Zéro artificialisation nette : Laurent Wauquiez engage un bras de fer avec l'Etat
Devant les maires ruraux réunis en congrès à l'Alpe d'Huez, le président d'Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a annoncé, samedi, le retrait de la région du "zéro artificialisation nette". Une décision prise, selon lui, avec le soutien des départements. Nourrissant des ambitions présidentielles, l'ancien maire du Puy-en-Velay s'est livré à un plaidoyer pour la ruralité, pestant contre la mainmise des services de l'Etat.
Rompant avec le ronron des tables rondes, le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes se lance dans un vibrant discours sur la ruralité à laquelle il dit appartenir. Lui, l'ancien maire du Puy-en-Velay qui aime à rappeler sa jeunesse au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire). Lui qui, cet été, a parcouru le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, sac au dos, observant "la beauté de notre pays", "l'énergie de ses habitants", "l'image de marque" de la France, avec ses vicissitudes aussi, "le patrimoine qu'on a du mal à entretenir", l'agriculture entravée par les normes, l'élevage remis en cause par certains discours. Et d'apprécier ce slogan au détour d'un chemin, dans l'Aubrac : "Laissez péter nos vaches." Alors, intervenant devant les maires ruraux réunis en congrès à l'Alpe d'Huez, ce samedi 30 septembre, il l'annonce tout à trac : sa région va se retirer du zéro artificialisation nette (ZAN), cette idée née de la convention citoyenne pour le climat installée pour sortir de la crise des gilets jaunes et dont il conteste la légitimité. "J'ai décidé que la région sortait du dispositif", lance-t-il. Et de s'en prendre à la loi Climat et Résilience de 2021 qui, en vertu du ZAN, a confié à la région le soin de fixer un objectif de limitation d'artificialisation des sols au sein des Sraddet : "Cette loi est "ruralicide", peste-t-il. Les métropoles, elles, ont des friches, mais les territoires ruraux ? "Mettre sous cloche les décisions des permis de construire sur la ruralité, cela signifie qu'on s'interdit toute forme d'avenir", plaide-t-il. "La promesse" de retirer les projets nationaux du décompte "n'a pas été tenue", argue-t-il encore, passant sous silence la loi correctrice du 20 juillet 2023, concoctée par le sénateur LR du Vaucluse Jean-Baptiste Blanc (voir notre article du 21 juillet 2023)...
"Arrêter de cautionner des lois qui mettent la ruralité sous cloche"
Ce retrait du ZAN, "on le fait en lien avec les départements", assure-t-il devant le président LR du département de l'Isère Jean-Pierre Barbier, qui opine du chef. "Il faut arrêter de cautionner des lois qui mettent la ruralité sous cloche", insiste-t-il. La veille, le président du département avait d'ailleurs manifesté son agacement au sujet du ZAN, devant le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu et la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité Dominique Faure, constatant "parfois une volonté d'emballement des services de l'Etat pour qu'il se mette en place tout de suite". Alors que la loi prévoit un objectif de réduction de 50% du rythme d'artificialisation d’ici 2031 et fixe 2050 comme date butoir.
La réponse gouvernementale à cette saillie n'a pas tardé. "(…) je constate que le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes se désengage vis-à-vis du ZAN (zéro artificialisation nette), alors même qu’un accord a été trouvé avec les parlementaires à l'Assemblée nationale et au Sénat pour améliorer ce dispositif en collaboration avec l'AMF présidée par David Lisnard, a réagi Christophe Béchu auprès des journalistes, sur WhatsApp. "A croire que, selon lui, la loi s'applique de manière sélective. Il est essentiel de rappeler que rejeter le ZAN revient à refuser de protéger les terres agricoles, qui sont vitales pour notre souveraineté alimentaire. Refuser le ZAN signifie également ignorer la nécessité de préserver les espaces naturels, qui abritent une biodiversité riche et contribuent au stockage du carbone."
"Il n'y a aucune raison qu'on accepte une République à deux vitesses"
Au-delà du ZAN, l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy qui nourrit des ambitions pour 2027 ne s'est pas privé de s'en prendre à l'Etat, voulant incarner la résistance des ruraux face à la bureaucratie parisienne. "Ce n'est plus nous qui décidons, ce sont les services de l'Etat (…) où est la démocratie à l'arrivée ?" Puis il s'avance en terrain conquis quand il évoque le sujet des financements et des dotations, reprenant l'antienne de l'AMRF qui, depuis des années, s'indigne du fait qu' "un urbain vaut deux ruraux" dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF). "On s'est habitués à un système à deux vitesses entre l'urbain et le rural", poursuit-il, prenant l'exemple du ministère de la Culture qui, selon lui, consacre 800 euros par habitant à Paris, contre 20 euros dans les zones rurales. "Elles n'ont pas droit aux bibliothèques, aux festivals, aux animations culturelles ?", s'insurge-t-il. Le président de région assure qu'il fait l'inverse. Quand il est arrivé, la région accordait "cinq fois plus de crédits par habitant pour Lyon", aujourd'hui "les communes rurales perçoivent deux fois plus par habitant que les zones urbaines". "On soutient les centres hospitaliers en zone rurale mais je ne le fais pas pour les CHU, je soutiens la Matheysine (une zone de montagne située sur le flanc ouest des Ecrins, ndlr). Il n'y a aucune raison qu'on accepte une République à deux vitesses", illustre-t-il, rappelant que lors de l'électrification de la France sous la IIIe République, "l'Etat a payé" alors que "pour le déploiement de la fibre il n'y a pas eu de solidarité". "Paris n'a pas eu à payer un euro. Nous, on doit se saigner aux quatre veines."
Face à un tel assaut de "slogans de campagne", le président de l'AMRF Michel Fournier – qui la veille semblait au diapason avec le gouvernement sur sa politique de planification écologique – s'incline. "Ce constat, nous le partageons à 200%. Je vais aller plus loin. En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, Laurent Wauquiez, je vous fais président de l'AMRF." Dans les rangs des maires ruraux, l'énergie du discours du président de région passe bien. Mais on ne se fait guère d'illusion sur sa vocation politicienne.