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Yvonic Ramis (ADGCF) : "Faire de l'intercommunalité autrement et mieux"

Les 13es universités d'été de l'Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF) s'ouvrent ce 7 juillet au Grand-Bornand. L'occasion pour les participants de se pencher sur ce que l'association a appelé "la dynamique communaliste" : reléguée au second plan durant le premier confinement, l'intercommunalité a vu ses politiques et sa légitimité remises en question ici ou là. Dans une interview à Localtis, le président de l'association, Yvonic Ramis, évoque cette période de "turbulences". Il la pense passagère et estime qu'elle offre une opportunité pour refonder l'intercommunalité, en associant mieux les communes. Pour le DGS de Moulins Communauté, la réforme 4D doit aller plus loin. Y compris par plus grande différenciation des politiques à l'intérieur même des intercommunalités.

Localtis - Les maires – et la commune – sont revenus en force, ces dernières années, sur la scène locale. Cela n'est-il pas le résultat d'une construction intercommunale qui est allée trop vite et de la volonté du pouvoir national de faire de grandes intercommunalités, parfois trop grandes, en dépit des réalités locales ?

Yvonic Ramis - Je partage complètement cette vision. Après la loi Notr d'août 2015, une intercommunalité sur deux a disparu, les fusions ont été réalisées à marche forcée - avec des cohérences toutes relatives - et des communautés de communes sont passées de 5 ou 6 communes à plus de 80… Dans les territoires concernés, il n'a pas été aisé de faire prendre la mayonnaise. La méthode utilisée a été compliquée et mal perçue. Dans ce contexte, la loi "Engagement et proximité" de décembre 2019 a été une loi un peu "revancharde" pour les communes. Les turbulences ont continué l'an dernier : dans certains territoires, la place de l'intercommunalité a été peu comprise, voire gommée. L'état des lieux n'est donc pas très positif du point de vue de l'intercommunalité. Pour autant, la période que nous vivons offre une opportunité pour faire de l'intercommunalité autrement et mieux. À l'ADGCF, nous ne sommes pas arc-boutés sur l'intercommunalité et dans une posture "intercommunalité versus communes". Nous sommes plutôt soucieux de la cohérence de notre bloc communal au sens large. Donc nous pensons que l'intercommunalité doit faire avec les communes et ce, pour de très nombreuses politiques publiques. Ce n'est pas parce que l'intercommunalité détient une compétence de plein droit qu'elle doit être dans sa tour d'ivoire. Elle doit exercer la compétence avec les communes, mais sous le prisme intercommunal. En sachant que l'intérêt général intercommunal ne correspond à peu près jamais à la somme des intérêts particuliers des communes. L'intercommunalité a vocation à être l'échelon de la stratégie, de la cohérence territoriale, de la coordination et de la solidarité. Mais, le plus souvent, l'intercommunalité n'est pas le bon échelon de gestion. La gestion et le déploiement opérationnel doivent être confiés aux communes. L'intérêt est ainsi qu'on leur redonne du sens et du corps. De plus, cela peut permettre sur un même territoire intercommunal de déployer une politique publique à la fois cohérente et différenciée.

De quelle manière les turbulences dont vous parlez se sont-elles traduites ?

Depuis l'été 2020, on peut constater parfois de la démutualisation, et la remise en question brutale et totale de politiques publiques qui avaient été décidées. On constate aussi dans certains territoires, notamment ruraux, une volonté de faire en sorte que les quelques excédents budgétaires soient redistribués intégralement aux communes. Avec pour seule finalité de redonner l'argent aux communes. Donc sans aucun projet qui la sous-tend.

Au plus fort de la crise sanitaire, le couple maire-préfet a beaucoup été mis en avant. L'intercommunalité a été éclipsée…

Lors du premier confinement et même jusqu'en juin 2020, l'intercommunalité a été "rayée de la carte". Dans de nombreux départements, les préfets ont réuni les maires pour parler des déchets et de l'eau potable. Mais l'intercommunalité, qui a pourtant la compétence, n'était pas invitée. Il a fallu que les maires eux-mêmes signalent l'anomalie au préfet ! Mais à l'été 2020, on a entamé une nouvelle phase marquée par la préparation du plan de relance et le contrat de relance et de transition écologique (CRTE). C'est à ce moment-là que les intercommunalités ont opéré leur retour. Le préfet avait tout intérêt à discuter avec une dizaine, voire une vingtaine de présidents d'intercommunalité, plutôt qu'avec 300 ou 400 maires. À partir de l'automne, la maille intercommunale est devenue le niveau de dialogue des préfets avec les territoires. D'ailleurs, au début, certains maires ont été un peu désarçonnés. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils n'étaient pas conviés aux réunions sur le plan de relance.

Est-ce qu'il en a été de même sur les questions de santé ?

En matière de santé, l'État a d'abord eu un réflexe "grandes villes" et ce, même dans les territoires ruraux. L'État a dialogué avec le maire de la ville-préfecture et les maires des villes sous-préfectures. Après juin 2020, on a basculé au niveau intercommunal. Les ARS [agences régionales de santé] ont compris l'intérêt de discuter avec les intercommunalités. Il ne faut pas oublier que ce sont elles qui portent les contrats locaux de santé.

Les communes considèrent-elles encore l'intercommunalité comme un guichet auprès duquel elles peuvent obtenir des subventions ?

Parfois, oui. Mais, je ne crois pas que le phénomène soit si massif et structurant. Je crois qu'il s'agit d'un phénomène conjoncturel. Les maires ont été élus dans le contexte de la crise sanitaire : il était difficile de créer une émulation avec des bureaux communautaires en visioconférence. Que le début de ce mandat ait été un peu laborieux, voire poussif du point de vue de l'intercommunalité, c'était quasiment écrit. Mais je ne crois pas que le mouvement de repli communal soit durable. La balle est dans le camp des intercommunalités : c'est à nous qu'il revient d'être à l'écoute, de faire preuve de pédagogie, parfois aussi de patience vis-à-vis des communes. C'est ainsi que les antagonismes se gommeront.

La loi "Engagement et proximité" a créé des outils pour renforcer la place des communes dans la gestion des compétences intercommunales. Ces outils sont-ils utilisés ?

Nous n'avons pas beaucoup de retours. Les territoires commencent à s'en emparer, à l'instar de la communauté d'agglomération de Moulins, dont je suis le DGS. Le conseil communautaire vient de délibérer pour mettre en place une convention pour déléguer la gestion de la compétence "eau potable" à un syndicat infracommunautaire, compétent sur le ressort de sept communes. Celui-ci exercera la compétence sous le contrôle direct de la communauté d'agglomération. Nous avons retenu cette solution, car lors du transfert de la compétence à l'intercommunalité, il existait 6 syndicats de communes : 5 avaient le droit de se maintenir, selon les critères fixés par le législateur, mais pas le sixième (en l'occurrence celui à qui la communauté va déléguer sa compétence). Or, les élus de ce syndicat souhaitaient son maintien, au regard des différences techniques de modalités de captage de l'eau et de distribution entre le tissu urbain et les territoires ruraux. En outre, compte tenu de la différence de prix pratiqué par ce syndicat et les autres, l'harmonisation tarifaire risquait d'être compliquée.

Le projet de loi 4D ou 3DS arrive en discussion au Sénat. Les sénateurs veulent encourager une plus grande adaptation aux réalités locales, par exemple au moyen d'une utilisation plus fréquente de l'intérêt métropolitain pour la définition des compétences dans les métropoles. Qu'en pensez-vous ?

À ce stade, nous pensons qu'il ne faut pas décentraliser davantage. Mais il faut mieux décentraliser et surtout permettre, dans le cadre de l'État unitaire, de tenir compte de la réalité des territoires et, donc, de la volonté des élus. Ainsi, qu'on puisse définir un intérêt métropolitain, cela nous paraît cohérent. Mais nous restons vigilants : il ne faut pas opérer un retour en arrière en allant vers une forme de gestion complètement éclatée. De ce point de vue-là, que les sénateurs ne prévoient pas de renvoi à l'intérêt métropolitain pour le développement économique, c'est une bonne chose.

Et êtes-vous en ligne avec l'idée qu'il faut développer la différenciation territoriale ?

Nous sommes très favorables à la différenciation, et même la différenciation à l'intérieur des territoires intercommunaux. Nous avons de nombreux exemples où il serait nécessaire de l'encourager. Est-ce qu'il est cohérent dans des intercommunalités rurales de grande superficie que certaines entreprises paient le versement mobilité, alors qu'elles ne bénéficient d'aucune offre de services de mobilité collective pour leurs salariés ? Dans les grands territoires intercommunaux, faut-il que les communes situées parfois à plusieurs dizaines de kilomètres de la zone touristique aient un niveau de taxe de séjour identique à cette zone ? On peut trouver d'autres exemples en matière urbanistique, technique, etc. La différenciation doit être à double détente. D'abord, elle doit nous autoriser à exercer les compétences de manières différentes dans l'Allier et dans les Hauts-de-Seine. Ensuite, à l'intérieur même du bloc communal, on devrait être capable, sous le contrôle du préfet de département, de déployer de manière opérationnelle des politiques publiques, et même d'appliquer des réglementations différenciées, notamment fiscales, pour tenir compte là aussi de la réalité des territoires.

Donc le projet de loi est selon vous positif, en renforçant la différenciation territoriale ?

Oui, nous trouvons que le projet de loi va dans le bon sens. Mais il ne va pas du tout assez loin. C'est d'autant plus dommage qu'il s'agit, pour les collectivités, de la dernière fenêtre de cette législature. Nous aimerions notamment que le principe d'autorité organisatrice soit inscrit dans ce projet de loi, comme le souhaite aussi l'ADCF [Assemblée des communautés de France]. Il s'agit de décliner le principe d'autorité organisatrice des mobilités dans d'autres champs : par exemple l'habitat, ou l'aménagement du territoire. Cette notion signifie que l'intercommunalité anime et conçoit une politique donnée. Mais pas nécessairement qu'elle fait tout. C'est un principe moins rigide que celui de chef de file.