ZAN : le Sénat apporte de légères corrections à son texte et rejette les premiers amendements du gouvernement
Le Sénat a entamé ce 14 mars l'examen en première lecture de sa proposition de loi visant à répondre aux difficultés rencontrées par les collectivités dans la mise en oeuvre des objectifs du "zéro artificialisation nette" (ZAN) des sols d'ici 2050 prévu par la loi Climat et Résilience de 2021. Sur 89 amendements examinés à ce stade, seuls une vingtaine ont été adoptés. Ceux présentés par le gouvernement ont été rejetés.
Fruit d'une mission transpartisane du Sénat, la proposition de loi "visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de 'zéro artificialisation nette' au coeur des territoires" portée par Valérie Létard (Union centriste-Nord) et Jean-Baptiste Blanc (LR-Vaucluse) n'entend pas revenir sur les deux grands objectifs du ZAN, à savoir la réduction de moitié du rythme de l'artificialisation nouvelle d'ici à 2031 et le zéro net en 2050. Mais elle propose une série d'adaptations pour "répondre aux difficultés très concrètes" de terrain, a indiqué Valérie Létard ce 14 mars, en ouverture des débats en séance sur le texte.
"La mise en oeuvre de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) s'avère extrêmement compliquée, qu'il s'agisse de problèmes techniques, comme la nomenclature des sols artificialisés, ou politiques, comme le degré de contrainte du document régional ou les équilibres entre territoires", a rappelé la présidente de la commission spéciale du Sénat sur la proposition de loi, soulignant qu'"il y a désormais consensus sur le fait qu'il faut modifier la loi" en apportant "du pragmatisme et de l'efficacité". Selon elle, "les imprécisions de la loi Climat et Résilience compliquent la tâche des élus, seuls à porter la responsabilité de l'atteinte des objectifs sans en avoir les outils". Le dispositif de territorialisation présente aussi des risques à ses yeux, "notamment celui que les métropoles captent les enveloppes d'artificialisation. Or il faut permettre à chaque territoire, urbain comme rural, de réaliser son potentiel".
"Ne pas créer des gilets jaunes du ZAN !"
"Attention à ne pas créer des gilets jaunes du ZAN !", a-t-elle prévenu, en défendant le nouveau texte qui propose selon elle "des garanties pour les territoires, avec la surface minimale de développement communal".
Estimant que le texte sénatorial, a "parfois été caricaturé", Jean-Baptiste Blanc, rapporteur de la commission spéciale, a balayé les principales critiques. "Non, il ne remet pas en cause les dates cibles de 2031 et 2050 : il ajuste seulement les étapes intermédiaires. Non, la définition des grands projets que nous proposons ne conduit pas à un abandon des ambitions de réduction de l'artificialisation, mais responsabilise les acteurs, régions et État compris", a-t-il argué, estimant qu'"il renforce aussi les chances d'atteindre les objectifs de sobriété foncière en créant une incitation à réduire l'artificialisation des grands projets." "Non, la garantie du droit à l'hectare n'ajoute pas 35.000 hectares à l'artificialisation des sols : c'est une répartition différente des droits à construire, a-t-il poursuivi. La garantie rurale ne jouera que pour une minorité de communes. Au total, 9.200 hectares seront répartis différemment, soit 7,5% du total. Et cette garantie rurale ne sera pas consommée par toutes les communes."
Ne rien faire "sans les élus ni contre eux"
"L'objectif est bien de faciliter la mise en oeuvre du ZAN, 'au coeur des territoires'. Rien ne doit être fait sans les élus ni contre eux. Le texte leur apporte des outils, comme la conférence régionale de gouvernance, car de nombreuses communes ne se sont pas senties entendues dans les conférences des Scot (schémas de cohérence territoriale)", ajoute-t-il. Quant à l'articulation entre Sraddet (schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires) et documents d'urbanisme, "le premier doit s'inscrire dans un rapport de prise en compte avec les seconds, et non de compatibilité", défend le sénateur car "l'acceptabilité du ZAN passe par la responsabilisation des acteurs, non par la verticalité".
"Bien que la sobriété foncière soit imposée et pilotée au niveau national et régional, les communes sont en première ligne, a-t-il rappelé. On ne peut leur imposer d'organiser leur sous-développement. L'objectif est bien de concilier sobriété foncière et développement harmonieux de nos territoires."
Recherche d'"un point d'équilibre"
Christophe Béchu a affirmé son souhait de "trouver un terrain d'entente" avec les sénateurs "pour aboutir à une solution" alors que des députés Renaissance ont présenté mi-février leur propre proposition de loi. Le ministre de la Transition écologique a convenu "des difficultés et incompréhensions" soulevées par l'objectif ZAN et évoqué les points de convergence avec les sénateurs. "Le gouvernement approuve la prise en compte de la renaturation avant 2031, avec l'extension du droit de préemption ou les périmètres de sursis à statuer, la communication aux communes des données de mesure de l'artificialisation, l'anticipation du recul du trait de côte, a-t-il détaillé. Ces ajustements de bon sens préservent l'esprit de la loi."
Mais des divergences persistent, et non des moindres. "Il y a matière à compter à part les grands projets, mais un point de discorde entre nous serait de ne pas les inclure dans la trajectoire d'artificialisation", a dit Christophe Béchu car "il deviendrait compliqué de tenir l'objectif". "Sur la prise en compte des particularités locales, je préfère également raisonner en surface, plutôt que de voir un hectare attribué à tout le monde", a-t-il répété. "Mettre en oeuvre le ZAN, ce n'est pas choisir l'environnement contre le développement, a-t-il souligné. On ne va pas arrêter de construire, mais privilégier l'existant : 170.000 ha de friches et 1,1 million de logements vacants. La priorité est d'organiser la sobriété foncière, de favoriser la décarbonation et la réindustrialisation, tout en continuant à loger nos concitoyens." Pour le ministre, "le maintien de l'objectif doit se conjuguer avec le souci permanent d'atteindre un point d'équilibre, afin d'adopter un texte rapidement pour enclencher la dynamique".
Refus d'un "jacobinisme régional"
Plus de 200 amendements ont été déposés sur le texte sénatorial. 89 ont été examinés ce 14 mars et une vingtaine ont été adoptés. Les deux premiers articles ont fait l'objet de simples amendements rédactionnels. Le gouvernent n'est pas parvenu à faire supprimer l'article 2 qui prévoit de restaurer un rapport de prise en compte plutôt que compatibilité entre les documents régionaux et les documents d'urbanisme locaux. Qualifié de "ligne rouge" par Christophe Béchu, affirmant vouloir "maintenir la portée juridique du Sraddet et du SAR" pour garantir que la consommation foncière diminuera, la question de la mise en compatibilité est une "ligne écarlate", selon Jean-Baptiste Blanc. "Nous ne voulons pas, au Sénat, d'un jacobinisme régional dans ce Sraddet, qui devient de plus en plus contraignant et intégrateur, a-t-il déclaré. Il doit demeurer un document de stratégie, non de planification."
Conférence régionale de gouvernance : un rôle pour les départements
Les sénateurs ont ensuite apporté des correctifs à l'article 3 visant à renforcer l'échelon communal au sein d'une "conférence régionale de gouvernance" du ZAN. Deux amendements identiques ont été adoptés, pour donner la possibilité de déterminer la composition et le nombre de membres de la conférence régionale de gouvernance par délibération du conseil régional avec avis favorable, dans un délai de six mois, de la majorité des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre compétents en matière de plan local d’urbanisme et des conseils municipaux des communes n’ayant pas transféré la compétence en matière de plan local d’urbanisme. "Il ne s'agit pas de donner le pouvoir à la région, mais d'élaborer une proposition d'accord local formulée par le conseil régional, approuvée par les communes, a justifié François Gatel (Union centriste-Ille-et-Vilain, qui a défendu l'un des amendements. Faute d'accord, la composition type proposée par la loi s'appliquera."
Trois autres amendements adoptés prévoient la pleine participation, et non à titre consultatif, des représentants du conseil départemental à la conférence régionale de gouvernance, au motif que les départements doivent pouvoir donner un véritable avis en raison du rôle qu'ils jouent pour la préservation des espaces sensibles mais aussi de leur rôle d'appui et de conseil "compte tenu de la taille XXL de certaines régions", selon les termes de Françoise Gatel. Certains départements ont d'ailleurs adopté des orientations pour lutter contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols, a fait valoir Laure Darcos (LR), en citant l'Essonne, dont elle est élue. Pour favoriser "un système souple de concertation des élus", un autre amendement défendu par Max Brisson (LR-Pyrénées-Atlantiques) donne la possibilité de réunir la conférence de gouvernance à un niveau départemental pour tout sujet lié à la mise en œuvre communale ou intercommunale des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols.
Enfin, à ce même article 3, un amendement permet aux conférences régionales de gouvernance de transmettre au Parlement courant 2027 leurs propositions sur les évolutions du dispositif de réduction de l'artificialisation des sols. "Il faudra gérer trois périodes : avant 2031, entre 2031 et 2050, après 2050, a rappelé l'autrice de l'amendement, Daphné Ract-Madoux (Union centriste-Essonne) Nous proposons un bilan d'étape en 2027 (…) pour anticiper les difficultés".
Grands projets : la liste s'allonge...
À l'article 4, visant à ce que les grands projets fassent l'objet d'une comptabilisation séparée pour ne pas peser sur les enveloppes des collectivités concernées, l'amendement du gouvernement renvoyant à un arrêté ministériel la fixation de la liste positive des projets d’envergure nationale ou européenne, au sens de l’article, ainsi que la détermination de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers qu’ils induisent a été rejeté.
Mais des amendements identiques venant de différents groupes politiques ont été adoptés pour inclure dans la liste des projets d'ampleur nationale ou européenne et d'intérêt général majeur des projets industriels "représentant un intérêt pour la souveraineté économique nationale ou européenne". Les sénateurs ont notamment cité le secteur aéronautique, et Airbus, parmi ces projets. "Cette liste fera l'objet d'un article spécifique dans le projet de loi Industrie verte", a indiqué Christophe Béchu, jugeant la formulation des sénateurs "trop vague". "Le champ de la souveraineté est très vaste, où serait la limite ? Doit-on inclure tout l'alimentaire ?", a-t-il interrogé tout en reconnaissant "l'importance de prendre en compte la dimension économique pour assouplir les trajectoires".
Ils ont aussi inclus dans la liste des projets d'ampleur nationale ou européenne et d'intérêt général majeur des projets d'infrastructures ou d'équipements internationaux, en plus des projets interrégionaux, nationaux ou européens, des projets réalisés dans la circonscription administrative d’un grand port maritime ou d’un grand port fluvio‑maritime en lien avec l’activité développée par le port, des projets d'axes structurants en matière de transport décarboné, ainsi que "toutes actions ou opérations d’aménagement réalisées au sein des circonscriptions des grands ports maritimes ou fluvio‑maritimes de l’État", de même que des aménagements réalisés dans la circonscription administrative d’un port maritime. Enfin, la région pourra définir une enveloppe foncière complémentaire nécessaire "pour permettre la réalisation des conséquences directes des projets d'ampleur nationale ou européenne", qui ferait l'objet d'une mutualisation.
Les débats sur le texte, qui fait l'objet d'une procédure accélérée, reprennent ce 16 mars. 185 amendements restent à examiner.