Zéro artificialisation nette : le Sénat revient à la charge
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage… C’est à la faveur d’un débat organisé au Sénat, ce 18 janvier, que le zéro artificialisation nette (ZAN), objet d’un texte correctif publié le 21 juillet 2023 pour en faciliter la mise en oeuvre, a de nouveau occupé l’hémicycle l’espace d’une séance de contrôle. Derrière cet acronyme, "ce sont le logement et le développement économique des territoires ruraux et périurbains qui se jouent", a rappelé la sénatrice Cécile Cukierman (CRCE-K), à l’initiative de ces échanges.
La semaine de contrôle au Sénat sur l’action du gouvernement a donné lieu à une série de débats, dont l’un d'eux consacré, ce 18 janvier, à la mise en application de la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux, organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste-Kanaky (CRCE-K).
Au dernier Congrès des maires, un point d'information sur le sujet "a fait salle comble", rappelle la sénatrice Cécile Cukierman (CRCE-K-Loire), qui comme nombre de ses collègues a prêté attention aux inquiétudes tenaces sur la mise en oeuvre du ZAN en sillonnant le territoire au gré des cérémonies de voeux. Car force est de constater que malgré la loi du 20 juillet dernier, "qui a prévu des adaptations pour tenir compte des remontées de terrain", souligne-t-elle, et "les trois décrets de décembre sur la territorialisation des objectifs, la classification des zones artificialisées et la commission de conciliation [qui] marquent des progrès, les élus locaux attendent encore des réponses". "Nous pensions avoir réglé le sujet du ZAN, mais ‘ça s'en va et ça revient, c'est fait de tout petits riens…’ ", a constaté sur le ton de l’ironie Jean-Baptiste Blanc (LR), co-auteur du texte correctif avec la centriste Valérie Létard.
Pour le sénateur du Vaucluse, "il faut prendre cette inquiétude au sérieux", et s’interroger "sur la planification à coups de PowerPoint, qui ne devra pas exclure les élus", dont "la soif d’ingénierie" ressort notamment des doléances. "La loi irrite parce qu'elle est le paroxysme d'une multiplication de difficultés, de normes, d'un État pas aussi présent territorialement qu'il le devrait", confirme Cécile Cukierman, avec le risque "de laisser croire qu’il y aurait une France à deux vitesses : une France urbaine bien dotée en ingénierie et une France rurale qui en serait privée".
Beaucoup reste à faire…
Moins de six mois après le vote de la loi, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu se félicite de ce "premier moment de suivi". Garantie rurale d’un hectare, allongement des délais, garantie du trait-de-côte, commission régionale de conciliation, projets d'envergure nationale et européenne, règles spécifiques pour l’outre-mer et la Corse, élargissement du droit de préemption urbain,… les avancées y sont nombreuses. Mais "il reste encore beaucoup à faire", concède-t-il, invitant à la fois les sénateurs "à prendre le temps d’ajuster" et à ne "pas avoir le ZAN honteux".
Le ministre a dû faire face en séance à un véritable tir groupé de questions venant de tous les bords de l’hémicycle y compris dans les rangs des plus convaincus. "Faut-il se fier à la comptabilité du Cerema ou des agences d'urbanisme locales, qui peuvent diverger ? l’a ainsi interpellé le sénateur écologiste de Loire-Atlantique, Ronan Dantec, en insistant sur le besoin d’un "processus permettant d'obtenir rapidement des réponses à ce type de questions". Un sentiment d’inachevé largement partagé par les sénateurs, et dont s’est fait l'écho Pierre Barros (CRCE-K-Val d'Oise) : "Poursuivons le travail, pour que le ZAN soit non pas un verrou, mais un outil au service d'un aménagement plus économe et plus humain". "Des améliorations sont possibles - particulièrement aux outre-mer, où la problématique du foncier est encore plus prégnante", a ajouté Frédéric Buval (Martinique-RDPI). Jean-Claude Anglars (Aveyron-LR) s’est quant à lui ému du sort des agriculteurs, interpellant le ministre sur la question d’exclure ou pas les bâtiments agricoles des surfaces artificialisées. Bernard Pillefer (Loir-et-Cher, UC) a pointé des "zones d’ombres" sur le calendrier de la clause de revoyure ou la nomenclature des surfaces artificialisées.
Une terminologie reprise par Guislain Cambier (Nord-UC) et Pierre Médevielle (Haute-Garonne-Les indépendants), pour lequel il "reste à répondre à certaines questions d'intérêt local : la mutualisation de la garantie minimale au niveau intercommunal, le droit à l'expérimentation, l'évaluation des surcoûts, la compensation et la renaturation, la réorientation de certains dispositifs fiscaux". C’est donc également le volet financier et fiscal qui est questionné par la Chambre haute. Bernard Pillefer n’y va pas par quatre chemins : "qui mettra la main au portefeuille ?". "Les collectivités ont besoin d'outils et d'accompagnement dédiés", fait valoir en ce sens le sénateur socialiste Christian Redon-Sarrazy (Haute-Vienne). "Il faudra aussi une incitation fiscale, car la taxe sur le foncier bâti ou la cotisation foncière des entreprises n'incitent pas à la sobriété foncière, et la très faible rentabilité de la fiscalité sur le foncier non bâti pousse à l’artificialisation", argumente-t-il.
La liste des projets d’envergure sous les projecteurs
Pour assurer la bonne appropriation de la réforme, le ministère a multiplié les outils. Un guide synthétique "reprend des engagements importants comme les zones d'aménagement concerté (ZAC), qui peuvent être rattachées à la période précédente et ne pas être imputées à la nouvelle trajectoire", relève Christophe Béchu. Des ateliers, notamment à Dieppe, "pour [s’] assurer que les projets nationaux ne remettaient pas en cause la réindustrialisation". Des centaines de projets sont ainsi remontés.
Une liste de 150 projets d'envergure nationale ou européenne (pour lesquels un forfait a été voté à 12.500 hectares pour 2021-2031) a été transmise aux régions fin décembre. Ces dernières ont jusqu’à fin février "pour dire on prend, on ne prend pas, il en manque", schématise le ministre. Selon AEF, qui a pu consulter cette liste, celle-ci montre "une concentration plus forte de ces grands projets dans le Nord et le Grand Est ainsi que dans le sud du pays, traduisant une moindre présence de la Bretagne à l’Aura [Auvergne-Rhône-Alpes]". Pour Christian Redon-Sarrazy, le décompte des nouveaux projets, est un "premier point de vigilance". "En Nouvelle-Aquitaine, l'État comptabilise quatorze grands projets nationaux pour une surface de 1.100 hectares, mais ne prévoit que 700 hectares pour le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest, qui en consommera 2.000 de plus…", remarque-t-il.
"Certains projets ne seront pas finis à cette date[2031], comme les EPR : ils compteront pour zéro", précise le ministre. Sur la première catégorie - celle des projets achevés d'ici à 2031 - les données tiennent compte "de l'emprise de l'ouvrage et non celle du chantier, s’il est rendu à la nature", décrypte-t-il entre autres. La prochaine étape consistera à soumettre le décret au public. La commission de conciliation permettra de "bouger" la liste. "Ces listes seront révisables tous les ans", insiste le ministre, autrement dit "on pourra sortir un projet ou en ajouter si un projet devient mature ou tout simplement si on le découvre, c’est la souplesse voulue par le Sénat pour permettre la réindustrialisation".
Des bribes de réponses sur l’accompagnement
Autre "gros" sujet, celui de la fiscalité. Le ministre a exprimé un regret sur l'accompagnement budgétaire des communes. Il concerne le dispositif, déclaré irrecevable lors de l'examen du projet de loi de finances, selon lequel un terrain devenu constructible faisait l'objet d'une redevance partagée entre la commune et l'agence de l’eau. Le volet financier sera "au coeur de nos travaux pour l’année en cours", a t-il promis, se limitant pour l'heure à fournir quelques chiffres. "En 2023, 1.225 hectares de friches ont bénéficié du fonds vert, et 685 hectares ont été renaturés, pour 479 millions d'euros. Deux mille hectares, c'est 20% de plus que ce que nous prévoyions, sachant que le fonds vert passe de 2 milliards à 2,5 milliards d'euros, avec une massification de l'effort sur les friches". "Sur l'ingénierie, pour les 250 millions d'euros des PCAET [plans climat-air-énergie territoriaux] nous allons finaliser la façon dont ils pourraient s’y inscrire et la signature d’un pacte entre toutes les agences (Ademe, ANCT, Cerema) va y remédier". Une réflexion sera en outre proposée sur "l’agenciarisation de l’Etat" pour rendre "lisibles" les aides et en "simplifier les portes d’entrées".
"C'est un texte pour le monde agricole, première victime de l'étalement urbain", s’est par ailleurs défendu le ministre avant d’aborder le sujet de la garantie rurale. Nonobstant "le manque de recul", Christophe Béchu cible deux difficultés : "les territoires avec peu de communes, et d'autres, comme la Normandie, qui en ont tellement que la somme des garanties communales pose problème". C'est une des raisons pour laquelle le prochain atelier sera dans le Calvados ou la Manche "pour regarder concrètement comment cela se passe à l’échelle d’une intercommunalité".