Violences envers les élus : le gouvernement dévoile son plan

La démission du maire de Saint-Brevin, Yannick Morez, dont le domicile a été incendié, va-t-elle provoquer un électrochoc ? La ministre déléguée aux Collectivités territoriales, Dominique Faure, a présenté ce 17 mai un plan pour lutter plus efficacement contre les violences faites aux élus, qui sont en plein essor. Avec, notamment, le lancement d'un centre d'analyse et de lutte contre ces atteintes et la mobilisation des forces de l'ordre pour mieux "accompagner" les victimes. Les sanctions contre les auteurs de ces violences vont aussi être alourdies.

Un "pack sécurité" et un centre d'analyse et de lutte contre les atteintes aux élus. La réponse de l'exécutif s'organise face à la recrudescence des violences dirigées contre les élus locaux, symbolisées par les menaces et l'incendie dont a été victime le maire démissionnaire de Saint-Brevin-les-Pins, Yannick Morez.

L'édile, qui a dénoncé l'absence de soutien de l'Etat face aux violences dont il a été victime ces derniers mois, a été reçu en fin d'après-midi à Matignon par la Première ministre, Elisabeth Borne, et la ministre déléguée aux Collectivités territoriales, Dominique Faure. C'est à l'issue de la rencontre que la ministre a annoncé une batterie de mesures pour renforcer la prise en compte des violences faites aux élus locaux et la sécurité de ces derniers. "Il nous faut évidemment arrêter cette spirale infernale de la violence faite aux élus dans notre République. C'est absolument inacceptable", a insisté Dominique Faure.

3.400 "référents atteintes aux élus"

Avec comme principale nouveauté la mise en place d'un centre d'analyse et de lutte contre les atteintes aux élus - dont la création avait été annoncée en mars dernier -, qui gérera une base de données nationale et produira des analyses et des "cartographies" sur ces phénomènes. Par ailleurs, ce centre "coordonnera" les forces de sécurité qui, sur le terrain, se portent au chevet des élus locaux victimes de violences. Il ne s'agira pas une structure créée ex nihilo. Un réseau d'une quinzaine de professionnels issus de divers services du ministère de l'Intérieur (direction générale de la police nationale, direction générale de la gendarmerie nationale…), ou encore de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), contribueront à ses travaux. Ses participants se réuniront régulièrement pour se pencher sur la "réponse opérationnelle" apportée aux atteintes aux élus locaux. La réunion d'installation du centre avait été prévue dès ce 17 mai dans l'après-midi, à l'hôtel de Beauvau, en présence de Dominique Faure.

Parallèlement, le gouvernement lance un "pack sécurité", qui sera proposé "à l'ensemble des élus du territoire". Ce dispositif prévoit la désignation de plus de 3.400 "référents atteintes aux élus" dans les commissariats de police et gendarmeries. "Ces personnes de confiance" auront pour tâche de recueillir la parole des élus locaux, et de "libérer" celle-ci. Les référents seront ainsi incités à recueillir les plaintes au domicile des élus ou au siège de leur collectivité. "Les maires nous ont dit qu'ils n'osaient pas parler, parce qu'ils ne veulent pas en général jeter de l'huile sur le feu localement et n'osent pas toujours extérioriser auprès des autorités la menace ou la violence dont ils ont été victimes", relate-t-on dans l'entourage de la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales. Les noms et coordonnées de ces référents seront adressés aux élus locaux "dans les tout prochains jours".

Sécurisation du domicile des élus

En outre, le ministère annonce "le renforcement d'un dispositif 'alarme élus'" : les victimes de menaces ou de violences pourront se faire enregistrer dans un fichier. Dès lors, si elles composent le 17 (numéro d'appel de la police ou de la gendarmerie nationale), l'intervention des forces de sécurité pour "secourir l'élu ou traiter sa demande", sera "encore plus rapide". Par ailleurs, lorsqu'elles seront engagées dans des opérations de patrouille, ces dernières feront preuve d'une "vigilance renforcée" pour "la mairie" ou "le domicile" de l'élu concerné.

Le ministère indique que 5.000 gendarmes et 950 policiers sont déjà formés à "l'accompagnement des maires, en vue de sécuriser leurs bâtiments municipaux et leur domicile personnel, quand ils estiment qu'une menace est dirigée contre eux". Les personnels spécialisés effectuent si besoin "un diagnostic des vulnérabilités des bâtiments" et "proposent des actions de sécurisation".

Le cabinet de Dominique Faure ajoute que la plateforme Pharos, qui permet aux internautes de signaler un contenu suspect ou illicite, sera mobilisée pour "détecter plus rapidement et largement les contenus haineux en ligne, dont font l'objet un certain nombre d'élus".

Les plaintes des élus traitées plus rapidement

Un volet judiciaire figure aussi dans le plan du gouvernement, alors que les élus locaux sont nombreux à regretter que leurs plaintes soient souvent classées sans suite par la Justice. Le gouvernement portera une disposition qui renforce les sanctions pénales à l'encontre des auteurs de violences faites aux élus. Leur quantum sera aligné sur celui des peines qui peuvent être prononcées contre les auteurs de violences visant les forces de l'ordre (jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende, si plus de 8 jours d'ITT, au lieu de trois ans et 75.000 euros d'amende.). En outre, le ministère de la Justice sera attentif à la question des délais de traitement des plaintes qui émanent des titulaires d'un mandat électif. "C'est un sujet qui remonte beaucoup de la part des élus", confie l'entourage de Dominique Faure. Une réponse pourrait être dégagée "dans le cadre des travaux sur la loi de programmation du ministère de la Justice". En sachant que ces mesures, qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel dans la loi sur la sécurité intérieure (Lopmi).

Au-delà du "pack sécurité", le ministère délégué aux Collectivités territoriales assure travailler à un "choc civique" avec le ministère de l'Education nationale pour sensibiliser notamment les jeunes au respect des élus locaux, personnes qui sont "l'incarnation de la République". Le ministère œuvre aussi à activer "les dispositifs de réserve territoriale, qui peuvent contribuer à mobiliser les citoyens au soutien de leur maire", lorsque celui-ci fait face à des menaces ou des violences.

L'AMF souhaite être "étroitement associée"

Pour cette rencontre à Matignon, Yannick Morez était accompagné de David Lisnard, le président de l’Association des maires de France (AMF), et de Maurice Perrion, le président de l’Association des maires de Loire-Atlantique. David Lisnard, qui a salué l'invitation d'Elisabeth Borne, a rappelé que la création d’un centre d’analyse et de lutte contre les violences faites aux élus répond à une demande ancienne de l’AMF. L’association a d'ailleurs demandé à être "étroitement associée aux travaux" de ce nouveau centre qui doit "devenir une plate-forme nationale d’enregistrement et de suivi des plaintes". Elle demande en outre "que l’État donne plus de moyens humains et financiers aux forces de police et de gendarmerie" afin d'éviter les classements sans suite liés à l'insuffisance des moyens d'enquête. Sur le plan pénal, outre le niveau des sanctions, l'AMF propose que "le délai de prescription pour les menaces sur les réseaux sociaux, actuellement de trois mois, soit étendu".

  • Saint-Brevin : le maire était "seul" face à l'escalade de la violence

Quelques heures avant son rendez-vous, ce 17 mai, avec la Première ministre, Yannick Morez, le maire démissionnaire de la commune de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), était auditionné par des sénateurs. Alors qu'il a dû faire face à de graves pressions de la part de l'extrême droite, l'élu estime qu'il n'a pas reçu le soutien escompté de la part de l'Etat.

Face aux représentants de la commission des lois et de la mission d'information "sur l'avenir de la commune et du maire en France", l'élu a reconstitué le fil des événements qui l'ont plongé, ses proches et lui, dans un cauchemar. Au cœur des ennuis de ce médecin généraliste devenu maire en 2018 : la décision de l'Etat de rendre pérenne un centre d'accueil pour demandeurs d'asiles (Cada) installé depuis 2016 dans cette station balnéaire de 15.000 habitants, et de déplacer la structure dans des locaux voisins d'une école de la même commune. Une décision prise unilatéralement par l'Etat et dont ce dernier n'a pas voulu informer les habitants, laissant ce soin à la municipalité. Contre leur gré, les élus locaux se sont donc retrouvés en première ligne sur un projet qu'ils n'avaient pas initié, mais auquel ils ont apporté leur soutien.

C'est ainsi que le maire de Saint-Brevin a dû faire face à l'opposition grandissante d'une petite minorité d'habitants constituée en collectif. Qui, pour se donner plus de poids, "a fait appel à des groupuscules d'extrême-droite" animés par des personnes extérieures à la commune. Des personnes déterminées, qui ont eu recours à des "menaces et des intimidations" à l'encontre de Yannick Morez, pour tenter d'obtenir la fermeture du Cada. Dans des articles diffusés sur les réseaux sociaux ou encore sur Riposte laïque, site d'extrême droite, le maire, la directrice de l'école concernée par l'implantation du Cada et la présidente de l'association des parents d'élèves, ont été régulièrement "mis en pâture" : des "menaces et des insultes" ont accompagné la publication de leurs photos. Les opposants au projet de l'Etat ont aussi diffusé des tracts tantôt "ignobles", tantôt "haineux". Ils ont aussi "harcelé" par mail des parents d'élèves. Dans la nuit du 22 mars, la violence est montée d'un cran avec l'incendie criminel des véhicules et du domicile de Yannick Morez. Ce jour-là, "j'ai pris un coup sur la tête", a confié l'élu. Sa commune a aussi été le théâtre d'une manifestation de 250 opposants au Cada, le 29 avril, devant l'hôtel de ville.

Face à tant de tumultes et de violences notamment à son encontre, le maire de Saint-Brevin a déploré l'absence de soutien de l'Etat. Préfet, sous-préfet, gendarmerie sont selon lui restés sourds aux nombreux appels à l'aide qu'il a envoyés. Les responsables de l'Etat auraient longtemps mis en avant "la liberté d'expression" dont les opposants au Cada devaient pouvoir bénéficier.

"C'est une relation de confiance entre les élus locaux et l'exécutif qui est en train d'être rompue", a tonné le sénateur socialiste du Nord, Patrick Kanner. De son côté, Françoise Gatel (Union centriste, Ille-et-Vilaine) a dénoncé la "faillite d'une chaîne de responsabilités". Yannick Morez a toutefois assuré que dans d'autres départements, le dialogue entre l'Etat et les maires concernés par des projets d'implantation de Cada était meilleur.

L'élu, qui "ne reviendra pas" sur sa décision de démissionner, s'est montré plutôt pessimiste pour l'avenir. Au regard des messages de maires n'ayant pas porté plainte après leur agression et qui lui ont écrit, il a considéré que les chiffres sur les violences faites aux élus locaux sont "largement sous-estimés". Pour rappel, 2.265 violences verbales et physiques contre les élus ont été enregistrées en 2022. Cela ne va pas s'arranger, selon Yannick Morez. Avec par exemple de l'application du zéro artificialisation nette (ZAN), les maires pourraient voir un nouveau front s'ouvrir avec les personnes dont les terrains seront déclarés inconstructibles, s'est-il inquiété.
     T.B.