les collectivités territoriales les plus concernées par le commerce extérieur fassent un effort significatif en la matière", souligne Michel Delebarre qui demande de rendre obligatoire les études d’impact territorial. Le comité a ainsi d’ores et déjà diligenté une étude auprès du service d'études du Parlement européen (EPRS) sur les interactions entre commerce, investissement et tendances dans l'industrie. Il a également participé à l’élaboration d’une étude sur la préparation des collectivités territoriales au Brexit présenté le jour de la rencontre avec Cecilia Malmström. Un sujet d’importance en particulier pour les trois régions françaises qui donnent sur la Manche (Hauts-de-France, Normandie et Bretagne).
Craintes pour l'agriculture
Cecilia Malmström s’est aussi félicitée de la clarification des rôles entre la Commission et les Etats dans les accords commerciaux apportée par la Cour de justice de l’UE, dans un avis de mai 2017. La Cour avait alors estimé que l'accord de libre-échange signé entre l'Union européenne et Singapour en 2013 était "mixte". A ce titre, il ne pouvait être conclu par la seule Commission et ne pouvait donc se passer de la ratification des parlement des Etats membres. Décision que la Commission avait elle-même anticipé dans le cadre du Ceta (ce dernier est entré en œuvre dans sa quasi-intégralité en septembre dernier de manière provisoire, avant la ratification des parlements). Michel Delebarre met cependant en garde contre le risque d’aboutir à des "accords light" adoptés en procédure accélérée, faisant "l'impasse sur les questions relatives par exemple à l'environnement ou à la protection des investissements".
Ces efforts de transparence ne suffiront sans doute pas à taire les craintes suscitées notamment par le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (ISDS). D'aucuns y voient un pouvoir exorbitant donné aux investisseurs contre les Etats et leurs législations. Mais avec l’accord de principe trouvé avec le Mexique le 21 avril, la Commission se targue d’avoir introduit de nouvelles règles, de nouvelles garanties. "La 'déprivatisation' du règlement des différends est en bonne voie et l'Union européenne réussit à rallier de plus en plus d'Etat derrière cette position. C'est encourageant !", juge Michel Delebarre.
La négociation avec le Mexique vise notamment à élargir à l’agriculture un accord de 1997 essentiellement tourné vers les biens industriels. Il passe pour équilibré en matière d'accès aux marchés publics, offre des opportunités pour les agriculteurs européens et l’UE a même obtenu la reconnaissance de 340 indications géographique protégées. Bien plus que pour le Ceta. Mais il a de quoi inquiéter les éleveurs bovins. Un contingent de 10.000 tonnes de viande bovine a ainsi été accordé au Mexique, qui s’ajoute "aux contingents déjà accordés à l’Ukraine (15.000 tonnes), au Canada (67.950), et peut-être demain au Mercosur (pour l’instant, 99.000 tonnes en négociation)", rappellent les chambres d’agriculture dans un communiqué du 25 avril. Selon elles, cet accord pose "une fois de plus la question de la pérennité de l’élevage bovin en France pour les années à venir".
Les regards se tournent à présent vers les discussions avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay). Une délégation de ces pays est en ce moment même à Bruxelles. Au mois de février, le ministre français de l’Agriculture, Stéphane Travert, avait déclaré que la France tiendrait un "discours de vérité" et fixerait des "lignes rouges". Selon lui, un contingent de 70.000 tonnes de viande bovine en provenance de ces pays ne serait "pas soutenable pour le marché français". Il ne semble pour l’heure pas avoir été entendu. "De nombreux membres du Comité des régions se font porteurs de cette inquiétude. Il n'est d'ailleurs pas concevable que l'on offre d'une main aux partenaires commerciaux ce que l'on doit réparer de l'autre au sein de l'Union européenne avec des moyens par ailleurs en recul de la PAC", estime Michel Delebarre. Mais selon lui, "force est de constater que les lignes de fracture sur cette question restent essentiellement déterminées par des intérêts nationaux plutôt que par une prise de conscience collective des enjeux européens en termes de cohésion territoriale et de développement durable du traitement des questions agricoles dans les accords commerciaux".