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Zones à inondations fréquentes : le CGEDD invite les collectivités à déployer une stratégie globale

Avec le dérèglement climatique, les inondations risquent de se multiplier. Pourtant, selon un rapport de mission que vient de publier le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), les secteurs qui y sont exposés font rarement l’objet d’un traitement concerté, mobilisant la totalité des outils liés aux politiques d’aménagement, de gestion des eaux et de prévention des risques. Ses auteurs appellent donc à bien identifier les zones à inondations fréquentes pour y déployer une stratégie globale mobilisant toutes les parties prenantes, à faciliter l'accès aux données et à l'expertise et à responsabiliser davantage les acteurs.

C'est un zonage particulier que le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) met en lumière dans un rapport publié début juin, qu'il a réalisé à la demande d'Élisabeth Borne, alors ministre de la Transition écologique, et avec l'appui de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) : celui des zones à inondations fréquentes (ZIF), où les dommages, notamment aux personnes, peuvent être plus ou moins graves. Ce phénomène d'inondations fréquentes risque de "gagner en ampleur avec le dérèglement climatique, tant en volume qu’en répartition spatiale", prédisent ses auteurs. D'autant qu'à l’exception notable de quelques secteurs qui connaissent des inondations à la fois fréquentes et importantes, voire catastrophiques (dans le Sud-Est en particulier), "ces événements sont le plus souvent, du fait de leur caractère répétitif, moins des 'catastrophes' que des contraintes qui s’imposent à l’aménagement du territoire et qui mobilisent des outils relevant pour beaucoup de cette politique publique", observent-ils.

Problématique encore "mal appréhendée" par les acteurs locaux

La problématique des ZIF "semble mal ou incomplètement appréhendée par les acteurs publics locaux, en raison d’une définition assez floue dans l’esprit de beaucoup, constatent-ils. Dans le même temps, les guides techniques ou méthodologiques existants et les organismes nombreux et reconnus en recherche développement et accompagnement, ne sont pas toujours connus et maîtrisés par les acteurs opérationnels, alors qu’ils pourraient jouer un rôle majeur pour faire aboutir les démarches lorsqu’existe une volonté de traiter ces situations. Certaines données nécessaires à l’élaboration de diagnostics puis de stratégies ne sont par ailleurs pas toujours faciles à obtenir".

Problème d'identification

Résultat : les secteurs exposés aux inondations fréquentes ne sont "pas souvent identifiés avec précision et ne font que rarement l’objet d’un traitement concerté, mobilisant la totalité des outils liés aux politiques d’aménagement, de gestion des eaux et de prévention des risques", relèvent les auteurs du rapport. Or, insistent-ils, sauf dans les cas les plus graves (exposition de vies humaines ou secteurs très ponctuels), "l’adaptation des territoires à ces inondations fréquentes ne peut pas passer par des mesures généralisées de délocalisations des habitats et activités" mais "par une évolution dans la posture et la recherche de solutions mobilisant diverses mesures de réduction de l’aléa et de la vulnérabilité".
"Les premières, fréquemment réclamées par les habitants et leurs représentants élus, sont à programmer à l’échelle des bassins versants, le plus souvent, dans le cadre d’un outil spécifique - le programme d'actions de prévention des inondations (Papi) - qui assure l’articulation entre les impératifs de la stratégie de gestion des inondations et les enjeux d’aménagement du territoire", avancent-ils, reconnaissant qu’"elles ne soient pas toujours aisées à mettre en œuvre (la solidarité amont-aval, qui est aussi, souvent, une solidarité rural-urbain, ne se décrétant pas)". Mais cette question ayant été abordée dans le cadre d'autres missions, les rapporteurs n'y reviennent pas.

Besoin de gouvernance forte à différentes échelles 

Ils ont préféré se focaliser sur les mesures "insuffisamment envisagées et moins encore mises en œuvre, bien que pouvant entrer dans les mêmes Papi", relevant "avant tout de stratégies d’aménagement de chaque territoire exposé à l’aléa mais aussi des bâtiments". Ces dispositions "reposent sur une mobilisation locale qui, le plus souvent, semble initiée soit par un sinistre (ou une répétition de sinistres), soit par une plus forte responsabilisation des acteurs, soulignent-ils. Elles nécessitent évidemment une coordination des actions et donc une gouvernance forte à des échelles différentes (bassin, établissements publics de coopération intercommunaux, communes, quartiers et même bâtiment). Elles impliquent enfin surtout une grande diversité d’acteurs - pouvoirs publics locaux et nationaux, propriétaires fonciers, promoteurs, entreprises du bâtiment et des travaux publics, assurés – (particuliers, exploitants agricoles, et entrepreneurs), assureurs -, dont les intérêts ne sont pas toujours convergents et qui ne sont le plus souvent pas assez responsabilisés par les dispositifs actuels."

Difficulté de "mise en mouvement organisée"

"Dans tous les cas, la bonne analyse et l’intégration des volets sociologiques (logiques individuelles et collectives, adhésion des populations aux solutions retenues, lutte contre la ségrégation sociale, …), comme l’appui sur une culture du risque qu’il convient sans cesse d’entretenir ou développer, sont des clés de réponses adaptées, le rapport aux inondations fréquentes étant très variable dans la population en fonction de l’expérience qu’ont les acteurs de telles situations", font valoir les rapporteurs, qui ont rencontré plus de cent personnes dans une dizaine de départements.
De ces contacts de terrain, ils retiennent que "les éventuelles difficultés ne résident pas tant dans un manque d’outils réglementaires ou financiers, même si quelques ajustements pourraient faciliter certaines situations particulières, que de la mise en mouvement organisée et de la levée des blocages induits parfois par les jeux entre les nombreux acteurs aux différentes échelles".
Au-delà du facteur déclenchant que constitue le plus souvent un sinistre,  les avancées qu'ils ont observées passent donc "par un portage politique fort à tous les niveaux et par la mise en œuvre de démarches globales, associatives et formalisées".

Stratégie globale une fois la ZIF identifiée

Pour contribuer à une meilleure prise de conscience de cette thématique des inondations fréquentes, ils préconisent une série de recommandations autour de trois axes. D'abord, il faudrait identifier et caractériser les ZIF "fondées tant sur les données historiques qu’en anticipation", afin de "faire remonter le niveau de priorité de ce sujet, de faire émerger des portages politiques et d’engager en particulier les collectivités à le traiter progressivement, avec une stratégie globale et en mobilisant sur chaque type de problème, les acteurs concernés et les outils adaptés relevant des politiques d’aménagement du territoire, de la prévention des risques ou de la gestion des eaux."

Faciliter l'accès aux données et à l'expertise

Le deuxième axe consisterait à "améliorer l’accompagnement des acteurs locaux par un accès facilité aux données (dommages chez les particuliers, les collectivités, les causes de mortalités) et à une expertise (mise en synergie des programmes et acteurs publics ou associatifs de la recherche développement, appui aux collectivités et aux services en post-crise dans les domaines risques et aménagement, méthode opérationnelle et harmonisée de détermination de l’aléa …), sans oublier quelques ajustements d’outils en place pour des situations particulières (Fonds de prévention des Risques naturels majeurs - FPRNM notamment)".

Nouvelle assurance pour les dommages risques majeurs aux ouvrages

Enfin, ils jugent nécessaire d'"améliorer la responsabilisation des acteurs" tout en conservant les valeurs et l’efficacité du dispositif CatNat instauré en 1982 et qui repose sur un mécanisme public-privé de solidarité nationale". Pour cela, ils préconisent "une mobilisation des particuliers et de toute la filière sur le champ du bâtimentaire et des normes (réflexions relatives à un document technique unifie – DTU - adapté et possibilité de mettre en place des diagnostics obligatoires de réduction de vulnérabilité en ZIF, voire d’une qualification des bâtiments neufs ou existants selon leur résilience aux inondations avec une procédure de suivi et d’information lors des mutations, travaux ou locations)".
Ils proposent aussi "une évolution limitée mais symbolique de l’indemnisation en cas de sinistres répétés en fonction des mesures de réduction de vulnérabilité engagées", ainsi qu'une assurance qui couvrirait sur une durée de vingt ans, les dommages risques majeurs aux ouvrages. Cette assurance serait à souscrire par les autorités administratives, les propriétaires fonciers, promoteurs et entreprises de construction qui autorisent ou construisent des bâtiments situés dans des ZIF. 

Besoin d'aller vers plus de prévention et d'anticipation

"Compte tenu de l’état actuel d’avancement, variable d’un territoire à un autre, mais aussi des moyens disponibles et nécessaires à l’aboutissement des réflexions puis à la mise en œuvre des actions, le traitement de ces situations sur l’ensemble du territoire national ne pourra être que progressif, pouvant le cas échéant amener à imaginer ou faire évoluer certains outils", concluent les rapporteurs. Ils jugent cependant nécessaire de faire passer au plus vite l’ensemble des acteurs (collectivités territoriales, propriétaires fonciers, promoteurs, entreprises du bâtiment, assurés et assureurs), d’une attitude attentiste de réaction aux inondations à une attitude proactive d’action pour prévenir, anticiper et réduire la vulnérabilité", en s’appuyant sur les trois principes du rapport : "identifier, accompagner, responsabiliser".