25 histoires de réindustrialisation réussie

Dans un tour de France de "25 lieux qui changent l'industrie", un ouvrage apporte un éclairage original sur des histoires de réindustrialisation réussie. Toutes reposent sur un "récit industriel", "un ancrage territorial" et une "synergie" forte entre tous les acteurs du territoire où tout le monde a à y gagner.

Le "B612". C'est le nom donné par Saint-Exupéry à un astéroïde dans Le Petit Prince. Et désormais celui d'un bâtiment jaune de près de 24.500 m2 dans la banlieue de Toulouse, au bout de la piste d'envol où l'écrivain-aviateur décollait lorsqu'il travaillait pour Latécoère… Il est aujourd'hui l'emblème de l'écoquartier Toulouse Aerospace, nouveau centre névralgique d'un écosystème dédié à l'aérospatial. Livré en 2018, le bâtiment de sept étages est la propriété de la métropole qui le loue aux entreprises du secteur. Compact, il répond aux nouvelles exigences du zéro artificialisation net (ZAN). Et il est modulable : il permet de s'adapter à mesure que l'entreprise se développe, à l'image d'U-Space, une PME qui construit des nanosatellites de nouvelle génération, passée en ces lieux de la phase de R&D à la création d'une ligne de production. 

Affichant complet dès son inauguration en 2018, le B612 l'est l'une des vedettes des "25 "lieux qui changent d'industrie en France", titre d'un ouvrage réalisé par le cabinet d'architecte Patriarche, en partenariat avec JLM Conseil, France urbaine et la Banque des Territoires. Ce recueil fait suite aux "25 lieux qui changent l'innovation" paru il y a deux ans (voir notre article du 12 juillet 2022). "L'idée de cet ouvrage, ce n'était pas de citer les 25 champions industriels français en reprenant le top 25 des entreprises avec le plus gros chiffre d'affaires. C'était de partir des entreprises qui peuvent se faire discrètes et qui nous ont semblé exemplaires dans leur manière d'atterrir sur un territoire", a exposé Ori Abihssira, architecte chez Patriarche, lors de la présentation de l'ouvrage, le 2 octobre au Ground Control (une ancienne friche SNCF reconvertie), à Paris. 

Récits industriels

Dans ce tour de France de sites exemplaires, les auteurs ont choisi une palette d'entreprises aux caractéristiques très variées : certaines sont en ville, d'autres en périphérie, voire à la campagne. Se côtoient des usines, des quartiers, voire des territoires entiers comme le Creusot Montceau, exemple d'une renaissance industrielle réussie, qui cherche à se diversifier, ou la plateforme industrielle de Fos-sur-Mer où, depuis dix ans, l'association Piicto travaille à "l'écologie industrielle" de cette zone portuaire très émettrice de CO2, pour attirer de nouvelles activités. 8 milliards d'euros vont être engagés pour son verdissement. On y trouve aussi des bâtiments design parfaitement intégrés dans leur environnement comme le Hall 32, le centre de promotion des métiers de l'industrie situé à Clermont-Ferrand ou l'usine de Moustache Bikes à Thaon-les-Vosges qui assemble le premier vélo électrique made in France au cœur des montagnes des Vosges... Pour les auteurs de l'ouvrage, l'idée était de partir des "lieux" et non des activités industrielles elles-mêmes, afin d'aborder des problématiques plus larges (densification, formation, relations avec les riverains…) et de raconter un "récit industriel". "Après la focale très forte portée ces trois dernières années sur les gigafactories, la vallée de l'industrie, ou l'industrie du médicament, on souhaitait apporter un regard complémentaire, c'est ce qui nous a intéressés dans ce travail-là", souligne Lionel Delbos, conseiller Économie territoriale à France urbaine, qui se dit convaincu, à la suite des travaux du spécialiste de l'industrie Olivier Lluansi, qu'une bonne part de l'industrie de demain existe déjà dans les territoires (voir notre entretien du 1er octobre). Dans ce vivier de PME qui ne demandent qu'à grandir.  

Synergies territoriales

La société Blue Paper, située dans le port autonome de Strasbourg, est l'exemple d'un ancrage territorial réussi.  Elle fabrique aujourd'hui des bobines de papier utilisées pour la confection de carton. Ce papier est lui-même fabriqué à partir de carton récupéré dans les fameuses "poubelles jaunes". Blue Paper est aussi l'histoire d'une bifurcation quand, en 2011, elle était amenée à fermer. Elle fabriquait jusque-là du papier blanc pour la presse magazine, un secteur en déclin avec l'essor du numérique. Deux actionnaires belge et allemand "visionnaires" ont alors décidé d'investir plus de 100 millions d'euros dans le site pour le transformer radicalement et le rendre autonome en énergie et le plus décarboné possible. L'idée : récupérer en bout de chaîne les 30.000 tonnes de déchets cartons non recyclables pour alimenter une chaudière à combustible venant se substituer au gaz naturel. "82% de l'énergie primaire du site est aujourd'hui décarbonée", s'est félicitée Karima Chakri responsable qualité hygiène environnement de Blue Paper, lors d'une table ronde organisée pour la publication du livre. Mais ce n'est pas tout. La société récupère tous les déchets cartons des industriels alentours ainsi que la chaleur fatale des fumées de sa chaudière pour alimenter un réseau de chaleur qui permet aujourd'hui de chauffer la clinique voisine et tout un quartier résidentiel : 30.000 logements seront ainsi chauffés d'ici la fin de l'année et 50.000 à terme. "On a applaudi des deux mains, regrettant de n'en avoir que deux", a salué Anne-Marie Jean, présidente du port autonome et vice-présidente de l'Eurométropole, responsable du développement économique. Et de rappeler qu'une association, "Initiative durable", a joué un rôle moteur dans ces "synergies territoriales". Voyant surgir les prémices de "l'écologie industrielle territoriale" il y a une dizaine d'années, elle a vu dans la forte concentration d'entreprises du port autonome de Strasbourg un terrain propice à l'expérimentation. "On est partis de toute une série de synergies pas trop engageantes qui ont permis de se permettre en confiance (récupération de cartons, plan de déplacements inter-entreprises, récupération de palettes…) avant de mettre en place des choses beaucoup plus fortes comme le réseau de chaleur", a expliqué Anne-Marie Jean. Aujourd'hui, l'Eurométropole a créé la première SEM transfrontalière pour associer la ville allemande de Kehl (30.000 habitants) à son réseau de chaleur. Les travaux ont commencé pour faire passer les tuyaux sous le Rhin. 

Acceptabilité sociale

Pour Karima Chakri, il n'y a pas de honte à parler d'"usine". "On fait partie intégrante de l'économie circulaire, c'est une raison pour nos salariés d'être fiers de cette usine, une usine qu'on essaie d'ouvrir pour expliquer aux gens ce qu'il y a dedans. Je n'ai pas peur des mots, tant qu'on explique ce que l'on fait." Nombreuses sont les entreprises présentes dans cet ouvrage à pratiquer cette forme de "tourisme industriel", sachant que la question de l'image que renvoie l'industrie est loin d'être anodine. Comme l'a rappelé Olivier Lluansi, 50% des personnes formées aux métiers industriels rejoignent un autre secteur, pour des salaires moindres. Ce qui renvoie plus largement à la question de "l'acceptabilité sociale" des projets. "Une réindustrialisation qui ne serait pas décarbonée et ne serait pas respectueuse de la biodiversité se mettrait instantanément à dos 30% des Français. Et le projet est mort", a-t-il développé. En témoigne les nombreuses polémiques actuelles, comme celle suscitée par l'ouverture d'une mine de lithium dans l'Allier (voir notre article du 2 octobre). Ou encore le projet de ligne à très haute tension censée décarboner le port de Fos mais qui viendrait défigurer la Camargue… "Il y a une vraie responsabilité des élus locaux d'organiser le débat local. Mais c'est parfois de plus en plus difficile", reconnaît Lionel Delbos. "France urbaine soutient le principe du ZAN, mais il vient tendre encore un peu plus le débat", estime-t-il. Et si les élus ont "une vraie responsabilité de faire émerger les industries de demain", "ils préfèrent de très loin les sites clés en main à l'article 9 de la loi Industrie verte", tacle-t-il. Allusion à la possibilité donnée au préfet, dans la loi industrie verte, d'imposer localement des grands projets industriels. Pour Olivier Lluansi, "on ne pourra pas faire de réindustrialisation si on ne raconte pas une histoire à l'ensemble des Français".